Projet de loi sur les nouvelles régulations économiques : Carte UGC d’accès illimité aux salles de cinéma.

M. Christian Cuvilliez – Le distributeur UGC a décidé récemment de créer, par un tarif très préférentiel, une clientèle captive pour les multiplexes qu’il contrôle. Nous voulons, par notre amendement 470, stigmatiser cette pratique, en prohibant la vente à forfait ou par abonnement pour les salles appartenant à des entreprises réalisant plus de 0,5 % des entrées sur le territoire métropolitain.

Nous souhaitons ainsi protéger tout un secteur de la diffusion, en particulier les salles Art et Essai. Mme la ministre de la culture paraît partager notre préoccupation. La décision prise par UGC fera, semble-t-il, l’objet d’une mesure contraignante indépendamment de tout dispositif législatif. Mais il n’est pas superflu de légiférer.

M. Patrick Bloche – Notre amendement 466 va dans le même sens. Au sujet de la carte d’abonnement proposée par UGC, le directeur du CNC a saisi le médiateur du cinéma, qui a remis son rapport il y a tout juste 48 heures.

Son rapport est extrêmement sévère pour les cartes d’abonnement, susceptibles d’enfreindre l’article 10-1 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, d’aboutir à des prix abusivement bas, à un abus de position dominante, de fausser le jeu de la concurrence, de faire obstacle à la diffusion des oeuvres cinématographiques qui ont besoin de ces salles indépendantes directement menacées par cette carte orange du cinéma.

Je me réjouis que Mme Tasca ait réagi et souhaité que le Conseil de la concurrence soit saisi en urgence. Il me semble qu’en adoptant l’un de ces amendements, l’Assemblée affirmerait sa volonté que de telles pratiques soient prohibées.

M. le Rapporteur – La commission avait rejeté ces amendements mais nos collègues ont été convaincants, et avant de me faire une opinion définitive, je souhaite entendre M. Le Déaut et Mme la ministre.

M. le Rapporteur pour avis – L’économie du cinéma repose sur un partage des recettes d’entrée des places de cinéma entre les distributeurs et les producteurs. L’offre d’UGC fait voler en éclat cette économie puisque la recette de ce forfait revient en totalité au distributeur et que le prix réel des places de cinéma chute vertigineusement.

A ce jour, plus de 15 000 cartes d’accès illimité ont été vendues. Au début, les spectateurs les plus assidus allaient jusqu’à cinq fois par jour voir un film. On peut raisonnablement penser que le rythme de cinq séances par semaines sera courant alors qu’il sort environ dix à douze films nouveaux par semaine.

Le forfait UGC à 200 F par mois peut conduire à offrir, à ce rythme, des places de cinéma à 10 F pour des films en exclusivité. Il s’agit incontestablement d’une offre de prix abusivement bas, qui doit être interdite. Elle doit être comparée aux forfaits actuels, qui proposent des places à environ 35 à 40 F.

J’ai pris contact avec la fédération nationale des distributeurs de films, qui ne cache pas son inquiétude. On n’a pas connaissance d’une telle offre dans les autres pays de la communauté.

La commission n’a pas examiné ces amendements mais, à titre personnel, je soutiens la proposition de Patrick Bloche qui ne vise pas les forfait mais uniquement les cartes d’abonnements, qui n’a pas pour objet de brimer les amateurs de cinéma, mais d’assurer la pérennité du financement de l’industrie cinématographique française, à laquelle ces amateurs sont attachés.

Si UGC veut développer son offre commerciale, elle doit élargir les forfaits ou les abonnements, comme tous les distributeurs.

Mme la Secrétaire d’Etat – Mme Tasca s’est émue de cette affaire et a demandé au ministre de l’économie de saisir le Conseil de la concurrence. Dès lors, je ne puis qu’attendre que son avis soit rendu.

M. François Goulard – Je défends moins les salles d’art et d’essai, assez parisiennes,…

M. le Président de la commission – Oh !

M. François Goulard – …que le cinéma rural, qui permet l’accès à la culture pour nombre de compatriotes qui, à défaut, en seraient privés.

Mais force est de constater que les milieux culturels ne se montrent guère ouverts à l’idée de concurrence, eux qui soutiennent ce que, dans d’autres domaines, on appellerait la préférence nationale…

M. Christian Cuvilliez – C’est l’exception culturelle !

M. François Goulard – En défendant leurs amendements, nos collègues semblent oublier que la baisse du prix des places profite aux jeunes spectateurs. Qu’ils puissent aller au cinéma pour 10 F ne me choque pas, Monsieur Le Déaut…

Certes, le cinéma d’art et d’essai, le cinéma rural méritent d’être aidés, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait un lien direct entre les cartes d’abonnement et leur survie.

Cela dit, le Conseil de la concurrence est saisi, la sagesse commande d’attendre qu’il se prononce sur d’éventuels abus de position dominante et pratiques abusives. C’est ensuite, à partir de ce constat objectif, qu’il nous sera possible de trancher entre des intérêts contradictoires.

M. Jean-Paul Charié – Alors que nous étions tous d’accord sur les amendements relatifs à la revente du carburant, au nom d’un simple rapport demandé au Conseil de la concurrence, ils n’ont pas été adoptés. Ici, il s’agit d’une saisine officielle du même Conseil, qui dispose de tous les moyens d’apprécier les effets négatifs de ces cartes d’abonnement.

J’ajoute que cette question relèvera aussi, à l’évidence, de la Commission des pratiques commerciales que nous nous apprêtons à créer.

Loin de moi l’intention de défendre des pratiques abusives, mais vraiment on ne peut tout mettre dans la loi. Tout en reconnaissant le
bien-fondé de ces amendements, je pense donc que mieux vaudrait les retirer.

M. Christian Cuvilliez – Je me refuse à retirer l’amendement 470, car il est emblématique et n’est nullement contradictoire avec la volonté du ministre de la culture de saisir le Conseil de la concurrence.

Nous ne pouvons accepter que la production intellectuelle et artistique soit considérée comme une simple marchandise, que l’on fasse des salles de cinéma des supermarchés, que l’on fasse disparaître non seulement des producteurs et des distributeurs indépendants, mais aussi des créateurs et des auteurs, que l’on lance une OPA sur les fauteuils de cinéma.

M. Patrick Bloche – La saisine du Conseil de la concurrence pourrait nous amener à attendre la seconde lecture pour légiférer ; cela dit adopter ces amendements dès maintenant montrerait notre volonté, quitte à ce que nous reprenions l’ouvrage ultérieurement. Je laisse donc à l’Assemblée le soin de trancher.

L’amendement 470, mis aux voix, n’est pas adopté, non plus que l’amendement 469