L’Hebdo des socialistes.
En janvier 1998, le Premier ministre rendait public le programme d’action gouvernemental pour la société de l’information, utilement complété depuis cette année. Il y avait alors urgence. Nous avions certainement perdu trop de temps à faire le choix de l’internet dans notre pays et c’est notamment pour cela qu’à Hourtin, dès août 1997, le discours de Lionel Jospin a eu cet important effet de catalyseur. Il fallait » y aller » et mettre tout en œuvre pour sortir notre pays du retard qu’il accumulait.
Nous avons en partie comblé notre retard, notamment pour ce qui concerne la compréhension de l’internet et des réseaux, des enjeux que cela représente pour notre société ou grâce aux efforts importants réalisés à l’école. Naturellement, des obstacles demeurent, notamment sur le plan de la mise à disposition de connexions à haut débit et dans la capacité des entreprises de technologie de notre pays à devenir des acteurs moteurs de l’internet et à ne pas se contenter de suivre la marche. La faiblesse des débits disponibles, comme la baisse encore insuffisante des coûts de connexion, est un autre frein qui conduit naturellement à envisager désormais rapidement le dégroupage de la boucle locale, prioritairement pour les hauts débits.
Il n’y aura pas d’utilisateurs sans une bonne qualité du réseau. Il n’y aura pas de commerce électronique si les connexions sont chères et à faible débit.
Il reste que développer l’internet en France, et plus largement les technologies numériques, ne peut être une fin en soi. Rattraper notre retard ne doit pas être notre seul objectif ! Dans » société de l’information « , il y a d’abord » société « , et cela implique naturellement d’effectuer des choix de société.
L’équation n’est pas facile à résoudre.
Tout en s’inscrivant dans le mouvement de l’internet mondial, la France doit faire le choix d’une société de l’information conforme à son histoire et à ses valeurs, une société de l’information républicaine et solidaire. Nous devons agir conformément à ce que nous sommes et à ce à quoi nous croyons. Mais cela ne doit pas nous conduire à nous enfermer et à nous construire une sorte d’intranet français, un Minitel en couleur, confortable, mais illusoire. Aujourd’hui, l’internet français a encore trop peu de visibilité à l’international, comme d’ailleurs l’internet francophone. Nous devons mettre en œuvre des stratégies spécifiques pour mailler l’internet français avec l’internet international.
Mais avant d’avoir des objectifs d’exportation, il faut avoir quelque chose à exporter.
Même si les services et les contenus français et francophones sur l’internet sont de plus en plus nombreux, il n’est pas certain qu’ils répondent entièrement aux attentes de nos concitoyens et de nos partenaires à travers le monde.
Pour favoriser la création de contenus et de services qui puissent être exportés, il faut veiller à la mise en œuvre d’un cadre général favorable et conforme à nos objectifs, tout particulièrement dans le domaine de la propriété intellectuelle.
Réfléchir à l’aménagement de la propriété intellectuelle et artistique dans le cadre de la société de l’information, ne signifie pas, bien évidemment, abandonner le droit d’auteur pour un autre type de droit.
Beaucoup d’indices nous montrent que, le plus souvent, les problèmes rencontrés relèvent moins d’un problème de droit que d’un problème d’application du droit dans une société de l’information mondialisée.
Nous avons le devoir d’aboutir rapidement sur cette question qui est porteuse d’enjeux essentiels, notamment pour le développement de la presse numérique dans notre pays.
La question de la responsabilité des intermédiaires techniques sur l’internet est également essentielle. L’affaire Altern a montré l’urgence d’adapter notre législation, un hébergeur de site ayant été injustement condamné sur la base de l’engagement d’une responsabilité de type éditorial.
L’amendement adopté avec le soutien du gouvernement, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’audiovisuel, a visé à clarifier la responsabilité des hébergeurs. Celle-ci se trouve engagée s’ils ont eux-mêmes contribué à la création et à la production d’un contenu litigieux; si, saisis par une autorité judiciaire, ils n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu ou, si saisis par un tiers, ils n’ont manifesté aucune réaction. L’intervention du juge est déterminante car elle fonde l’émergence d’un internet démocratique et permet d’éviter les risques d’une censure préalable, tout en recherchant les meilleurs moyens de lutter contre la cybercriminalité.
Sur ces questions de droit, comme sur beaucoup d’autres, il nous faudra donc évoluer ; évoluer à partir de ce que nous sommes pour inventer nos propres usages de l’internet.
Aujourd’hui encore, c’est aux États-Unis que l’internet trouve la source de ses principales innovations. Il n’est donc pas très surprenant qu’un certain » modèle américain » prédomine.
Pour ce qui concerne la France, c’est sur une base républicaine, qui ne reconnaît de communauté que nationale, que nous devons imaginer l’internet français et francophone et c’est sur cette base là que nous devons prendre les mesures nécessaires à son édification. Nous n’avons ainsi rien à gagner d’une évolution où les intérêts particuliers l’emporteraient sur l’intérêt général.
En outre, le modèle républicain définit l’action nécessaire de la puissance publique pour assurer certes la liberté mais aussi l’égalité.
La France peut en outre transmettre des valeurs importantes à la société nouvelle qui se construit. Elle peut se targuer de la recherche d’un rapport harmonieux entre le public et le privé et d’une certaine idée du service public, qui peut faire école. La France a une pratique et une conception d’un droit très proche de la personne qui peut se révéler extrèmement précieux dans une société où l’individu reprend un droit à la parole.
L’analyse du Conseil d’État selon laquelle l’ensemble de la législation existante s’applique aux acteurs de l’internet et qu’il n’est nul besoin d’un droit spécifique de l’internet et des réseaux, est aujourd’hui largement partagée.
L’internet n’est pas un espace de non droit et la réglementation doit s’appliquer en s’adaptant.
Il s’agit, ainsi, d’assurer aux transactions électroniques une nécessaire sécurité juridique et de garantir la protection de la vie privée contre la collecte et l’exploitation abusive des données à caractère personnel.
Il est, à cet égard, significatif de rappeler les quatre principales raisons invoquées en France pour ne pas faire un achat sur l’internet : à égalité, le sentiment d’insécurité lié au paiement en ligne par carte bancaire et l’incapacité de pouvoir juger de la qualité du produit, le risque de déception à sa réception. Viennent ensuite : la crainte d’une exploitation des informations personnelles communiquées au cours de la commande et la plus grande facilité qu’il y a à trouver le bon produit dans le commerce traditionnel.
On retrouve ici le rôle que doit jouer l’État démocratique, expression de la volonté du peuple et de l’intérêt général, un État qui demeure le recours et la référence quand la liberté et l’égalité sont en jeu. Sur la protection du consommateur, il faut d’ailleurs souligner que c’est désormais une préoccupation majeure des deux côtés de l’Atlantique.
On est loin aujourd’hui de la conception portée par le rapport Magaziner de juillet 1997 d’un marché de l’internet rendu parfait par la suppression de toutes les réglementations, notamment douanières et fiscales. Le débat n’est plus entre auto-régulation et réglementation.
Démocratiser, sécuriser, responsabiliser : tels sont les enjeux que devra porter la future loi sur la société de l’information, tels sont les défis que notre Parti se doit de relever car, comme le rappelait Lionel JOSPIN le 15 mai dernier : « nous ne pouvons laisser une « fracture numérique » s’instaurer entre ceux qui disposent de l’information, des nouvelles technologies et des matériels qui les véhiculent et d’autre part ceux qui en seraient exclus. C’est évidemment une exigence de justice et de solidarité ».