Projet de loi portant modification de l’ordonnance n°45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles
1) Première lecture, séance du 5 mars 1998
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Il nous est proposé aujourd’hui de modifier l’ordonnance édictée le 13 octobre 1945 par le Gouvernement provisoire de la République française, qui décidait de maintenir, en la complétant, la réglementation selon laquelle nul ne peut être responsable de structures dont l’activité habituelle est la production ou la diffusion de spectacles vivants sans avoir préalablement obtenu une licence délivrée par les pouvoirs publics.
Exception faite des modifications apportées en 1992, qui ont notamment conduit à l’extension de l’obligation de licence aux associations ayant pour activité habituelle la production de spectacles vivants, la législation a très peu évolué depuis un demi-siècle. Pourtant, le secteur du spectacle vivant a connu des évolutions économiques, culturelles et sociales considérables.
La nécessité de moderniser une réglementation complexe a été renforcée par les conclusions des rapports CABANES sur l’intermittence du spectacle, qui, au mois de mars 1997, avaient souligné la nécessité de prévoir la mise en œuvre de moyens de contrôle efficaces du respect des obligations sociales propres au secteur des spectacles, ainsi que des sanctions dissuasives.
Le projet de loi qui nous est soumis ne remet pas en cause le cadre général de la réglementation auquel les professionnels demeurent attachés. Il vise à prendre en compte la diversité du spectacle vivant professionnel dont, pour la première fois, une définition législative est proposée, afin d’organiser d’une façon simplifiée et uniforme le régime de la licence d’entrepreneur de spectacles.
Le champ d’application du régime de la licence, clairement déterminé par l’article 1er, exclut de fait le spectacle vivant amateur.
Validé par le Conseil national des professions du spectacle vivant, le projet de loi vise un double objectif : d’une part, donner au spectacle vivant un cadre juridique et professionnel permettant l’émergence et l’expression de toutes les formes du spectacle vivant, dans le respect des règles du droit, qu’il s’agisse du droit social, du droit du travail, du droit de la propriété intellectuelle, du droit fiscal, du droit commercial ou du droit de la concurrence ; d’autre part, contribuer au renforcement du statut de l’artiste et, en général, de tous les salariés du spectacle vivant, comme les techniciens ou les personnels administratifs et d’accueil.
Il s’agit donc de généraliser le régime de la licence à l’ensemble des entrepreneurs de spectacles quels que soient leur régime juridique et leur statut, public ou privé, à but lucratif ou non, commercial ou non.
La volonté de mieux contrôler le respect des obligations légales et sociales a conduit au maintien du système de la licence, qui n’est accordée qu’à une personne physique répondant à des critères professionnels et pour la direction d’une structure déterminée. C’est pour éviter une sorte de dilution des responsabilités que l’hypothèse de la détention d’une licence par une personne morale n’a pas été retenue.
Je souhaiterais redire avec force à cette tribune, répondant à quelques craintes qui m’ont été exprimées, que la détention de la licence par une personne physique ne remet pas en cause la présomption de salariat permettant à celle-ci d’accéder au régime particulier d’assurance chômage des artistes et des techniciens du spectacle, ni donc de bénéficier du statut d’intermittent du spectacle. Sur ce point, l’interprétation du législateur, qui rejoint celle de l’UNEDIC, est sans ambiguïté.
Il faut aussi noter que l’octroi de fonds publics, autrement dit de subventions, sera désormais subordonné à la vérification préalable du respect » des lois et règlements relatifs au contrat de travail et aux obligations de l’employeur en matière de protection sociale « .
Le projet de loi a également pour objectif de simplifier les procédures, notamment par l’unification du système des licences.
Trois catégories de licence, distinguant le type d’activité de l’entreprise de spectacles, se substituent donc aux six catégories actuelles définies par un genre artistique.
Les procédures d’octroi des licences, désormais délivrées pour trois ans renouvelables, étant déconcentrées, votre rapporteur tient à exprimer, par souci d’efficacité, son souhait que soit constitué un fichier général de l’ensemble des demandes et des décisions afin d’éviter que certains entrepreneurs peu scrupuleux procèdent à une cavalerie d’autorisations entre différentes régions.
Il m’apparaît aussi important d’appeler l’attention de notre Assemblée sur le fait que le projet de loi simplifie et libéralise le régime des spectacles occasionnels. Il est ainsi prévu que toute personne physique ou morale, si son activité principale n’est pas celle d’un entrepreneur de spectacles vivants, pourra organiser, produire ou diffuser six représentations par an sans avoir à obtenir de licence.
Sur ce point comme sur d’autres, par exemple l’adaptation de la réglementation aux entrepreneurs de spectacles établis dans les départements d’Outre-Mer la Commission a accompli un travail, je l’espère, constructif – et je vous remercie, Madame la Ministre, d’avoir rendu hommage à cette œuvre collective -, qui sera illustré par la discussion des amendements qu’elle a adoptées.
Nous disposerons ainsi prochainement d’une législation rénovée et simplifiée, adaptée surtout aux évolutions du spectacle vivant, et qui conserve le caractère protecteur qui a permis, ne l’oublions pas, de sauvegarder, depuis cinquante ans, un grand nombre de salles précieuses pour le patrimoine architectural et la mémoire du spectacle vivant.
2) Deuxième lecture – séance du 17 juin 1998
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes Chers Collègues,
Le 29 avril dernier, le Sénat a approuvé, comme l’Assemblée nationale l’avait fait le 5 mars, les objectifs et les principales dispositions du projet de loi que nous examinons aujourd’hui en seconde lecture, qui visent à moderniser l’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles sans toutefois remettre en cause le cadre général d’une réglementation à laquelle la profession reste attachée.
Le Sénat a adopté sans modification plusieurs dispositions votées par notre Assemblée. Il s’agit ainsi des articles 3 et 3 bis relatifs à la protection des salles de spectacles, de l’article 7 établissant le régime des sanctions pénales, de l’article 8 portant application du texte aux départements d’Outre-Mer et des articles 11, 12 et 12 bis de coordination.
Le Sénat a souhaité, en revanche, modifier des dispositions que nous avions adoptées en première lecture.
Je tiens à souligner la qualité de ce travail d’amendement touchant aux définitions contenues dans l’article 2 des trois nouvelles catégories d’entrepreneurs de spectacles, aux modalités – toujours dans l’article 2 – de l’attribution de subventions par les collectivités locales aux entreprises de spectacles, ou encore au dispositif, mis en place pour l’attribution et le retrait de la licence et celui sur lequel nous avions nous-mêmes beaucoup travaillé, réglementant les entrepreneurs de spectacles étrangers, tels que déterminés par l’article 4.
Il nous revient cependant, en deuxième lecture, de préciser certaines dispositions et de renforcer ainsi l’efficacité du texte. La Commission des Affaires Culturelles Familiales et Sociales a ainsi été amenée à adopter cinq amendements d’inégale importance.
Votre rapporteur a souhaité, par ailleurs, procéder à des auditions complémentaires, celle des représentants des agents artistiques et celle de la Coordination pour la Production et la Diffusion Artistique en France (COPDAF) qui réunit principalement des exploitants de salles de spectacles et des organisateurs de festivals.
Ces auditions ont été particulièrement utiles pour tenter d’atteindre cet équilibre entre la détermination des moyens de contrôle efficaces du respect des obligations sociales propres au secteur du spectacle vivant et l’élaboration d’une législation qui ne saurait être discriminatoire vis à vis de telle ou telle catégorie d’entrepreneurs de spectacles.
Il vous est ainsi proposé de revenir sur la rédaction de l’article 12 bis du projet de loi afin de coordonner sa rédaction avec la modification de la définition de la licence de troisième catégorie opérée par le Sénat à l’article 2. En effet, si l’on continuait à interdire aux agents artistiques l’accès à la profession de diffuseurs de spectacles – telle qu’elle a été définie par le Sénat – cela reviendrait à étendre l’incompatibilité établie par l’article à l’activité d’entrepreneurs de tournées, ce qui n’est naturellement pas l’objectif visé.
Par ailleurs, la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales a souhaité préciser la nature des contrats passés entre un entrepreneur de spectacles étranger et un entrepreneur de spectacles établi en France. Nous avons ainsi considéré que cette nouvelle réglementation devait notamment mieux prendre en compte la situation d’un entrepreneur de spectacles français organisant la venue dans notre pays d’une formation étrangère normalement constituée, tel un orchestre ou un ballet.
Dans cette situation concrète, en effet, l’entrepreneur établi en France ne devient pas automatiquement l’employeur de chaque artiste étranger, régulièrement salarié par sa formation. Or, l’application de la présomption de salariat établie par l’article 762-1 du code du travail dès lors qu’un contrat est passé avec un artiste ou un groupe d’artistes étrangers peut aboutir à ce que l’entrepreneur français soit tenu au paiement en France de charges sociales pour ces artistes.
En disposant que le contrat passé entre un entrepreneur de spectacles français et un entrepreneur étranger peut être un contrat de salaire ou un contrat de prestation de services, cet amendement permet de clarifier la situation des diffuseurs français et d’éviter un double paiement de cotisations sociales.
Le travail que nous avons effectué pour préparer cette deuxième lecture a donc eu pour objet principal de nous permettre de disposer prochainement d’une législation adaptée aux évolutions du spectacle vivant et à la réalité de ses pratiques. Nous contribuons ainsi à cette œuvre de structuration de l’ensemble des arts de la scène à laquelle je vous sais, Madame la Ministre, particulièrement attachée.
3) Troisième lecture , SEANCE DU MARDI 9 MARS 1999
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes Chers Collègues,
En préalable, je crois utile de rappeler, compte tenu de l’actualité, que le Gouvernement s’était engagé, dans le cadre des accords négociés par Monsieur Pierre CABANES pour la reconduction du régime particulier d’assurance chômage des artistes et technicien du spectacle, à présenter, dans le courant de l’année 1997, un projet de loi réformant l’ordonnance de 1945 afin, je cite, » de fournir au spectacle vivant un cadre juridique rénové, maintenant le principe d’une licence d’entrepreneur de spectacles délivrée par l’État et prévoyant la mise en œuvre de moyens de contrôle efficaces et de sanctions dissuasives « .
Vous avez d’ailleurs vous-même, Madame la Ministre, intégré cette dimension de notre actuel travail législatif lorsque vous avez réaffirmé la volonté du Gouvernement de pérenniser ce qu’on appelle communément le statut des intermittents du spectacle, il y a juste un mois, à l’occasion d’une séance de questions au Gouvernement.
Nous sommes, en effet, aujourd’hui dans une situation de réelle précarité puisque l’accord signé par les partenaires sociaux, le 20 janvier dernier, ne vise qu’à proroger jusqu’à la fin de l’année 1999, le régime spécifique d’assurance chômage des intermittents du spectacle élaboré, rappelons-le, en 1967.
Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale en septembre 1997, adopté en deuxième lecture ici-même le 17 juin 1998, le projet de loi portant modification de l’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, n’a été examiné que le 9 février dernier, en deuxième lecture, par le Sénat.
Je tiens ici à regretter, comme mon homologue du Sénat, ce délai excessif imposé au Sénat pour examiner, en deuxième lecture, un texte sur lequel ne subsistaient plus de divergences majeures.
Après la deuxième lecture effectuée par l’Assemblée nationale, cinq articles demeuraient en discussion. Quatre ont été adoptés sans modification par le Sénat : l’article 2 définissant les catégories d’entrepreneurs de spectacles, l’article 6 relatif aux spectacles occasionnels, l’article 12 bis portant sur les incompatibilités entre la fonction d’agent artistique et la profession d’entrepreneur de spectacles et l’article 13 fixant le dispositif transitoire.
Deux articles ont par contre fait l’objet d’un amendement, l’article 4 à l’initiative du Sénat et l’article 12, pour coordination, sur proposition du Gouvernement.
J’évoque très rapidement l’article 12, dont la nouvelle rédaction vise à prendre en compte l’article 113 de la loi de finances pour 1999, cet article ayant autorisé les collectivités territoriales et leurs groupements dotés d’une fiscalité propre à exonérer totalement de taxe professionnelle certaines entreprises de spectacles auxquelles elles souhaitent apporter un soutien tout particulier, alors que le présent article limitait cette possibilité d’exonération à 50 %.
Le problème est un peu plus compliqué pour l’article 4 et mérite qu’on s’y attarde plus longuement.
En effet, à cet article, le Sénat a adopté, sur avis défavorable du Gouvernement, un amendement qui précise la nature juridique des contrats passés entre un entrepreneur de spectacles non établi en France et non titulaire d’un titre jugé équivalent à la licence.
et un entrepreneur de spectacles détenteur d’une licence correspondant à l’une des trois catégories. Un tel contrat est, je cite, » un contrat de prestation de services au sens de l’article L. 341-5 du code du travail « .
Cette nouvelle rédaction reprend assez largement le contenu d’un amendement que j’avais présenté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Lorsqu’il organise la venue en France d’une formation étrangère normalement constituée, telle qu’un orchestre ou un ballet, un entrepreneur de spectacles ne devient pas automatiquement l’employeur de chaque artiste étranger régulièrement salarié par cette formation. Cela est notamment le cas pour de très nombreux festivals en France.
Or, l’application de la présomption de salariat établie par l’article L. 762-1 du code du travail, dès lors qu’un contrat est passé avec un artiste ou un groupe d’artistes étrangers, peut aboutir à ce que l’entrepreneur français soit tenu au paiement en France de charges sociales pour ces artistes. Pour éviter ces charges financières indues, difficiles à assumer pour nombre de festivals et sources de contentieux avec les organismes sociaux comme l’URSSAF et le GRISS, j’avais donc souhaité préciser que, dans le cadre du contrat passé avec l’entrepreneur de spectacles étranger, l’entrepreneur de spectacles titulaire d’une licence pouvait agir soit en qualité d’employeur, soit en qualité de prestataire de services.
En séance publique, j’avais cependant été amené à retirer mon amendement après que vous ayez pris, Madame la Ministre, l’engagement de préparer, en concertation avec Madame Martine AUBRY, une circulaire visant à éviter un double paiement de cotisations sociales et des situations d’iniquité manifeste.
Le Sénat a souhaité reprendre cette question et a fait le choix de régler par la loi les problèmes posés par cette situation à de nombreux petits festivals. Un amendement, qualifiant de contrat de prestation de services les contrats passés entre un entrepreneur français titulaire de la licence et un entrepreneur de spectacles étranger, a donc été adopté.
Cette nature de contrat d’entreprise exclut donc toute présomption de salariat entre l’entrepreneur français et les artistes et techniciens étrangers venus temporairement se produire en France à son invitation.
En se référant à l’article L. 341-5 du code du travail, le dispositif permet néanmoins de garantir pleinement les droits sociaux de ces personnes.
Tout en ne pouvant désapprouver cet amendement, qui reprend la préoccupation que j’avais exprimée au nom de la Commission, lors de notre examen en deuxième lecture, je regrette cependant que le dispositif adopté par le Sénat systématise la qualification de prestation de services, alors que, dans certains cas, pour des solistes notamment, il est tout à fait envisageable que l’entrepreneur français salarie effectivement l’artiste produit par un entrepreneur étranger.
En effet, si, dans l’esprit de nos collègues du Sénat, cet amendement vise essentiellement à régler les problèmes rencontrés par des petits festivals, qui sont des » diffuseurs » au sens des définitions prévues à l’article 2 du projet de loi, sa rédaction concerne tous les entrepreneurs de spectacles, quel que soit le type de licence dont ils sont détenteurs, et peut donc prêter à confusion dans les cas où le contrat passé avec l’entrepreneur étranger est un contrat de coproduction effective entraînant un partage de la responsabilité d’employeur.
Malgré ces réserves, la Commission a souhaité partager le sentiment du Gouvernement selon lequel l’adoption définitive de cette réforme, élément essentiel du renforcement des droits des salariés du spectacle et de la lutte contre la précarité de leur situation, est désormais une nécessité, après presque une année d’examen parlementaire.
Ce texte, attendu depuis plusieurs années par les artistes et les professionnels du spectacle permettra, en effet, de moderniser et de simplifier une réglementation devenue obsolète et totalement inadaptée aux enjeux et aux besoins du spectacle vivant d’aujourd’hui.
En conséquence, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter, sans modification, le projet de loi modifié par le Sénat en deuxième lecture.