Budget de la Culture 1998

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers Collègues,

J’aurais quelque difficulté à dissimuler mon plaisir en intervenant, ce matin, sur le budget de la Culture pour 1998 qui marque le terme d’une dérive qui avait progressivement fait de la Culture un secteur sinistré de l’action gouvernementale.

L’engagement est tenu : la Culture est redevenue une priorité de l’intervention de l’État et vous avez, Madame le Ministre, les moyens budgétaires de votre politique, qui ne saurait naturellement se limiter à un simple redéploiement mais qui, dans la durée, doit permettre une véritable refondation de l’action culturelle dans notre pays. Plus que jamais, le service public de la Culture doit s’articuler autour de trois principes :

* Le principe de mutabilité, car la politique culturelle doit pouvoir s’adapter à l’évolution des besoins collectifs,
* Le principe de continuité, car la politique culturelle ne saurait se satisfaire d’actions ponctuelles, sans cohérence dans le temps,
* Le principe d’égalité, enfin, qui entraîne avec lui l’idée de la démocratisation dans l’accès à la Culture.

Me permettrez-vous de m’arrêter un instant sur le sens qu’il est souhaitable de donner à la  » démocratisation culturelle  » ?
Cet objectif doit, en effet, se traduire par des gestes forts tant envers ceux qui créent et offrent l’activité culturelle, qu’envers ceux qui la demandent et la reçoivent.

J’ai ainsi la conviction que les pratiques amateurs ou semi-professionnelles ne doivent pas être seulement perçues comme un champ parmi d’autres de l’action culturelle, mais bien comme une priorité. Moyens d’épanouissement et d’expression de soi, vecteurs de communication et d’intégration sociale, les pratiques amateurs ne peuvent s’inscrire durablement dans le cadre du seul bénévolat associatif. L’État n’a-t-il pas comme mission de permettre le développement harmonieux de ces pratiques diverses et multidisciplinaires, par le subventionnement, mais aussi par des incitations à la formation ou à la mise à disposition d’infrastructures ?

Une politique de démocratisation culturelle ne saurait, par ailleurs, se limiter à une seule politique tarifaire.
En envisageant uniquement nos concitoyens comme des consommateurs culturels, on ne répond pas à la nécessité et au désir d’élévation culturelle,  » d’arrachement  » à sa condition individuelle que représente la fréquentation des œuvres artistiques par le plus grand nombre.
La conquête de nouveaux publics, je pense particulièrement aux jeunes, passe à cet égard par l’école où l’éveil culturel prend toute son importance et tout son sens.

L’art, la musique, la danse, le théâtre sont autant de domaines où les élèves gagneraient à pouvoir conjuguer esprit de création et désir d’expression ; ce qui m’amène, Madame la Ministre, à souhaiter votre investissement dans deux domaines, celui de l’enseignement artistique et celui de la réforme des rythmes scolaires.

Je souhaiterais compléter mon intervention en évoquant la question de la répartition des crédits culturels de l’Etat entre Paris et la province, thème abordé – sans réelle surprise – par les deux rapporteurs.
Je suis évidemment sensible, comme chacun sur ces bancs, à la nécessité de développer l’offre culturelle en Province. N’ayons pas, cependant, une interprétation trop hâtive des chiffres qui ne prendrait pas en compte le fait que Paris et la province sont deux entités plus complémentaires que concurrentes.
 » On a essayé, écrivait Jules Vallès, de créer un antagonisme entre lui – comprenez Paris – et le reste de la France . On disait qu’il voulait être le maître orgueilleux du pays. Allons donc ! Il n’est que le fils généreux de la patrie ! Il n’est fort et il n’est grand que parce que son sang se renouvelle et se rafraîchit chaque fois que, dans le fond d’un département, un gars de volonté ou de courage est blessé, qui vient laver sa plaie dans l’eau de la Seine et loger son cœur dans le grand cœur de Paris !  »

Cette citation se trouve illustrée, tous les jours, dans mes contacts d’élu parisien.
Qui sont, en effet, les acteurs culturels que je rencontre régulièrement dans ma circonscription et qui ont choisi Paris comme territoire de leur création, sinon des provinciaux dans leur grande majorité.

 » Immense délégation de toutes les Provinces « , comme disait Mauriac, Paris reste très souvent le lieu d’une reconnaissance, même si la décentralisation engagée depuis quinze ans a bouleversé le paysage culturel de notre pays.

Les Parisiens bénéficient naturellement de l’effort de l’État en faveur de grandes institutions culturelles de la Capitale. J’observe cependant qu’un équipement aussi prestigieux que l’Opéra Bastille, qui se trouve au cœur de ma circonscription, reste étranger aux femmes et aux hommes qui vivent et travaillent dans son environnement.

Il ne s’agit pas pour moi d’évoquer le temps où l’Opéra Bastille se voulait populaire jusque dans son appellation, mais de constater presque banalement que l’art lyrique, du moins à Paris, n’a pas su réellement se démocratiser.

Comme l’actualité nous indique que vous serez sans doute amenée, Madame la Ministre, à vous saisir bientôt du dossier de l’Opéra national de Paris (doit-on remercier Patrick Dupond ?), je souhaiterais vivement que vous puissiez profiter de cette opportunité pour repréciser les missions que vous fixez à sa direction.

Je voudrais enfin attirer votre attention sur le fait que nombre de quartiers périphériques parisiens, notamment dans l’Est de la Capitale, souffrent d’une réelle pénurie culturelle, alors que l’aspiration à la fête y est grande et que les nouvelles forces de la création y sont présentes et ne demandent qu’à émerger.

Paris manque ainsi cruellement de lieux de travail et de répétition et la notion de résidence y est quasiment inexistante. On peut ainsi légitimement s’interroger à Paris sur la place de l’artiste dans la Ville.

Les Parisiens sont aujourd’hui victimes, d’une part, de la politique élitiste de la Mairie de Paris, qui a eu comme principal souci, durant vingt ans, de concurrencer l’intervention culturelle de l’État dans la Capitale (plus de 100 millions de francs de subvention municipale, chaque année pour le Châtelet !) et, d’autre part, des restrictions budgétaires désormais programmées par une ville endettée, qui font que les investissements culturels chutent de 20% par an et que les faibles marges de manœuvre qu’on pouvait mobiliser pour l’action culturelle de quartier n’existent quasiment plus.
Si moindre effort financier de l’État, il doit y avoir à Paris, de grâce, qu’il ne se fasse pas aveuglément et au détriment de ces milliers d’acteurs de la Culture du quotidien et de la proximité.

Monsieur le Président, Madame la Ministre, mes chers Collègues,  » En art, et en peinture comme en musique, il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces « , disait Gilles Deleuze. C’est en amplifiant et en diversifiant son soutien à ceux qui  » captent des forces  » que notre pays sera à la hauteur des responsabilités culturelles qui sont les siennes.