Intervention de Patrick BLOCHE – Rapporteur pour avis de la commiission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Intervention de Patrick BLOCHE
rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales


Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes cher(e)s collègues,
Le 11 mai dernier, le Sénat décidait donc d’adopter une motion opposant la question préalable à la délibération de la proposition de loi relative au Pacte Civil de Solidarité, lors de son examen en deuxième lecture. Une semaine plus tard, la Commission mixte paritaire ne parvenait pas, sur de telles bases, à un accord. Notre assemblée se trouve donc dans le cas, assez peu fréquent, d’avoir à examiner, en nouvelle lecture, le texte déjà adopté par elle en deuxième lecture.
Je ne saurais pour autant regretter exagérément cette situation qui a présenté pour Jean-Pierre Michel et moi-même l’avantage évident de ne pas avoir à présenter des amendements de rétablissement du texte précédemment adopté par l’Assemblée nationale. Et nous avons même fait le choix, confirmé par nos deux commissions, de n’apporter aucune modification au Pacte Civil de Solidarité tel qu’il avait été écrit à l’issue de notre deuxième lecture.
Nous nous trouvons donc confrontés au risque de la répétition, ce qui est d’autant plus paradoxal qu’une large partie de nos concitoyens a déjà assimilé le Pacs, avant même son adoption définitive.
Il revient, à cet égard, au Gouvernement et à sa majorité d’avoir fermement défendu le droit, pour des parlementaires, de proposer une construction juridique nouvelle, rompant ainsi avec une certaine habitude qui voudrait que la fonction législative n’ait plus comme objectif que l’adaptation ou la modernisation de modèles déjà existants.
Le texte de la proposition de loi propose, en effet, un contrat d’un type nouveau pour le couple, renforce les solidarités possibles tout en levant les discriminations pesant notamment sur le concubinage qui ne pouvaient être jurisprudentiellement qu’hétérosexuel. De portée générale, il s’oppose aux tentations de repli communautaire et contribue ainsi à renforcer la conception républicaine d’écriture de nos lois.
Le Pacs est un lien social moderne car il contractualise la relation solidaire entre deux personnes choisissant d’organiser leur vie commune autour d’un ensemble de droits et d’obligations. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous n’avons pas souhaité, en deuxième lecture, l’abandonner au profit du concubinage qui reste une union de fait. Sur la définition même du concubinage, qui ne peut concerner que les personnes qui vivent en couple, nous avons considéré que sa constatation était préférable à son attestation, au risque sinon de le dénaturer en en faisant une union de droit. Sur ce point précis, vos deux rapporteurs n’ont donc pas souhaité reprendre la plume.
Ce texte parachève ainsi un processus qui, depuis la Révolution française jusqu’aux lois du début des années 80, a progressivement, malgré des périodes de recul à des moments souvent sombres de notre histoire, fait de l’orientation sexuelle de chacun une affaire privée, au même titre que les opinions politiques ou religieuses. Ainsi, la levée de toute discrimination individuelle, consacrant le principe de libre disposition de son corps, conduisait inéluctablement à mettre fin aux discriminations touchant les couples non mariés, qu’ils soient de même sexe ou de sexe différent.
L’homosexualité, sujet largement tabou jusqu’à peu, y compris dans cet hémicycle, est désormais présente dans le débat public. Ce changement essentiel montre, une nouvelle fois, la capacité de notre société à s’affranchir de ses conservatismes et à progresser sur le chemin de l’égalité des droits en rompant des silences souvent coupables et toujours discriminatoires.
Certes, l’homophobie n’est pas morte, mais elle est battue en brèche sur le terrain de la loi et au-delà. A cet égard, notre assemblée a souhaité franchir un pas supplémentaire lors du récent examen du projet de loi relatif à la liberté de communication, en adoptant un amendement qui amène le Conseil supérieur de l’audiovisuel à veiller désormais à ce que les programmes des services de radiodiffusion et de télévision ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de mœurs.
En créant le Pacte Civil de Solidarité, et sauf à vouloir réduire le débat qu’a suscité cette initiative, nous n’avons pas le sentiment d’avoir abaissé la loi en en faisant l’auxiliaire de tous les arrangements de la vie privée, ni de les avoir placés tous sur le même plan. Le mariage républicain reste un modèle social et une institution de référence.
Nous ne divergeons pas de l’opinion de la majorité sénatoriale sur ce point et nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises, de signifier que, tant d’un point de vue symbolique que juridique, le pacs n’était pas équivalent au mariage. Faut-il, à cet égard, rouvrir le débat sur les conditions de la rupture d’un Pacs, au moment même où la législation du divorce fait l’objet de multiples critiques, jusque dans le Figaro Magazine du week-end dernier qui appelait à une révision de la loi de 1975 et à une réforme de la prestation compensatoire ? De même, l’opposition entre le bonheur individuel et l’intérêt général est certainement un excellent sujet de philosophie pour un bachelier mais a le défaut essentiel d’oublier un peu trop vite que près de cinq millions de nos concitoyens vivent aujourd’hui en couple hors mariage.
A ce moment de mon intervention, je souhaiterais inviter la représentation nationale à sortir du cadre habituel de nos échanges qui se limite régulièrement aux frontières de notre hexagone, et pour cela je vous propose de franchir l’Atlantique sans pour autant aller chercher des références anglo-saxonnes.
Ma francophonie militante m’amène, comme d’autres collègues, à suivre tout particulièrement ce qui se passe dans une société historiquement proche de la nôtre, je veux parler du Québec.
A l’initiative du député de Sainte-Marie – Saint-Jacques, André Boulerice, que beaucoup d’entre nous connaissent, l’Assemblée nationale québécoise a adopté, le 19 mai dernier, le principe du projet de loi n° 32 dont l’objet est de réviser l’ensemble de la législation du Québec afin de l’appliquer aux conjoints de fait de même sexe. Pas moins de 28 lois et de 11 réglements sont directement touchés par ce projet de loi, et on peut ainsi observer que nos amis québécois ont également fait le choix d’un texte global, rejetant ainsi, comme la majorité de notre assemblée, la voie des petits amendements adoptés au fil des circonstances de la vie parlementaire.
A cette occasion, Madame Linda Goupil, Ministre de la Justice, a déclaré :  » Le Gouvernement a décidé d’agir et de revoir le cadre législatif des unions de fait afin de marquer l’évolution de la société québécoise dans ce domaine. En effet, la reconnaissance des couples de même sexe fait l’objet d’un vaste consensus et reflète les valeurs sociales actuellement acceptées par une grande partie de la population. Les Québécoises et les Québécois seront d’ailleurs sans doute très fiers d’être partie prenante d’une société qui témoigne une fois de plus de son ouverture, de sa solidarité et du respect de ses minorités, d’une société qui mise sur la cohésion sociale et non sur les différences existant entre ses citoyens « .
A votre avis, mes chers collègues, quelle a été la réaction à ces propos de la minorité de l’Assemblé nationale québécoise ? Pour cela, je citerai le début de l’intervention de Monsieur François Ouimet, député de Marquette et porte-parole de l’opposition en matière de justice. Il a ainsi déclaré :  » A mon tour de prendre la parole sur cet important projet de loi pour la société québécoise et d’indiquer d’emblée à la ministre ainsi qu’à tous les parlementaires de cette assemblée que l’opposition appuie ce projet de loi et que ça nous fait extrêmement plaisir de voir que le Gouvernement a finalement déposé un projet de loi qui vraisemblablement sera adopté avant la fin de la présente session « .
Et que s’est-il passé finalement ? L’Assemblée nationale québécoise a adopté, à l’unanimité, le projet de loi n° 32.
Du rêve à la réalité, tel est le passage qui me ramène au sein de notre Assemblée nationale afin d’évoquer le positionnement évolutif de nos collègues de l’opposition.
L’opposition est divisée dans son opposition au Pacte Civil de Solidarité. Cela était perceptible dès la première lecture, cela est devenu visible à la seconde. Il est vrai que les initiatives de la majorité sénatoriale, même non abouties, ont contribué grandement à creuser le fossé entre une opposition visitée par un âge d’or lointain où les couples ne pouvaient trouver d’autre salut que dans le mariage et une opposition essayant de ne pas pas faire le grand écart entre sa promotion de la liberté du marché et celle de la liberté des choix de vie privée.
Je laisserai, de ce fait, à la première le risque de la lassitude puisque le nouveau dépôt d’amendements déjà examinés en deuxième lecture sur un texte qui est resté identique, donnera l’impression d’une pièce déjà jouée.
A la seconde opposition, dont j’ai cru comprendre qu’elle préférait une retrospective des conditions de notre actuel débat, je rappellerai que l’action politique a plutôt pour conséquence, pour une majorité, d’assumer ses responsabilités, notamment lorsqu’elle a pris des engagements à l’occasion d’une échéance électorale importante.
Le Pacs est au débat depuis huit ans. La première proposition de loi a été déposée en 1992. Il ne s’est naturellement rien passé entre 1993 et 1997. Et nous abordons la troisième lecture de cette proposition de loi alors que le Gouvernement de Lionel Jospin vient de fêter son deuxième anniversaire. Pendant toute cette période, les juges ont continué à juger en nous indiquant assez clairement que la loi devait prendre le relais d’une jurisprudence qui ne pouvait plus évoluer. Parallèlement, ce qu’on appelle les experts, assez discrets jusqu’à l’automne dernier, ont certes rattrapé leur retard, sans pour autant contribué à une clarification du débat et en nous indiquant trop souvent qu’on pouvait être un intellectuel et être gêné par l’homosexualité. Que nous restait-il donc à faire, sinon de légiférer, avec la seule légitimité qui vaille pour cela, celle du suffrage universel.
Sans que personne sur ces bancs n’ait demandé, avant l’ouverture du débat parlementaire, la création d’une commission spéciale, sans qu’il ait été jugé utile de mettre en place des groupes de travail, qui ont souvent pour conséquence de vouloir résoudre un problème par l’immobilisme, nous avons travaillé dans le cadre des dispositions classiques prévues par le réglement de notre Assemblée nationale, et tout particulièrement au sein des deux commissions qui avaient été saisies.
Ainsi, la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales a-t-elle été amenée à jouer pleinement son rôle en prenant notamment en compte la dimension sociale du Pacs et en adoptant des amendements renforçant cet aspect de la proposition de loi. C’est donc en cohérence avec le travail qu’elle a déjà accompli qu’elle a donné un avis favorable à l’adoption sans modification de la proposition de loi, rejetée par le Sénat en deuxième lecture, relative au Pacte Civil de Solidarité.
Pour la première fois sans doute dans l’histoire des institutions de la Vème République, l’initiative parlementaire aura permis d’aborder complètement un sujet sociétal. La majorité de notre assemblée a ainsi ouvert un chemin qu’il faudra à nouveau emprunter pour persuader nos concitoyens que les représentants qu’ils se sont choisis sont, tout simplement, dans la vie.