Projet de loi relatif à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers Collègues,
Responsabilité et dignité : telles sont les caractéristiques essentielles, à mon sens, du projet de loi que vous nous présentez, Monsieur le Ministre, au nom du Gouvernement.
La responsabilité, tout d’abord. Elle est nécessaire en ce domaine, car l’immobilisme ne servirait d’autre cause que celle des détracteurs de la République. Cette responsabilité consiste à assurer la maîtrise des flux migratoires ainsi qu’une amélioration des dispositifs de lutte contre l’immigration illégale et le travail clandestin, sources d’exploitation et de non-respect des droits sociaux.
La dignité, quant à elle, apparaît comme la source première d’inspiration de ce texte. Notre tradition républicaine n’aurait pu se satisfaire plus longtemps d’une législation qui allait à l’encontre de certains de ses principes parmi les plus fondamentaux. C’est le droit au séjour régulier, c’est le droit à l’asile, c’est le droit à une vie privée et familiale normale, ce sont tous ces droits politiques et sociaux qui donnent sa dimension démocratique au  » vivre ensemble  » au sein de la collectivité nationale.
Je souhaiterais aborder un aspect de la législation qui mérite, de mon point de vue, une attention toute particulière, tant il influe sur l’image de la France et son rayonnement extérieur. Je veux parler de la politique des visas.
L’octroi ou le refus d’un visa conditionne, en effet, l’entrée sur le territoire national et constitue ainsi la matérialisation de la possibilité offerte ou non aux étrangers d’y pénétrer. C’est, naturellement, le premier facteur d’un accueil régulier et respectueux des étrangers.
Avant toute chose, je me réjouis de la volonté exprimée hier dans cet hémicycle par Hubert VEDRINE, au nom du Gouvernement, d’un traitement particulier des visas attribués aux femmes et aux hommes qui sont confrontés quotidiennement au drame que vit l’Algérie.
Je voudrais souligner ici le nécessaire renouvellement des conditions d’attribution des visas, tant dans l’élaboration de la réglementation que dans son application matérielle.

Depuis la suspension, le 16 septembre 1986, des accords bilatéraux conclus par la France et qui dispensaient de l’obligation de visa consulaire pour les courts séjours – exception faite des pays de la CEE et de la Suisse – les visas sont redevenus un instrument essentiel de régulation des flux d’entrée sur le territoire de notre pays.

Comme l’a rappelé Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, lors de son audition devant les Commissions des Lois et des Affaires étrangères, la grande majorité des 85 millions d’étrangers qui entrent chaque année en France sont dispensés de l’obligation de visa, soit en raison de leur qualité de citoyen de l’Union Européenne, soit parce qu’ils bénéficient des dispositions d’un accord bilatéral de suppression des visas. Chaque année, ce sont donc 2 millions de visas qui sont accordés par nos postes diplomatiques et consulaires. La principale faille du système actuel réside sans doute dans l’uniformité de traitement des demandes de visas, sans une prise en compte suffisante des motivations individuelles.
Des mesures ont, d’ores et déjà, été prises pour améliorer la politique française des visas et, plus généralement, les échanges internationaux centrés sur la France. Pour la première fois cette année, le Ministère des Affaires étrangères admet, en effet, l’impact des réglementations nouvelles en matière de circulation et de séjour des étrangers sur les échanges dans les relations culturelles, scientifiques et techniques. Des accords de suppression de l’obligation de visa de court séjour ont été conclus avec certains pays comme le Brésil, l’Argentine, Israël, ou la Malaisie. Par ailleurs, les longs séjours n’étant pas soumis aux accords de Schengen, la réglementation en vigueur est strictement française. Aussi, la décision de supprimer l’obligation de visa de retour, intervenue le 1er juillet 1997, a-t-elle permis de faciliter les déplacements des ressortissants des 58 pays visés, titulaires d’une carte de séjour en France.

Le présent projet de loi amorce une démarche très positive, en supprimant des formalités inutiles, et, surtout, en rendant obligatoire la motivation du refus de certains visas d’entrée. Il est aisément compréhensible que la motivation systématique des quelques 400 000 refus décidés chaque année poserait plus de difficultés pratiques qu’elle n’en résoudrait. En revanche, cette motivation obligatoire apparaît amplement légitime à l’égard des six catégories de personnes concernées, dont la situation personnelle ou familiale justifie cette considération particulière.
Cette motivation obligatoire de certains refus de visas d’entrée doit donc être considérée comme un réel progrès, non seulement de la législation sur les étrangers mais aussi, plus largement, de l’Etat de droit.

A plus long terme, et dans le respect des engagements pris par la France dans le cadre des accords de Schengen, une réflexion portant plus précisément sur la politique des visas devrait poser, d’une part, la question d’un élargissement, non systématique, mais maximal des motivations de refus, et, d’autre part, celle d’un accroissement du nombre de visas automatiques pour certaines catégories de personnes et de pays.
Néanmoins, le bon accueil des étrangers sur notre territoire ne dépend pas seulement de la réglementation en vigueur, mais tout autant de ses conditions matérielles.

Me permettrez-vous de citer ici une situation évoquée dans la revue de la Ligue des Droits de l’Homme, celui des consulats français au Maroc. Je cite :  » Les trois consulats de France, ceux de Rabat, Casablanca et Fès, qui reçoivent les demandes de visas ouvrent leurs portes à 8 heures du matin et les referment… à 10 heures. D’où des queues, le matin, de cent à cinq cents personnes selon les moments de l’année, qui se forment depuis au moins 6 heures, voire, dans la période des vacances d’été qui correspond à la plus forte demande, dès la tombée de la nuit pour le lendemain. Ce qui laisse libre cours à un marché noir auquel se livrent de jeunes chômeurs qui revendent le matin les places qu’ils ont gardées dans la queue : une place, l’été, vaut 200 dirhams (environ 120 francs), coût qui s’ajoute à celui du visa espéré, qui est, quant à lui, de plus de 500 dirhams (environ 350 francs), alors que beaucoup d’autres pays, notamment l’Espagne et l’Italie, délivrent leurs visas gratuitement.  »

Cet exemple ne saurait refléter, bien entendu, les conditions générales d’attribution des visas, mais a le mérite de nous amener nécessairement à réfléchir sur les aspects pratiques et quotidiens d’une bonne politique des visas.

Cela passe, sans doute, par une accélération des procédures et par un accueil plus attentif des demandeurs, mais aussi par un effort concernant les agents de nos postes diplomatiques, en termes de formation et de statut notamment.

Enfin, les implications concrètes de certains aspects de la politique des visas et de l’accueil des étrangers méritent d’être repensées. Sans prétendre à l’exhaustivité des situations, prenons un cas précis mais de première importance : celui de l’accueil des étudiants étrangers. Les bourses étant prioritairement attribuées aux étudiants déjà formés, particulièrement dans les domaines scientifique, juridique, technique et commercial, on se trouve confronté à cette situation paradoxale que les étudiants se spécialisant en langue française ont les difficultés les plus grandes à se rendre en France même, certains se tournant alors vers la Belgique ou la Suisse.

Il est donc nécessaire aujourd’hui de mettre en œuvre une politique qui permette une inflexion plus conforme à la tradition d’accueil de notre pays, particulièrement à l’égard de ceux qui pratiquent sa langue et partagent sa culture.

Nous ne saurions, en toute logique, d’un côté, promouvoir la culture française à l’étranger et, de l’autre, empêcher la possibilité de connaître notre pays de l’intérieur. Or, tant notre action culturelle extérieure que notre volonté de développer la francophonie passent, j’en suis convaincu, par la création d’un désir de la France. L’heure n’est plus aux déclarations incantatoires sur la francophonie mais à sa réalité…une réalité humaine, qui engendre nécessairement et naturellement le besoin, presque physique, de toucher la culture française au plus près, c’est-à-dire en France même. Aussi, si, par notre action culturelle extérieure, ce désir de la France est créé, il ne saurait ensuite, par une réglementation inadaptée, être frustré.
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité défendre devant vous une approche de la politique française des visas et des conditions d’entrée et d’accueil des étrangers, qui soit tout à la fois réaliste et ambitieuse.

Pour que notre fierté d’être Français ne s’exprime pas dans un repli intérieur mais dans un échange avec l’autre, avec l’étranger et sa propre fierté.
Pour que, à la question  » Quelle serait l’idée de nation la plus proche de votre conception de l’Etat et de la démocratie ? « , nous, Français et étrangers accueillis en France, puissions répondre, à la suite d’Emmanuel LEVINAS :  » C’est très simple : la France. « .