Cité des Sciences et de l’Industrie – Éducation et Francophonie.

Table ronde :  » Les autoroutes de l’information : quels défis et quels enjeux pour la francophonie ? « 


Je ne saurais dissimuler mon plaisir d’introduire, dans ce lieu privilégié pour la science et les nouvelles technologies, un débat qui doit nous amener à échanger interrogations et perspectives sur le lien entre Internet et francophonie.
Je participe à cette discussion avec à l’esprit deux expériences, l’une passée, l’autre à venir.
Rapporteur à l’Assemblée nationale du budget des relations culturelles internationales et de la francophonie, j’ai tenu, en effet, dans mon premier rapport élaboré en octobre dernier, à inscrire la francophonie dans la société de l’information.


Je vais, par ailleurs, être chargé très prochainement par le Premier ministre d’une mission concernant la présence de la France et de la francophonie sur les réseaux d’information. C’est ainsi vous avouer que dans six mois j’aurai, je l’espère, bien plus de choses à dire…
En préalable, je souhaiterais rappeler très brièvement l’effort budgétaire fait en faveur de la francophonie à l’heure actuelle.
L’ensemble des crédits consacrés aux relations culturelles internationales et à la francophonie représentent près de 8 milliards de francs, soit 0,5 % du budget de l’Etat. Dans la loi de finances pour 1998, les relations culturelles internationales et la francophonie constituent un secteur relativement protégé de l’action extérieure du Gouvernement. Les crédits de la Direction Générale des Relations Culturelles, Scientifiques et Techniques du Ministère des Affaires étrangères augmentent de 0,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1997, mais de 5 % par rapport aux crédits effectivement attribués.
Cette différence mérite d’être soulignée, tant la pratique des régulations budgétaires est néfaste pour l’image de la France, les annulations de programmes dans lesquels notre pays est engagé en partenariat ayant, naturellement, des répercussions dommageables. La francophonie n’a pas été épargnée, puisque les annulations de crédits l’ont touché en 1997 à hauteur de 2,7 millions de francs. Cela m’a amené à demander solennellement au Gouvernement que 1998 soit enfin une année durant laquelle l’exécution du budget coïncidera le plus fidèlement possible avec ce qu’a voté le Parlement.
La francophonie continue d’être promue par une politique sectorielle traditionnelle mais nécessaire et relativement ambitieuse. La scolarisation française à l’étranger est ainsi considérée comme une priorité. En témoignent les crédits attribués à l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE). La modernisation du réseau culturel participe également de la promotion de la francophonie, et se traduit actuellement par le rapprochement du réseau des alliances françaises de celui des instituts et centres culturels.
Ces différentes actions (on pourrait aussi citer les interventions de l’AFAA ou l’audiovisuel extérieur), ancrées de longue date dans la politique culturelle extérieure de la France, demandent que l’on s’arrête un instant sur le sens même que l’on donne à la francophonie et sur les ambitions qu’on lui prête. Ce n’est pas inutile si on veut réfléchir à de nouveaux modes de promotion.

Comment se définit, en effet, la francophonie dans un environnement mondialisé, ou plutôt comment doit-on la définir ?
L’apprentissage et l’utilisation de la langue française ne sont jamais mieux servis que lorsqu’ils résultent d’un désir. J’ai la conviction que c’est en créant un désir de la France, en démontrant l’intérêt et les potentialités de la langue et de la culture françaises, tout particulièrement dans le domaine de la création, que l’on agira le plus efficacement en faveur de la francophonie.
Loin des déclarations incantatoires et nostalgiques sur la francophonie trop souvent entendues, nous devons prendre en compte le fait que la langue française n’est pas seulement apprise pour elle-même ou pour sa beauté, mais bien parce que son appropriation permet la réalisation de projets, qu’ils soient collectifs ou individuels.
Si ce désir de la France est réellement suscité, il ne saurait ensuite être frustré.
Aussi, la question de l’attribution des visas et donc de l’entrée sur le territoire national de tous ceux qui veulent approfondir leur apprentissage de la langue française, se pose-t-elle ici avec une acuité particulière.
Entendue ainsi, la francophonie, loin d’être menacée inéluctablement par l’uniformisation linguistique et culturelle, doit explorer toutes les pistes offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Comment faire alors d’Internet, réseau mondial, un vecteur privilégié de promotion de l’identité francophone ?
Si la nouvelle donne apportée par Internet a inspiré plusieurs rapports parlementaires, un certain nombre de considérations peuvent être formulées sur Internet et francophonie. Le rapport de Monsieur Poignant souligne ainsi les enseignements à tirer des expériences canadienne et québécoise en la matière.
Un des obstacles majeurs à cette extension réside dans la non-couverture par le réseau de certaines zones francophones ou francophiles.
Cet isolement provient moins d’une absence de matériel informatique que de la carence en liaisons téléphoniques proprement dites, en Afrique par exemple, ou du prix exorbitant des communications par câble, notamment dans un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale.
Il apparaît donc souhaitable qu’une homogénéisation des conditions d’accès par la transmission de données sur Internet voit le jour, à l’image de ce que fut la création de l’Union postale universelle.
Le bilan de la place de la francophonie sur Internet, si l’on se réfère aux statistiques de l’équipe de Babel présentant le palmarès des langues de la  » Toile « , indiquait ainsi, il y a six mois, que le français est la quatrième langue pratiquée sur le Web, après l’anglais, évidemment, mais aussi le japonais et l’allemand. Tout indique cependant que ce retard est rattrapé jour après jour…
Un certain nombre d’initiatives ont déjà été prises, souvent avec peu de moyens, comme l’université virtuelle de l’AUPELF-UREF, coproduite avec les pays africains, qui offre, contrairement aux pratiques  » clefs en mains  » américaines, d’intéressantes perspectives de libre association des partenaires, rejetant toute tentation néo-colonialiste ou impérialiste.
Les centres culturels, et éventuellement les alliances françaises, doivent être les lieux privilégiés d’installation de points d’accès au réseau, particulièrement dans les pays où les connexions sont chères ou insuffisamment nombreuses. L’expérience, plus conviviale, des cybercafés peut constituer un ensemble attrayant parallèle aux médiathèques mises en place dans ces établissements, comme j’ai pu le constater à l’Institut français de Bucarest.
Il est, par ailleurs, essentiel de promouvoir la création de sites francophones. Là aussi, l’indispensable homogénéisation des coûts s’impose. En effet, la création d’un site avec l’achat d’un nom de domaine revient à 100 dollars aux Etats-Unis, mais à près de 4 000 francs en France. Si le soutien aux associations productrices de contenus, légitimement soucieuses de leur indépendance, est délicat, la puissance publique pourrait acheter une bande passante sur le Web pour y héberger les sites des centres culturels à l’étranger et leur activités créatrices.
Le choix a d’ores et déjà été fait de mettre en ligne divers renseignements concernant la France ainsi que des informations d’ordre administratif. Une extension pourrait donc être prévue à la présentation d’activités et de manifestations notamment culturelles. Par la suite, ces sites pourraient héberger des pages créées, en langue française, par une personne ou une association.
Le Gouvernement, par la voix du Premier ministre, à Hourtin, le 25 août dernier, en ne suivant pas Bill Clinton dans sa vision ultra-libérale, a affirmé la nécessité d’une intervention volontaire, lisible et durable de l’Etat.
Lionel Jospin a ainsi déclaré :  » La France et la culture française doivent occuper toute leur place dans la société mondiale de l’information.  »
Afin de renforcer la présence internationale de la France et de la francophonie, le programme d’action gouvernemental, présenté il y a deux mois, propose trois pistes principales.

Il s’agit, tout d’abord, de favoriser l’accès aux ressources françaises et d’accompagner leur internationalisation.
Pour cela :

  • la dimension internationale des sites Internet français doit être renforcée. Un mécanisme de labellisation est ainsi prévu.
  • l’Etat doit donner l’exemple en matière de plurilinguisme. C’est ainsi la traduction en deux langues étrangères au moins de l’ensemble des sites Internet de l’administration.
  • la nécessaire présence du français dans les organisations internationales doit être une réalité pour les informations mises en ligne par ces organisations.
  • l’appropriation des technologies de l’information et de la communication par le plus grand nombre suppose une promotion volontariste de l’usage des termes francophones, comme le Québec nous en a donné l’exemple. La Délégation générale à la langue française propose d’ores et déjà un glossaire d’équivalences dont l’emploi doit être encouragé.
  • les ressources linguistiques permettant le traitement automatisé de l’information et l’édition électronique seront développées.
  • la création d’un site multilingue,  » France.fr « , permettra d’accéder à des informations de références sur notre pays et offrira un ensemble de liens vers d’autres sites.


En second lieu, il faut développer l’utilisation des réseaux d’information par les missions diplomatiques françaises à l’étranger.
Le rôle de diffusion de l’information des postes diplomatiques et des organismes spécialisés, telle l’Agence pour la Diffusion de l’Information Technologique, sera renforcé.

Enfin, il est nécessaire de mettre les technologies de l’information et de la communication au service de la solidarité pour le développement, et de la francophonie.

  • en matière de coopération et de développement, les technologies de l’information et de la communication doivent être mises à profit pour enrichir les ressources documentaires, renforcer la maîtrise des techniques et créer des contenus. C’est, par exemple, l’objectif poursuivi par une initiative d’origine associative intitulée  » Initiative Diderot « .
  • le recueil et la numérisation de la mémoire scientifique, technique et culturelle du Sud passe par le développement des bases de ressources partagées au sein de la francophonie.
  • la France se doit de contribuer à renforcer la diffusion de contenus en français sur Internet et de participer par là même au rayonnement des cultures et des savoirs des pays ayant le français en partage. On peut ainsi citer le projet  » Résafad « , réseau africain de formation à distance, qui fonctionne actuellement dans cinq pays pour former des directeurs d’écoles, ainsi que le projet  » Arche  » d’harmonisation des programmes d’enseignement en français, mathématiques et physique qui concerne 17 pays.
  • la création du fonds de développement des inforoutes, lors du sommet de Hanoï, doit enfin permettre d’encourager la mise en œuvre de projets concrets dans les pays francophones afin de les inciter à s’engager dans la société de l’information dans une perspective de partenariat Nord/Sud.

Le développement de la francophonie passe naturellement par la multiplication du nombre des sites et des connexions.
Mais il s’agit aussi de développer une francophonie de qualité par une attention toute particulière portée aux contenus.
Car toutes les pistes qui viennent d’être développées s’appuient finalement sur le principe qui donne toute sa dynamique à Internet : le contenu appelle le contenu.