Débat sur la décentralisation à Paris

Intervention de Patrick BLOCHE,
Président du Groupe socialiste
et radical de gauche

Monsieur le Maire,
mes chers collègues,

La contribution que la collectivité parisienne apporte ce matin au débat national sur la décentralisation me paraît d’autant plus nécessaire que nous n’avons pas attendu l’actuel gouvernement pour faire œuvre d’innovation en la matière.
Il y a d’abord les principes fondamentaux que sont :
– l’amélioration et l’égalité du service rendu aux citoyens,
– la simplification et la clarification des responsabilités des différents échelons institutionnels,
– le transfert intégral des charges financières correspondants aux services et équipements dont la gestion est déconcentrée ainsi que l’affirmation du principe de péréquation.
Dès lors donc que ces principes sont ceux qui prévalent dans le processus de décentralisation, il va de soi que nous contribuerons à faire des propositions visant à amplifier un mouvement dont la gauche a toujours su prendre l’initiative des lois Defferre, il y a plus de vingt ans, jusqu’à la loi Vaillant sur la démocratie de proximité, la plus récente.


J’en veux pour preuve le processus engagé à Paris même en direction des mairies d’arrondissement et qui, sous votre impulsion, Monsieur le Maire, a permis tout en maintenant l’unité de Paris, de conférer une gestion au plus proche des Parisiens des équipements dont ils sont les utilisateurs, une gestion plus économe aussi des deniers publics. Je ne saurai non plus oublier la clarification récente qui a vu la municipalité prendre ses responsabilités, en matière de circulation, avec le transfert de prérogatives jusque là détenues par l’Etat, via la Préfecture de Police. Penser qu’il ait fallu attendre si longtemps pour constater qu’il était plus logique et efficace de conférer au même échelon la gestion de la voirie et des transports avec celle de la circulation, est particulièrement révélateur des résistances que l’on rencontre lorsqu’un veut modifier l’organisation territoriale de la République.


Si nous entendons donc prendre toute notre part à ce débat, vous avez vous-même, Monsieur le Maire, fait des propositions dans le domaine social, dans celui de l’éducation ou des déplacements et d’autres seront faites par les orateurs du groupe socialiste et radical de gauche qui me succèderont. Il n’en demeure pas moins que nous nourrissons plus d’une interrogation quant aux intentions réelles du Gouvernement.

Sur la forme tout d’abord. Quel paradoxe que de présenter le  » chantier  » de la décentralisation comme un nécessaire rapprochement entre l’administration et le citoyen lorsqu’on choisit la voie du Congrès pour l’avaliser ! C’est non seulement contradictoire dans l’esprit, mais aussi trompeur sur le fond avec l’engagement du Président de la République de procéder par voie référendaire. A croire qu’il n’est de bonnes intentions de sa part qu’en période électorale !

Inquiétude également sur le silence qui entoure les communautés à fiscalité propre et tout particulièrement l’intercommunalité. Comment prétendre changer l’organisation territoriale en passant par pertes et profits l’idée la plus novatrice et la plus réussie de ces dernières années en matière de décentralisation. L’Ile-de-France compte ainsi, au 1er décembre 2002, six syndicats d’agglomérations nouvelles, douze communautés d’agglomérations et trente-huit communautés de communes ! Quelle perspective donner à une réforme qui laisse de côté des instruments particulièrement bien adaptés et surtout les échelons de demain pour la porter !

Inquiétude aussi sur cette expérimentation à la carte. Prenons, par exemple, le débat semblable à celui que nous avons ce matin et qui a lieu au Conseil Général des Yvelines. Son président évoquait ainsi la politique du logement et les responsabilités de l’Etat au regard des difficultés que connaît ce secteur et, de fait, son aspect inséparable d’un projet national d’aménagement du territoire. Pour autant, comment accepter son postulat du département comme seul échelon pertinent pour définir une politique de l’habitat. Il est du ressort de l’Etat, dans un secteur où les disparités et les inégalités sont grandes, de définir et d’impulser des orientations politiques globales. La remise en cause de l’article 55 de la loi SRU qui fixait un quota par commune de logements sociaux n’est-elle pas, à cet égard, annonciatrice de la façon dont certains souhaiteraient conduire cette expérimentation ? Ne risque-t-on pas ainsi de s’acheminer vers une décentralisation de la  » fracture sociale « , une remise en cause fondamentale du principe d’égalité républicaine et de solidarité entre les territoires ?

Inquiétude enfin, et surtout, sur les moyens. Le transfert de compétences doit s’accompagner du transfert des moyens financiers et fiscaux correspondants.
Ce fut le cas à Paris, de façon claire et annoncée avec l’inscription au budget de la Ville pour 2003 au titre des états spéciaux de 82 millions d’€uros contre 22 au budget primitif 2002 pour prendre en compte près de deux mille équipements. La formule du Ministre délégué au budget ( » j’échange de la liberté contre de l’argent « ) n’est pas des plus rassurantes sur les objectifs réellement poursuivis par le gouvernement. La décentralisation des déficits apparaît aujourd’hui bien tentante ! A tout le moins, il faudrait procéder à un état des lieux préalable à de nouveaux transfert. Si doivent être avant tout concernés des équipements formant un patrimoine dégradé car souvent mal entretenu par l’Etat, je pense ainsi aux hôpitaux et surtout aux universités où, sous prétexte de meilleure gestion, l’Etat peut être tenté de s’affranchir de ses obligations sur les collectivités territoriales, alors nous serons amenés à dénoncer cette facilité.
Dans l’impossible équation qui s’annonce au regard d’une croissance qui fléchit : réduction des impôts et respect du pacte de stabilité, les lendemains budgétaires s’annoncent douloureux. C’est aujourd’hui l’annonce du gel de crédits d’Etat et il est à craindre que ce ne soit demain l’explosion de la fiscalité locale (provoquée par la décentralisation Raffarin). Là encore, quel contraste avec l’engagement que vous avez pris et tenu, Monsieur le Maire, d’une non-augmentation des taux d’imposition à Paris durant cette madature !


Pour conclure, Monsieur le Maire, mes chers collègues, si notre collectivité est a priori ouverte à une nouvelle répartition des compétences avec l’Etat, comme en témoignent les propositions de l’exécutif municipal, il est à craindre que la décentralisation qui nous est proposée ne soit finalement qu’un  » mirage aux alouettes « . Egalité et solidarité entre les territoires menacés par l’expérimentations à la carte, échelon intercommunal, oublié, réforme de la fiscalité locale escamotée : il ressort avant tout de ce constat une impression, celle d’un gouvernement qui ne sait pas très bien où il va. Au-delà des effets d’annonce, il n’est que temps qu’il précise le plus clairement possible le cadre dans lequel il compte inscrire son action. Cette transparence, il la doit tout autant à nos concitoyens qu’aux élus que nous sommes.