Colloque – Assemblée nationale – Quelle approche transatlantique du commerce électronique et du nouvel Internet ?
« Négociations sur le commerce électronique : la régulation et la taxation de l’Internet constituent-elles toujours des points de conflit ? »
Il y a un peu plus d’un an, le Premier ministre rendait public le programme d’action gouvernemental pour la société de l’information. Il y avait alors urgence. Nous avions certainement perdu trop de temps à faire le choix de l’internet dans notre pays et c’est notamment pour cela qu’à Hourtin, le discours de Lionel Jospin a eu cet important effet de catalyseur. Il fallait » y aller » et mettre tout en œuvre pour sortir la France du retard qu’elle accumulait.
Je crois que nous sortons maintenant du temps du retard, même s’il demeure encore des obstacles qu’il nous faut surmonter. Ainsi, pour ce qui concerne le commerce électronique, les chiffres publiés récemment dans le rapport de l’AFTEL nous indiquent que le volume des achats des Français sur le Web est estimé à 503 Millions d’Euros pour 1998 contre 183 Millions d’Euros en 1997. En outre, le montant des achats opérés dans le commerce traditionnel faisant suite à la consultation d’informations sur l’Internet est estimé à près d’un Milliard d’Euros.
Il reste que développer l’internet en France, et plus largement les technologies numériques, ne peut être une fin en soi. Nous ne pouvons nous contenter de prendre comme objectif unique, celui de rattraper notre retard. Dans » société de l’information « , il y a d’abord » société « , et cela implique naturellement d’effectuer des choix de société.
Je crois profondément, et je l’ai écrit dans le rapport que j’ai remis au Premier ministre en décembre dernier, que la France doit faire le choix d’une société de l’information conforme à son histoire et à ses valeurs, une société de l’information républicaine et solidaire. Cependant, c’est bien dans le mouvement de l’Internet mondial qu’il faut que nous nous inscrivions. Agir conformément à ce que nous sommes et à ce à quoi nous croyons ne doit pas nous conduire à nous enfermer et à nous construire une sorte d’intranet français, un Minitel en couleur, confortable, mais illusoire. Aujourd’hui, l’internet français a encore trop peu de visibilité à l’international, comme d’ailleurs l’internet francophone. Nous devons mettre en œuvre des stratégies spécifiques pour mailler l’internet français avec l’internet international.
Il nous faut donc maintenant sortir véritablement du temps du retard.
Mais avant d’avoir des objectifs d’exportation, il faut avoir quelque chose à exporter.
Les services et les contenus français et francophones sur l’Internet sont encore trop peu nombreux et ne répondent pas entièrement aux attentes de nos concitoyens et de nos partenaires à travers le monde. Il y a encore des obstacles qu’il nous faut lever.
Ainsi, l’accès à l’Internet en France, contrairement aux Etats-Unis, est encore trop cher. Je suis sensible aux revendications des internautes sur cette question et je crois qu’il est indispensable que nous trouvions le moyen que se généralisent en France des offres de connexion forfaitaires à un prix acceptable pour le plus grand nombre.
Un autre facteur important peut continuer de freiner le développement de l’Internet en France, c’est la faiblesse des débits disponibles. Le développement du commerce électronique nous impose de résoudre le problème de la qualité du réseau Internet qui est aujourd’hui insuffisante.
L’augmentation de la bande passante est, à cet égard, un objectif prioritaire.
Pour favoriser la création de contenus et de services qui puissent être exportés, il faut veiller à la mise en œuvre d’un cadre général favorable et conforme à nos objectifs. Vous me permettrez ainsi d’évoquer les questions relatives à la propriété intellectuelle.
Lorsque l’été dernier, j’ai procédé à un certain nombre d’auditions, j’ai été frappé par l’atmosphère qui entoure ces questions. Cette constatation m’a conduit à recommander au Gouvernement – qui a d’ailleurs retenu ma proposition lors du Comité Interministériel du 19 janvier dernier – la mise en œuvre d’un dispositif de médiation pour permettre le dialogue et le débat, nécessaire sur ces questions complexes, entre les acteurs afin que ce ne soit pas le juge, et uniquement le juge qui, systématiquement, tranche. Les enjeux sont trop importants pour la France pour laisser s’accumuler les contentieux qui, jamais, n’ont incité au dynamisme.
Bien évidemment, il ne saurait être question dans mon esprit d’abandonner le droit d’auteur pour un autre type de droit.
Et je me suis réjoui que le Gouvernement ait décidé de ne pas reprendre les discussions sur l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI), négocié à l’OCDE, qui auraient consacré une perte de souveraineté injustifiée et une attaque majeure contre la politique culturelle de la France et d’une grande majorité de pays européens.
Beaucoup d’indices nous montrent que, le plus souvent, il s’agit moins d’un problème de droit que d’un problème d’application du droit dans une société de l’information mondialisée. Nous ne pourrons échapper à cette réflexion.Cette question me préoccupe tout particulièrement pour ce qui concerne la recherche et l’enseignement. Nous savons que les pays anglo saxons bénéficient d’une exception générale au copyright à des fins de recherche et d’enseignement, dite » fair-use « .
C’est en grande partie sur ce principe que s’est construit l’Internet aux États-Unis et qu’il continue de fonctionner dans les universités ou les laboratoires de recherche. Or, nous ne disposons pas de ce type d’exception.
Cela risque de constituer un lourd handicap pour notre offre de formation et pour l’offre de formation francophone, au moment où ce secteur devient très concurrentiel. J’ai donc proposé au Gouvernement de prendre l’initiative de négociations devant aboutir à une licence contractuelle pour la recherche et l’enseignement. À défaut, j’ai préconisé l’étude d’une licence légale.
Sur ces questions de droit, comme sur beaucoup d’autres, il nous faudra donc évoluer ; évoluer à partir de ce que nous sommes, non pour adopter aveuglément des solutions qui nous seraient imposées, mais pour, de façon pragmatique et efficace, inventer nos propres usages dans la société de l’information, et donc nos propres usages de l’internet.
Aujourd’hui encore, c’est aux États-Unis que l’Internet trouve la source de ses principales innovations.
Il n’est donc pas très surprenant qu’un certain modèle » américain » prédomine. Je ne pense d’ailleurs pas qu’il faille exagérer les différences entre la société américaine et les sociétés européennes et notamment française.
Nous sommes issus de la même souche historique et des mêmes idéaux de liberté et de démocratie. Cependant, nos sociétés ne sont pas construites entièrement sur les mêmes modèles. L’Internet aux États-Unis s’est construit très naturellement sur la base d’un modèle de société libéral qui n’est pas le nôtre.
Pour ce qui concerne la France, c’est sur une base républicaine, qui ne reconnaît de communauté que nationale, que nous devons imaginer l’internet français et francophone et je crois profondément que c’est sur cette base là que nous devons prendre les mesures nécessaires à son édification. Nous n’avons ainsi rien à gagner d’une évolution où les intérêts particuliers l’emporteraient sur l’intérêt général.
En outre, le modèle républicain définit l’action nécessaire de la puissance publique pour assurer certes la liberté mais aussi l’égalité. C’est pour cette raison que je suis opposé à toute instance d’autorégulation dont on voit mal de qui elle tiendrait sa légitimité. N’oublions pas enfin qu’à l’heure actuelle, une majorité de Français mais aussi d’Européens a choisi des gouvernements qui considèrent que la puissance publique doit avoir un rôle important dans la vie de la société.
La France peut en outre transmettre des valeurs importantes à la société nouvelle qui se construit. Elle peut se targuer de la recherche d’un rapport harmonieux entre le public et le privé et d’une certaine idée du service public, qui peut faire école. La France a une pratique et une conception d’un droit très proche de la personne qui peut se révéler extrèmement précieux dans une société où l’individu reprend un droit à la parole.
Je partage naturellement l’analyse du Conseil d’État selon laquelle l’ensemble de la législation existante s’applique aux acteurs de l’Internet et qu’il n’est nul besoin d’un droit spécifique de l’Internet et des réseaux.
L’Internet n’est pas un espace de non droit et la réglementation en matière commerciale doit s’appliquer en s’adaptant. A cet égard, le mémorendum adressé, il y a presque un an, par la France à la Commission de l’Union Européenne vise avant tout à créer un cadre réglementaire permettant de soutenir le commerce électronique européen. Il s’agit, en effet, d’assurer aux transactions électroniques une nécessaire sécurité juridique et de garantir la protection du consommateur et des données personnelles.
On retrouve ici le rôle que doit jouer l’État démocratique, expression de la volonté du peuple et de l’interêt général, un État qui demeure le recours et la référence quand la liberté et l’égalité sont en jeu. Sur la protection du consommateur, il m’apparaît important de souligner que c’est désormais une préoccupation majeure des deux côtés de l’Atlantique.
La conférence d’Ottawa d’octobre dernier a porté témoignage de la sensible évolution des débats internationaux tout au long de l’année 1998. On est loin aujourd’hui de la conception portée par le rapport Magaziner de juillet 1997 d’un marché de l’Internet rendu parfait par la suppression de toutes les réglementations, notamment douanières et fiscales. Le débat n’est plus entre auto-réglementation et législation.
La France, le plus souvent à travers l’Europe, a pris une part croissante dans les négociations internationales qui ont eu lieu avec les États-Unis. Tout d’abord, concernant la gestion des noms de domaine, la Commission Européenne s’est opposée à une privatisation qui donnait la part belle à nos amis américains.
Par ailleurs, sur la protection des données individuelles, les discussions qui ne sont pas terminées, ont pris en compte le souci des membres de l’Union Européenne d’assurer la protection de la vie privée contre la collecte et l’exploitation abusives de données à caractère individuel.
Le commerce électronique est encore marginal mais son développement plus rapide outre Atlantique préfigure ses futurs règles et modes de fonctionnement. C’est tout l’enjeu pour les sociétés françaises d’être présentes sur ce marché directeur alors qu’elles n’y réalisent pas encore de bénéfices significatifs.
Le rapport de l’AFTEL pour 1999 rappelle les quatre principales raisons invoquées en France pour ne pas faire un achat sur l’Internet : à égalité, le sentiment d’insécurité lié au paiement en ligne par carte bancaire et l’incapacité de pouvoir juger de la qualité du produit, le risque de déception à sa réception. Viennent ensuite : la crainte d’une exploitation des informations personnelles communiquées au cours de la commande et la plus grande facilité qu’il y a à trouver le bon produit dans le commerce traditionnel.
De fait, le changement fondamental d’orientation en matière de cryptologie décidé par le Gouvernement lors du Comité Interministériel du 19 janvier dernier, revêt une importance évidente pour le développement du commerce électronique.
En attendant la réforme législative annoncée, le relèvement du seuil de la cryptologie, dont l’utilisation est libre, de 40 bits à 128 bits permet de protéger durablement la confidentialité des échanges.En ce qui concerne la fiscalité du commerce électronique, la conférence d’Ottawa a confirmé qu’il n’était pas utile de mettre en place une taxation particulière. Il s’agit plutôt d’adapter certains des principes concernant les impôts existants.
Sur la fiscalité indirecte, la réflexion de la France s’est développée dans un cadre communautaire. Elle vise principalement à modifier les règles de territorialité de la directive TVA de 1977 afin de taxer le commerce électronique non plus au lieu du prestataire mais au lieu du consommateur.
Pour ce qui est de la fiscalité directe, les travaux menés au sein de l’OCDE conduisent à l’application des règles fiscales existantes au stade du développement actuel du commerce électronique. Quant aux droits de douane, nous rapellerons qu’ils ne s’appliquent pas aux échanges électroniques jusqu’à la fin de 1999. En ce domaine également, s’impose le principe fondamental d’égalité des citoyens devant l’impôt.
La présence commerciale de la France a des conséquences immédiates et importantes sur notre société car les échanges internationaux sont créateurs de richesse et d’emploi. Dans l’espace numérique, se définissent dès maintenant les modalités des échanges de demain. Etre bien présents dans cet espace, c’est assurer notre avenir. En effet, le commerce électronique va promouvoir une ouverture, une concurrence et une transparence. Des pratiques commerciales nouvelles vont s’imposer sur l’ensemble des marchés. Dans une interactivité totale, c’est le consommateur qui, plus qu’avant, pilotera la transaction. Il nous faut donc être pionniers dans ces territoires nouveaux.