Proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations
M. le président.
La parole est à M. Patrick Bloche.
M. Patrick Bloche.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, on pouvait lire dans un quotidien du soir en juin dernier, le témoignage suivant titré : « Licencié pour faute » :
« Nicolas, trente ans, n’est pas partisan d’une homosexualité affichée et revendiquée. Dans son entreprise, il n’a pas souhaité s’épancher sur sa vie personnelle. Seulement, un jour, l’un de ses collègues a insisté. Il voulait savoir. « J’ai fini par lui dire, n’aimant pas mentir. Cela ne lui posait apparemment aucun problème. »
« Au bout de quelques mois, des rumeurs se mettent à courir. Nicolas est notamment accusé de harcèlement à l’encontre de ses collègues. « J’ai découvert d’où venaient les rumeurs. Les auteurs occupaient le même bureau que moi. L’ambiance de travail s’est dégradée très fortement.
J’ai essayé d’encaisser en gardant tout pour moi. Alors que jusqu’à présent l’homosexualité n’était pas un sujet de discussion, tout à coup, les quolibets sur les homosexuels en général ont fusé. »
« Après deux mois de silence, Nicolas craque. Il adresse un e-mail à sa hiérarchie, sans citer de noms. Il est alors convoqué, relate les faits mais refuse toujours de dénoncer ses collègues. « Les témoins, tous ceux qui se disaient proches de moi et qui pouvaient attester de la véracité des propos tenus contre moi ont tous refusé de me soutenir et de témoigner. »
« La sanction tombe. Le jeune homme est licencié pour faute. « Mon message a été considéré comme diffamatoire.
Mes compétences professionnelles n’ont jamais été mises en cause. » » C’est pour ne plus avoir à lire cela que le groupe socialiste, sous l’impulsion décisive de Jean Le Garrec, a souhaité prendre à nouveau l’initiative de soumettre au débat de notre assemblée une proposition de loi visant à tendre vers une plus grande égalité des droits, reprenant pour cela quatre des articles du projet de loi de modernisation sociale déposé au printemps par le Gouvernement.
Comment ne pas s’en féliciter alors que nous fêterons demain le premier anniversaire du vote définitif du PACS qui, selon des statistiques publiées à la fin du mois de juin dernier, a permis à 38 000 personnes d’organiser leur vie commune sur une base contractuelle qui rassemble couples de sexes différents et couples de même sexe ! Aujourd’hui, il s’agit de lutter contre les discriminations au travail, c’est-à-dire dans un cadre où nous passons tant de notre vie et qui, du fait des rapports hiérarchiques existants, amplifie la souffrance et trop souvent l’impuissance des personnes discriminées.
Cette proposition de loi étend sensiblement les droits des salariés, et tout d’abord grâce à l’extension des périodes de la vie en entreprise susceptibles d’être l’objet de mesures discriminatoires. L’accès à un stage ou à une période de formation sera désormais pris en compte.
Parallèlement, la liste des circonstances dans lesquelles les salariés sont particulièrement exposés aux mesures discriminatoires est largement étendue.
Une autre disposition majeure consiste à aménager la charge de la preuve au bénéfice du salarié en cas de discrimination. Cet aménagement est en parfaite conformité avec les recommandations communautaires ainsi qu’avec les conclusions de l’enquête sur la lutte contre le racisme et la xénophobie réalisée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme et récemment publiée.
Les difficultés rencontrées à l’heure actuelle par les victimes pour démontrer qu’elles ont bien été discriminées rendent en effet très théorique l’accès au droit.
Actuellement, certains motifs de discrimination et, plus encore, certaines formes de discrimination font défaut.
J’ai donc proposé des modifications à notre rapporteur. Il les a accueillies si favorablement que nous les portons ensemble, et je l’en remercie vivement.
Elles visent notamment à élargir le champ des discriminations à l’orientation sexuelle mais également à l’apparence physique et au patronyme. Nous avons souhaité adjoindre ces nouveaux motifs de discrimination non seulement à l’arrticle L.122-45 du code du travail et à l ‘article L.122-35 relatif au règlement intérieur de l’entreprise, mais aussi à l’article 225-1 du code pénal, permettant ainsi d’élargir la définition même de discrimination.
En ce qui concerne l’orientation sexuelle, quinze ans après l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Michel, qui avait conduit à compléter le code pénal en introduisant des dispositions protégeant les personnes contre les discriminations liées à leurs moeurs, nous avons souhaité être plus précis dans l’écriture de notre droit.
Nous le faisons à la lumière d’une jurisprudence qui interpellait les législateurs que nous sommes sur la nécessité de compléter la notion pionnière de moeurs, étendue depuis, d’ailleurs, à différents codes, mais nous le faisons également en prenant en compte, cela a été dit, le cadre communautaire, et tout particulièrement l’article 13 du traité d’Amsterdam, qui fait référence aux mesures nécessaires à prendre en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.
A cet égard, Martine Aubry a voulu donner un signe politique fort, en juin dernier, à la veille de la gay pride 2000, en exprimant publiquement son souhait que l’orientation sexuelle fasse son entrée dans le code du travail comme motif de discrimination. Je tenais ce matin à saluer tout particulièrement son engagement personnel, qui n’est pas récent d’ailleurs, pour faire reculer l’homophobie dans notre pays.
Je constate d’ailleurs que les échanges que nous avons eus en commission ont traduit un réel apaisement sur ces questions, qui m’apparaît être une conséquence directe du débat central qui fut celui du PACS.
La lutte contre les discriminations ne sera pas pour autant terminée.
Tout en rappelant que la loi sur la liberté de communication, promulguée le 1er août dernier, a confié au CSA une mission précise pour sanctionner les dérives parfois constatées dans certaines émissions télévisuelles, je souhaiterais évoquer la nécessité de revoir, si possible rapidement, la législation visant à réprimer les propos à caractère discriminatoire.
Pour l’heure, je me réjouis que ce texte apporte véritablement une réponse directe et concrète à des abus maintes fois constatés. La vie quotidienne de nombre de femmes et d’hommes, dans un cadre aussi sensible que celui de l’entreprise qui les emploie, en sera sensiblement modifiée, n’en doutons pas.
(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)