Communication de M. le Maire de Paris sur les métiers d’art et les industries de création à Paris.
Le débat est ouvert.
La parole est à M. BLOCHE.
M. Patrick BLOCHE. – Monsieur le Maire, mes chers collègues, la richesse patrimoniale de Paris s’inscrit le plus souvent dans nos débats à travers la protection d’un bâtiment, la préservation d’une cour ou d’un passage, le maintien d’une perspective. Aussi, il est heureux de pouvoir aujourd’hui évoquer la richesse patrimoniale de Paris dans sa dimension humaine, celle de l’existence séculaire de métiers d’art dans leur extraordinaire diversité, celle de la transmission de génération en génération d’un savoir-faire unique, mais aussi – la tradition rejoignant la modernité – celle d’une création culturelle en perpétuel renouvellement, qui contribue de façon si évidente au génie parisien.
Ce génie parisien, nous avons tous la volonté de le faire vivre en cette fin de millénaire, car nous savons la part décisive qu’il prend dans le rayonnement international de Paris.
Dans un univers où les marchandises circulent plus facilement que les hommes, des meubles, des bijoux, des tissus, en un mot des objets franchissent les frontières pour dire au monde : ça, c’est Paris !
N’oublions pas également que le génie parisien connaît une diffusion internationale par la possibilité offerte à des femmes et à des hommes d’autres cultures d’avoir accès à un savoir-faire dont la transmission est assurée au sein d’établissements d’enseignement remarquables.
Ayons le souci de laisser les fenêtres ouvertes et, malgré les tentations actuelles, de refuser un repli sur soi néfaste à l’image internationale de Paris.
Dans le droit fil de l’intervention d’Alain LE GARREC, je souhaiterais tout d’abord traiter de la question essentielle de la formation.
Le succès remporté par les journées portes ouvertes des écoles supérieures d’arts appliqués montre que la sensibilisation des jeunes aux métiers d’art et de la création est grande. Sur le plan pédagogique, j’espère que le comité d’orientation et de développement de l’enseignement professionnel et technologique saura vaincre nombre de résistances d’ordre budgétaire pour développer l’offre de formation.
Ainsi, des métiers disparaissent par manque de cursus adéquat. Dans le domaine de l’art du meuble, par exemple, on ne trouve plus des vernisseur metteur en couleurs, car l’Education nationale ne veut pas envisager la création d’un C.A.P. dans cette spécialité.
Autre exemple, autre proposition : une profession à haute valeur artistique, celle de la restauration, est actuellement à la recherche d’une reconnaissance, d’une identité, qui passe par la définition préalable de critères de professionnalité. La part de l’auto-formation y demeure prégnante. Il est, de ce fait, regrettable que l’école Boulle ne puisse actuellement proposer une formation amenant des jeunes du niveau Bac à un diplôme d’études approfondies en restauration. Et pourtant le projet est prêt. Le partenariat avec la Sorbonne est établi. La Ville et le ministère ont conjointement donné leur feu vert pédagogique.
Alors pourquoi ce retard ?
Tout simplement, Monsieur le Maire, parce que la Ville de Paris n’assume pas des responsabilités que votre communication passe soigneusement sous silence.
Notre Assemblée municipale, grâce à notre collègue Maryse LE MOEL, a décidé récemment de la grande question de l’entretien et de la mise aux normes de ces critères définis par une directive européenne de novembre 1989 et un décret de janvier 1993, des machines utilisées par les établissements d’enseignement professionnel parisien.
Il a fallu que des élèves des écoles Boulle, Duperret et Estienne-d’Orves expriment leur colère dans la rue pour que vous preniez enfin conscience qu’il fallait remplacer les installations obsolètes devenues dangereuses. Pourtant, responsables d’établissements et enseignants vous avaient alerté en 1992.
Actuellement, à la suite de plusieurs rapports de l’Inspection du travail, de nombreuses machines sont immobilisées entravant de fait l’activité de plusieurs ateliers.
Alors que nous n’en sommes qu’au stade de l’expertise, nous souhaitons nous assurer de votre volonté de mobiliser les moyens financiers nécessaires.
Cette situation m’amène naturellement, puisqu’il s’agit de crédits d’investissement, à évoquer le triste état dans lequel se trouvent des établissements municipaux, dont vous soulignez, à juste titre, le caractère prestigieux et la réputation internationale.
Pourtant, en 1993, la Ville a décidé de rénover et de développer ces écoles d’art. Une délégation du groupe socialiste a récemment visité l’école Boulle et le lycée Lucas-de-Néhoux.
Nous avions pu constater la distance qui existe entre le discours et les actes. Ainsi, en ce qui concerne l’école Boulle, une étude a été conduite durant une année afin d’élaborer le projet d’une vaste restructuration permettant d’accueillir une plus grand nombre d’élèves et de proposer de nouvelles filières de formation, et alors que les plans sont prêts, rien ne bouge et vous donnez, ainsi par votre inaction, une bien mauvaise image de Paris aux nombreux visiteurs nationaux de cette école.
La suite de mon intervention portera si vous le permettez, sur un quartier qui m’est cher, puisque j’en suis l’élu, et qui symbolise depuis des siècles à Paris le travail du bois, des métaux, de la pierre et du textile. Je veux parler du faubourg Saint-Antoine.
J’associerai d’ailleurs à mon propos mes collègues et amis Michèle BLUMENTHAL et Gérard REY, élus du 12e arrondissement.
Les lignes que vous y consacrez, Monsieur le Maire, ressemblent malheureusement au reste de votre communication. Aucun bilan chiffré permettant de prendre la mesure d’un déclin dont votre politique de laisser-faire et de laisser-aller est en partie responsable.
Un catalogue de bonnes intentions qui devrait curieusement trouver leur soudaine réalisation en 1997 et 1998, alors même que vous ne prenez aucun engagement de caractère budgétaire.
En un mot, l’absence d’une vision globale, permettant de bâtir un vrai dossier de développement des métiers d’art et des industries de création, à Paris, et notamment le faubourg Saint-Antoine.
Les activités traditionnelles du faubourg Saint-Antoine ont été victimes, conjointement, ces dernières années, de la spéculation immobilière , de la mondialisation de l’économie et d’une non intervention de la Mairie de Paris, qui aurait pu préserver la mixité qui caractérise ce quartier par un exercice judicieux par exemple de son droit de préemption.
Il est révélateur qu’il ait fallu attendre 1996 pour que soit annoncée le lancement d’une étude du C.I.S.A.C visant à établir un diagnostic actualisé de la situation, c’est-à-dire le constat des dommages irrémédiables causés à des métiers d’art, dont certains risquent définitivement de disparaître comme par exemple celui de tourneur.
Le déplafonnement des loyers commerciaux, lors de leur renouvellement, passe par une utilisation abusive de la notion de changement des facteurs locaux de commercialité, qui fait toujours des ravages et menace réellement l’activité du faubourg et modifie en profondeur la physionomie du quartier.
Il est significatif que votre communication consacre si peu de lignes à la question vitale des locaux, sans d’ailleurs sortir des généralités, et par contre plus de publicité au Viaduc des Arts.
Il n’est pas dans mon intention de remettre en cause cette réalisation esthétiquement réussie. Pour les touristes, pour les promenades dominicales des Parisiens, l’agrément est incontestable.
La commercialité viendra sûrement avec le temps, question d’habitude.
Constatons cependant que l’activité de fabrication sur place se trouve limitée par le volume des voûtes de l’avenue Daumesnil et par l’impossibilité d’y installer des machines.
Les entreprises artisanales peuvent rarement délocaliser totalement et seules les plus solides financièrement peuvent proposer une prestation de services.
Le Viaduc des Arts a connu une commercialisation qui mériterait quelques questions, puisque la priorité des installations aux artisans du quartier ou la recherche d’une cohérence globale n’ont pas été les critères retenus.
Les coûts d’aménagement intérieur, ainsi que les montants des loyers connus ne nous permettant pas de considérer le Viaduc des Arts comme une réalisation à caractère dirons-nous sociale.
Georges SARRE vient d’évoquer le P.V. du conseil d’Administration de la S.E.M.A.-EST du 15 mai 1996 qui note : » Quelques artisans, dont une bonne part des créateurs d’entreprises, ont des difficultés et ont du mal à assurer la charge du loyer « .
Depuis nos précédents Conseils, deux arrêts d’activités ont eu lieu et d’autres ne sont pas à exclure. Le Viaduc des Arts est, selon vos termes, une vitrine, c’est en effet le terme qui convient !
Gardons nous que l’attrait de la vitrine ne masque pas l’état de l’arrière-boutique. Savez-vous, mes chers collègues, qu’à Paris, ces trois dernières années, le secteur privé a déposé des permis de construire pour la transformation de 41.000 mètres carrés d’ateliers en logements ? Ainsi face à cette évolution je vous propose, Monsieur le Maire, non pas une conservation frileuse du faubourg Saint-Antoine, mais sa reconquête dynamique et volontaire pour tous ceux qui créent, qu’ils soient artisans ou actifs, pour tous ceux qui ont l’audace quotidienne d’allier tradition et modernité.
La Municipalité se doit de prendre des initiatives qui relèvent de sa responsabilité et qui vont au-delà de mesures aussi sympathiques soient-elles, comme la mise en place d’une signalétique spécifique ou la création d’un lieu permanent d’exposition et d’animation.
Je vous suggère, en conséquence, les mesures suivantes : que la Ville exerce son droit de préemption dans le but de maintenir l’indispensable mixité et diversité des activités artisanales et commerciales qui font la richesse du faubourg Saint-Antoine, que les actions de réhabilitation suscitées par le lancement des deux O.P.A.H. ne provoquent pas une hausse incontrôlée des loyers commerciaux et prennent en compte la difficulté de déplacer, même temporairement, des activités artisanales nécessitant l’utilisation d’un matériel lourd.
Il faut que la création d’un hôtel industriel à vocation artisanale, que la réalisation de locaux d’activités neufs, en pied d’immeubles, à l’initiative de la Ville prennent en compte l’objectif premier de fonctionnalité des surfaces mises à la disposition des artisans d’art et des créateurs.
A titre d’illustration, un ébéniste se doit de combiner sur un même site, je le rappelle, des ateliers de fabrication et des espaces d’exposition.
Il faut enfin que le montant des loyers de ces surfaces mises à disposition par la Ville soient intelligemment calculés pour être supportables, par la prise en compte de la superficie nécessaire, ce qui signifie un prix au mètre carré dégressif et qui suit le chiffre d’affaires de l’entreprise artisanale locataire.
Au moment de conclure, je me permettrai , Monsieur le Maire, une ultime observation : cet débat, en effet, permet de prendre la mesure du rôle essentiel joué par les métiers d’art et par les industries de création en matière de création d’emplois, de vitalité de nos quartiers, de dynamisme culturel, de rayonnement international de Paris.
Il reste néanmoins une interrogation fondamentale qui se double d’une inquiétude que votre communication n’a pas su dissiper, celle de la place si menacée aujourd’hui de l’artisan, de l’artiste dans la cité.
Je vous remercie.
(Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, du Mouvement des citoyens et communiste).