Régime d’assurance chômage des artistes et techniciens du spectacle vivant du cinéma et de l’audiovisuel.
Patrick BLOCHE- La proposition de loi dont nous débattons a donc pour unique objet de nous substituer temporairement aux partenaires sociaux, dans l’attente d’un accord négocié.
Aucun droit nouveau n’est créé par ce texte qui ne fait que proroger par la loi le régime de deux annexes d’une convention UNEDIC reconduites à onze reprises de 1993 à 1999, annexes qui ne figurent plus dans la convention qui produit actuellement ses effets. Il y a deux ans, déjà, je m’en souviens, j’avais eu un échange avec notre Président et rapporteur, sur la nécessité pour la Commission des ACFS de se saisir, (un jour ou l’autre) de la situation des intermittents du spectacle au regard de l’assurance-chômage. Apparemment, ce jour est venu et je salue l’initiative de mon groupe, rejoint par le groupe communiste, pour marquer ainsi notre attachement aux plus de 100.000 artistes et techniciens du spectacle vivant du cinéma et de l’audiovisuel.
Il est cependant nécessaire d’évoquer le cadre dans lequel s’inscrit cette proposition de loi. En effet, l’intervention exceptionnelle du législateur, en ce domaine, ne vise pas à ce qu’il se substitue durablement à la négociation collective, mais simplement, constatant l’actuel blocage et l’absence d’un accord, a pour objet de garantir aux bénéficiaires du régime spécifique des intermittents du spectacle leurs droits à indemnisation sur une base légale.
C’est donc un vide juridique de nature conventionnelle que nous comblons avant tout.
C’est également une interpellation et un appel à la responsabilité tout particulièrement du MEDEF, pour trouver le plus tôt possible la voie d’un accord par la reprise de la négociation. C’est enfin un usage de la loi qui n’est pas nouveau en ce qu’il a un caractère avant tout incitatif.
Nous sommes attachés au maintien de ce régime spécifique pour des raisons fondamentales que le Premier Ministre avait d’ailleurs rappelées l’année dernière lors du festival d’Avignon.
En effet, la mise en cause du régime spécifique des intermittents du spectacle n’est pas nouveau et ne se fonde pas seulement sur des motifs tenant à l’équilibre financier de l’assurance-chômage qui est d’ailleurs excédentaire actuellement.
La dénonciation régulière de l’extrême minorité de ceux, si minoritaires, qui tirent avantage du système ou profitent de l’effet de seuil déclenchant le versement des prestations, n’est le plus souvent qu’un prétexte.
Plus profondément, il me semble que la position du MEDEF n’est que la déclinaison, dans les relations du travail au sein du spectacle vivant mais aussi du cinéma et de l’audiovisuel, du vaste mouvement de privatisation des savoirs et des connaissances et de la marchandisation accélérée de la culture auxquels nous assistons. En effet, l’abandon de ce régime spécifique risquerait d’aboutir à terme à la remise en cause du statut de salarié de nombre de travailleurs du secteur culturel. La logique du contrat commercial ou de la prestation des services pourrait ainsi progressivement supplanter la présomption de salariat (le fameux article 762-1 du code du travail) dont nous avons pourtant réaffirmé le bien-fondé durant cette législature, ainsi lorsque nous avons réformé l’ordonnance de 1945 relative aux spectacles. Répétons-le : les artistes, les interprètes, les techniciens ne sont pas des salariés à part, ils disposent seulement, avec les annexes VIII et X, d’un régime particulier d’indemnisation du chômage adapté aux réalités de leurs professions.
Ce régime spécifique doit être préservé en raison de la nature même des activités concernées et parce qu’il participe de la politique culturelle de notre pays.
Les disciplines artistiques sont, par nature, source de discontinuité de l’emploi et de la précarité en faisant alterner des périodes d’activité en préparation de spectacles, en répétition ou en représentation, et d’autres périodes sans contrat de travail, mais pendant lesquelles les artistes ne restent pas inactifs puisqu’ils doivent maintenir leur corps, leur voix, leurs connaissances ou leur mémoire en capacité de répondre à de futurs engagements.
Le régime spécifique des intermittents participe également de la politique culturelle par ce qu’il instaure un système de mutualisation du chômage et de solidarité de la société toute entière envers ses artistes et techniciens du spectacle. Car comment refuser à ces salariés le droit d’avoir plusieurs employeurs successifs avec d’inévitables périodes d’inactivité, d’être nécessairement plus autonomes tout en ayant la garantie d’un revenu, quand cette souplesse est revendiquée haut et fort par et pour les employeurs ? Si le régime des intermittents concerne tout le monde, c’est aussi, disons-le, parce que de plus en plus d’entrepreneurs de spectacle préfèrent une gestion par projets, mobilisant des artistes et des techniciens pour des manifestations ou des représentations spécifiques, et temporaires plutôt que des équipes permanentes.
Nous savons tous qu’un accord est loin d’être inatteignable. La FESAC et les fédérations CGT et CFDT puis CGC ont d’ailleurs su dialoguer de façon constructive et ont montré qu’une issue négociée était tout à fait envisageable.
Il reste, et ce sera mon dernier mot, que je me dois de rappeler que les annexes VIII et X ne concernent pas tous les artistes.
Les plasticiens, les sculpteurs, les photographes, la plupart des auteurs et nombre d’acteurs culturels ne sont pas concernés par ce régime spécifique car ils ont un statut d’indépendant. D’où une évidente précarité et trop souvent l’absence d’une protection sociale élémentaire quand le niveau de vie dépend directement de la cession, aussi incertaine qu’irrégulière, de ses œuvres.
C’est pourquoi il me paraîtrait utile qu’à l’avenir, nous engagions une réflexion plus vaste et prospective sur le statut de tous les artistes afin de reconnaître – et de traduire peut-être un jour dans la loi – la place essentielle que tiennent aujourd’hui dans notre société les » travailleurs » de la culture.