Projet de loi d’orientation et d’incitation relatif à la réduction du temps de travail

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers Collègues,

Lors du débat du 12 juin 1936, sur la semaine de 40 heures, le Président du Conseil, Léon Blum, déclarait en ce lieu :  » Vous savez ce que nous essayons de faire, c’est une organisation économique et sociale nouvelle dans le cadre d’un pays libre, entre des organisations patronales et syndicales libres, sous l’égide ou l’arbitrage d’un Gouvernement soumis à un Parlement souverain et, par conséquent, dans le cadre d’une démocratie. « . Je me réjouis, ainsi, Madame la Ministre, de constater à quel point vous avez su ancrer les 35 heures dans notre tradition démocratique et sociale, forte de l’impulsion de la loi, tout en laissant à la négociation tout le champ qui lui est nécessaire.

Il revient donc aujourd’hui au Gouvernement de proposer le cadre d’une révision ambitieuse de notre organisation collective du travail, car le travail, ce n’est pas seulement un nombre d’heures dont le salarié doit rendre compte à son entreprise. Le travail, c’est toujours le fondement de notre vie sociale. Le travail, c’est une valeur centrale en continuelle évolution et aujourd’hui confrontée aux défis de la société de l’information. La croissance de la part immatérielle de la richesse produite et le développement des nouveaux réseaux d’information – outre qu’ils constituent un formidable gisement d’emplois – vont, en effet, progressivement révolutionner notre environnement social. Aussi, les négociations d’entreprise qui se dérouleront dans les deux ans à venir – et elles seront nombreuses – permettront, notamment, de s’inscrire dans cette perspective et de réaliser des combinaisons innovantes, créatrices, fortes d’une imagination auquel le projet de loi invite délibérément.
Je salue tout particulièrement, en tant qu’élu du Faubourg Saint Antoine, le dispositif de réduction du temps de travail qui s’adaptera aux petites entreprises dans les quatre ans à venir, avec un soutien renforcé pour les entreprises de main d’œuvre et à bas salaires.

Nous ne voulons pas, comme il est parfois dit, partager une quantité de travail donnée. L’image d’un gâteau dont on réduirait la taille des parts est décidément par trop simpliste. Nous voulons redonner du souffle à notre économie, partager le travail, oui, mais une quantité de travail croissante. Croissante, car une nouvelle organisation du travail dynamisera les entreprises; croissante, car les gains de productivité bénéficieront aux entreprises ; croissante, enfin, car la croissance est déjà au rendez-vous.

La bataille pour l’emploi est, ainsi, l’objectif premier de ce projet de loi. Son corollaire est la création de temps libéré. Naturellement, c’est avec quelque précaution qu’on évoquera le développement de ce temps libre pour les salariés, alors que plus de trois millions de chômeurs attendent de nous des réponses au premier mal qui frappe notre économie et, surtout, leur vie. Néanmoins, il est certain que le temps libéré permettra, d’une part, d’avoir plus de ce  » temps qu’on dirige soi-même  » – pour reprendre votre formule, Madame la Ministre – et, d’autre part, d’être créateur d’emplois dans certains secteurs de l’économie et je souhaiterais évoquer plus précisément celui de la culture.
Comme l’indique Jean-Michel DJIAN dans son ouvrage sur La politique culturelle,  » quand on sait que 55 % des Français ne sont encore jamais allés au théâtre, 12 % au cinéma ; que 82 % n’ont jamais assisté à un concert de jazz et 71 % à un concert de musique classique, on imagine à quel point il reste de chemin à parcourir, une économie originale et des emplois à créer. « . Les dépenses culturelles des ménages augmentent de 15 % par an : de 60 milliards en 1987, elles sont passées à 110 milliards en 1994. Comme l’a écrit Bernard LATARJET dans un rapport pour la DATAR en 1992,  » la culture est désormais considérée comme une composante essentielle des stratégies économiques à long terme « . Une enquête a ainsi montré que le coefficient multiplicateur des retombées sur l’économie locale du Festival d’Avignon est de l’ordre de trois. Selon les statistiques du Ministère de la Culture, plus de 400 000 personnes travaillaient dans le secteur de la culture en 1992. Elles représentaient 1,7 % de l’emploi total, c’est-à-dire une part équivalente à celle du commerce de l’automobile et plus de deux fois supérieure à celle des assurances. Le taux d’accroissement des emplois culturels a été de 36 % entre 1982 et 1990, de dix fois supérieur au taux d’évolution moyen de l’ensemble des professions. On notera, enfin, que cette croissance quantitative s’accompagne d’une diversité toujours plus grande des métiers. La profession culturelle s’enrichit, en effet, de manière continuelle de nouveaux métiers.
Il faut donc aujourd’hui accroître sensiblement, par l’adoption des 35 heures, ce temps consacré à la culture, ce temps qui reste, ce temps différentiel, afin qu’il devienne un temps préférentiel, permis et choisi. Et pour servir en priorité l’emploi !

C’est dire, Monsieur le Président, Madame la Ministre, mes chers collègues, qu’avec cette nouvelle réduction du temps de travail, nous nous situons clairement dans le sens du mouvement, dans le sens de l’Histoire !