Communication de M. le Maire de Paris relative à la politique culturelle de la Ville de Paris.
Monsieur BLOCHE, vous avez la parole.
M. Patrick BLOCHE.- Monsieur le Maire, mes chers collègues.
Vous nous proposez aujourd’hui, Monsieur le Maire, la politique culturelle humaniste. Avec référence obligée à la fracture sociale, comme si l’oublier eût fait perdre à votre discours son caractère officiel. Je note d’ailleurs que si la fracture sociale est évoquée, il n’est curieusement pas fait mention de ce que le secteur de la culture soit pourvoyeur d’emplois, que ceux-ci soient durables ou intermittents.
Autre remarque préalable : votre communication commence par une dénonciation du populisme et de démagogues qualifiés un peu hâtivement de dangereux. Nous avons presque envie de vous dire : des noms, Monsieur le Maire ! Comme perspectives offertes à la politique culturelle de la Ville de Paris, vous avez fait le choix d’une continuité n’évitant pas parfois la sclérose ou l’élitisme. Le cadre budgétaire actuel laisse, il est vrai, peu de place à l’imagination. Il aurait pourtant été opportun, surtout sur la durée d’une mandature, d’anticiper sur un désengagement de l’Etat de plus en plus perceptible. Vous n’avez pas saisi l’occasion de ce débat et nous le regrettons. Particulièrement attachés au rayonnement culturel de Paris, nous nous félicitons du rôle essentiel joué par les grandes institutions nationales et municipales. Or, s’il est aisé de constater que Paris accueille le meilleur des spectacles de la décentralisation et des productions internationales, il reste cependant l’impression générale que le soutien de la Ville de Paris va plus à l’institution qu’à l’innovation, plus aux institutions de diffusion qu’à celles de création. Ainsi, vous me permettrez, Monsieur le Maire, de poser une question sans doute iconoclaste : après 15 ans de développement culturel national, vécu avec frilosité par la majorité municipale, Paris est-elle encore la Capitale de la création culturelle tant le bouillonnement créatif, particulièrement perceptible dans les arrondissements de l’Est parisien, a du mal à trouver son cadre d’expression ?
Une politique culturelle a, en effet, pour devoir de tenir l’équilibre entre les oeuvres du patrimoine émanant des générations précédentes et les oeuvres innovantes des générations d’aujourd’hui, avides à leur tour d’exprimer leur façon de voir le monde.
Or, force est de constater que ceux que vous appelez « les acteurs privés de la culture » bénéficient d’un soutien tout à fait insuffisant de la Municipalité et que l’effort de la puissance publique en leur direction est encore aujourd’hui à Paris plus celui de l’Etat que celui de la Ville.
Comme nous l’avons déjà dénoncé lors de la discussion budgétaire, le fonds de soutien au théâtre privé reçoit 17,4 millions de francs, soit 3,8 % du total des subventions culturelles, et l’aide au projet 13,2 millions de francs, soit 2,9 %. Comment ne pas s’étonner d’ailleurs des critères d’attribution de l’aide au projet retenus par la Direction des Affaires culturelles de la Ville de Paris, quand celle-ci refuse, par exemple, de se prononcer sur les spectacles de théâtre de rue ou lorsqu’il faut au moins 20 représentations d’une pièce de théâtre dans une salle de spectacle pour que soit seulement envisagé le soutien à une compagnie.
Il nous apparaît tout à fait fondamental que soit préservé le maillage des petites et moyennes salles de spectacle qui jouent un rôle déterminant dans l’articulation entre la création et la diffusion et qui, comme équipements de proximité, contribuent très fortement à l’animation culturelle des quartiers. Pourquoi ne pas envisager une politique imaginative dépassant le rapport théâtre privé-théâtre public et amenant la Ville de Paris à intervenir lorsqu’un lieu est menacé ? A l’instar, par exemple, de ce qu’a fait l’Etat lorsqu’il a racheté le bail du théâtre de l’Athénée. Or, on ne trouve nulle trace, dans votre communication, d’un effort particulier de la Ville de Paris en matière d’investissement pour aider les théâtres privés à faire face à telle ou telle opération d’aménagement.
A une exception près, il est vrai : votre souci de rénovation des salles de cinéma d’art et d’essai. Aussi, j’espère que le plan que vous évoquez n’a pas oublié « Le Berry Zèbre », rare équipement culturel du quartier Belleville et pour lequel la Municipalité du 11e arrondissement vous a récemment demandé d’exercer votre droit de préemption.
Dans le même esprit, comment ne pas évoquer l’avenir de « La Gaîté lyrique » dont l’affectation future- compte tenu des errements financiers du passé – aurait pu faire utilement l’objet d’une large consultation ? Je me permets de vous rappeler la proposition de la municipalité du 3e arrondissement et du Ministère de la Culture de faire de « La Gaîté lyrique » une halle de concert accueillant un orchestre parisien.
Paris a malheureusement pris du retard sur la province, ces dernières années, dans deux domaines. Tout d’abord, c’est le manque cruel de lieux de travail et de répétition financièrement accessibles. La demande est forte, notamment auprès des mairies d’arrondissement. Elle est visiblement parvenue jusqu’à la Mairie de Paris puisque vous annoncez vouloir initier, dans le courant de la mandature, une réflexion pour déterminer les moyens à mettre en oeuvre. J’avoue être stupéfait de constater que vous n’envisagez pas un passage rapide à l’action tant les besoins sont criants.
Par ailleurs, la notion de résidence, facilement répandue dans les grandes villes de province et même aux alentours de Paris, est quasiment inexistante dans la Capitale si l’on considère, bien entendu, qu’il ne s’agit pas d’un simple hébergement, mais de l’acceptation par l’artiste accueilli d’oeuvrer pour la recherche de nouveaux publics.
De fait, on peut s’interroger sur la place de l’artiste dans la Ville quand on constate, par exemple, (mais Bertrand DELANOË l’a déjà évoqué) que le rythme de construction des ateliers et ateliers-logements est largement en deçà de ce qu’il devrait être pour répondre à des demandes nombreuses et anciennes. Ayant évoqué l’offre culturelle, je souhaiterais maintenant aborder l’accès d’un plus grand nombre de nos concitoyens à la culture. A cette fin, vous nous proposez trois pistes : le développement des activités de loisirs encadrées par l’A.D.A.C., des opérations tarifaires et naturellement l’action éducative.
J’aborderai tout de suite ce dernier point, tant il est indispensable. La Maison du geste et de l’image qui fait un travail pertinent de rencontre entre les artistes et les jeunes, de même que la Vidéothèque de Paris, ont une action pédagogique qui mérite d’être saluée. Je suis, en revanche, plus dubitatif sur le nombre de jeunes touchés par les deux petites heures hebdomadaires du « Canal du savoir » diffusées sur « Paris Première » par l’association « Arts et éducation ». En ce qui concerne la politique de loisirs poursuivie dans les ateliers occupationnels de l’A.D.A.C., j’ai été tout à fait interloqué par la hardiesse qui vous conduit à les assimiler à des lieux de dépassement de la fracture sociale. Je pense, en effet, que les objectifs, par ailleurs louables, poursuivis par l’A.D.A.C. ne sauraient être assimilés à une politique de développement culturel et que les fonds mobilisés par des activités très encadrées pourraient, en partie, permettre le financement d’une animation culturelle de proximité laissant libre cours aux initiatives individuelles et collectives. Bref, à l’opposé d’une vision centralisée et institutionnalisée.
L’association « Les invitations de Paris » développe une action pour laquelle vous nous fournissez quelques statistiques quant au nombre de Parisiens concernés. Il manque, a priori, une réelle évaluation pour s’assurer que les buts sont atteints, à savoir la recherche de nouveaux publics. Je crains qu’il ne s’agisse, avant tout, d’opérations tarifaires évidemment sympathiques mais qui s’adressent en priorité à un public ayant une habitude d’accès à l’offre culturelle. Aussi, je tiens à souligner combien une politique tarifaire ne remplace pas une politique de démocratisation culturelle. En envisageant les citoyens uniquement comme des consommateurs culturels, on ne répond pas à la nécessité et au désir d’élévation intellectuelle, « d’arrachement » à sa condition individuelle que représente la fréquentation des oeuvres artistiques par le plus grand nombre.
Les restrictions budgétaires qui ont touché le sous-chapitre intitulé « Encouragements aux beaux-arts et sociétés culturelles » réduisent de fait les marges de manoeuvre permettant de soutenir financièrement nombre d’initiatives locales hors institutions.
Or, il existe là de réelles potentialités quant à la conquête de nouveaux publics, et particulièrement des jeunes.
Nous pensons que l’animation culturelle, dans des quartiers où l’aspiration à la fête est grande et pour laquelle la Mairie de Paris offre si peu de perspectives de financement (le sort réservé aux projets de festivals d’arrondissement en témoigne !) permet, non seulement, l’émergence de nouvelles forces de la création, mais également la levée de nombreux obstacles dans l’accès à la culture.
A nul endroit dans votre communication ne figure le mot intégration. Or, la culture doit être considérée plus que jamais comme un moyen de lutte privilégié contre l’exclusion. Ce rappel conduit d’ailleurs à vous demander pour quelle raison aucun des 29 projets culturels de quartier présentés récemment par le Ministre de la Culture ne concerne un quartier de la Capitale.
En ce qui concerne plus directement les jeunes, il est incontestable que la musique est le mode d’expression culturelle le plus répandu et le plus accessible. Nous aurions aimé que la Ville de Paris fasse preuve en ce domaine d’un peu plus d’audace et évoque son soutien à la pratique amateur ou simplement à l’écoute de formes musicales comme le rock ou le rap. Dans un autre domaine, les associations d’artistes plasticiens, dont l’implantation sur le terrain et la connaissance des réalités de leur quartier sont remarquables, ont pris l’initiative, depuis une quinzaine d’années, d’organiser des journées portes ouvertes dont le succès est croissant. Ces associations ont ainsi su conquérir de nouveaux publics à qui elles offrent un accès facilité aux arts plastiques. Un soutien financier accru de la Ville de Paris m’apparaîtrait, de fait, particulièrement opportun. Enfin, à un moment où les grandes institutions culturelles ont souvent tendance à se replier sur elles-mêmes et à ne plus voir l’environnement qui les entoure, ne serait-il pas utile de les intégrer dans un rapport dynamique entre culture et citoyenneté ? A l’image des joueurs professionnels du P.S.G., parrainant des clubs de football de quartier, ne serait-il pas possible d’envisager que des artistes se produisant sur les grandes scènes subventionnées par la Ville soient sollicités afin de mener ponctuellement des actions d’animation culturelle dans des lieux de proximité ? « En art, et en peinture comme en musique, il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces », disait Gilles DELEUZE. C’est en amplifiant et en diversifiant son soutien à ceux qui « captent des forces » que Paris sera à la hauteur des responsabilités culturelles qui sont les siennes.