Politique culturelle de la Ville de Paris

Intervention de Patrick BLOCHE,
Président du Groupe socialiste
et radical de gauche

Monsieur le Maire,
mes chers collègues,

S’il y a bien un domaine où l’alternance du printemps 2001 doit imprimer tout particulièrement sa marque tout au long de la présente mandature, c’est bien celui de la Culture. Vous avez souhaité, Monsieur le Maire, en faire une priorité de la politique municipale et – à cette fin – vous avez pris des engagements financiers qui ont déjà trouvé leur traduction puisque le budget de la culture pour 2003 est en augmentation de 12% par rapport à celui de 2000.


La rupture avec la gestion passée est déjà sensible. Pour cela, il fallait créer de nouveaux équilibres et c’est la mission que vous avez confiée à vos deux adjoints Christophe Girard et Sandrine Mazetier dont le groupe socialiste et radical de gauche tient à saluer l’action. Repenser pour refonder, tel est donc leur mandat. Tel est aussi le nouveau mandat de la direction des affaires culturelles.

Une nouvelle politique culturelle parisienne doit se faire à plusieurs niveaux.


Le premier, le plus classique et reconnu par tous, est celui de la mémoire collective et patrimoniale. Les  » œuvres capitales de l’humanité « , disait Malraux.


Mais le syndrome patrimonial frappe vite et fort. La tentation est grande de tout garder, de ne rien détruire sauf quand cela concerne le 20ème siècle, de tout conserver dans l’état que l’on juge  » originel « . Même si cet état originel peine à être défini. Il faudrait ainsi, selon certains, retrouver les impacts de balles sur la façade de l’Eglise Saint-Roch en souvenir de la répression du mouvement royaliste du 13 Vendémiaire An III, car sa restauration les a, par négligence, rebouchés !


L’importance de la notion de patrimoine doit donc se lire d’abord dans son rapport avec la politique de notre temps. Elle doit donc être source de création et non signe de repli. Le patrimoine ne vaut que par l’interprétation que l’on en donne et ce qui sous-tend les démarches qui les transmettent.


C’est le choix que vous avez fait, Monsieur le Maire, et que les Parisiens ont validé de manière éclatante en assurant le succès de  » Nuit blanche « . Cette réussite ne saurait, bien entendu, éclipser d’autres initiatives tout aussi essentielles comme l’informatisation des bibliothèques patrimoniales ou la gratuité dans l’accès aux collections permanentes des musées parisiens.

Un autre niveau de la politique culturelle est celui des cultures au pluriel. C’est-à-dire celui des pratiques sociales des groupes auxquels chacun appartient : c’est le  » champ cultivé en commun « , les identités collectives. C’est une orientation nouvelle de la politique municipale illustrée par plusieurs initiatives comme  » Barbès Café « ,  » Envie d’Amphi  » ou encore le festival  » @rts ousiders « …

Un troisième et dernier niveau est celui, plus personnel, qui pourrait être  » ma culture « . Beaucoup de compagnies théâtrales qu’il faut aider s’attachent à l’expression de l’aventure personnelle et quotidienne des citoyens ordinaires à travers la retranscription de propos, la mise en scène de récits ou encore l’édition de paroles. On est ici dans le champ d’une politique de la ville qui doit savoir soutenir et financer les actions en faveur de cette reprise de la parole.

La politique culturelle innovante qui est inscrite dans la communication que vous nous avez présentée, Monsieur le Maire, crée, encourage et tisse ainsi des liens entre ces trois niveaux : entre l’appartenance à l’espèce humaine, l’intégration dans plusieurs groupes et l’existence individuelle de chacun.


Au contraire du multiculturalisme, il s’agit de considérer que les Parisiens ont des appartenances multiples, des échelles d’action qui vont du local à l’international :  » d’un côté, je participe au carnaval de mon quartier ; de l’autre, je vais applaudir les textes du répertoire contemporain au Théâtre du Rond-Point ; ce qui ne m’empêche pas de soutenir l’art nouveau italien par une pétition sur l’Internet. « 


Certaines formes d’art émergentes relèvent déjà de cette démarche. Les arts de la rue, par exemple, qui bénéficient d’un soutien significatif de la Ville, parviennent à défendre une ligne artistique, participent à une reconquête et à une réappropriation de l’espace urbain, touche un public nouveaux à l’occasion de fêtes populaires et peuvent contribuer à mettre en valeur un élément du patrimoine architectural.

Un axe essentiel de la nouvelle politique culturelle parisienne vise à conquérir de nouveaux publics. Car ils existent, ces publics potentiels qu’il faut démarcher, mieux disposer, embarquer dans l’aventure de la création.


Et puis, il y a cette immense soif commune, celle d’apprendre, de créer, de s’exprimer, d’échanger des mots, de la couleur, des sons. A faire exploser le périmètre d’intervention de l’ADAC. Vaste chantier, Monsieur le Maire, qui ne devra naturellement pas oublier ces professionnels, dont beaucoup sont de façon insupportable précarisés, et qui attendent plus d’intérêt porté à leurs conditions de travail et à l’évolution de leurs statuts.


La confiance que les Parisiens, comme nos concitoyens, accordent au livre comme vecteur privilégié de la culture nous interpelle à plus d’un titre. La politique menée en faveur de la lecture publique a eu de solides résultats. Le réseau des bibliothèques et des médiathèques – dont la fréquentation est continuellement exponentielle – maille cependant inégalement le territoire parisien, à l’est comme à l’ouest. Il faut donc une ambition nouvelle qu’illustre d’ailleurs la construction prévue de deux médiathèques dans le 15ème et dans le 20ème.


Dans une société qui donne à l’accès aux connaissances un prix plus fort que pour les connaissances elles-mêmes, qui exige toujours de savoir mieux apprendre tout au long de la vie, les bibliothèques doivent prendre dans notre Cité une place toujours plus importante. Plus que l’école, dont la mission est avant tout d’éduquer, la bibliothèque doit être le lieu de toutes les mixités, entre les groupes sociaux, entre les générations, entre les classes sociales. Cette ambition mérite un grand plan pluriannuel pour les bibliothèques. Et comme le livre a cette importance, ne devrions-nous pas être plus imaginatifs encore pour aider le réseau des librairies indépendantes à se moderniser et à se maintenir dans notre Ville ?


Prenons un autre domaine où l’engagement de la municipalité parisienne est une novation : celui de la politique en faveur des musiques actuelles. Celle-ci ne saurait naturellement se limiter à la construction de lieux de diffusion. Elle doit investir dans des lieux de répétition, proposer des soutiens publics qui ne se traduisent pas tous par des subventions, mais aussi par des formations à la production et à l’économie du secteur, par des conseils juridiques qui accompagnent la démarche des musiciens. Le ratage parisien était, à cet égard, exemplaire : pas ou peu de lieux de répétition, aucune structure municipale de diffusion, pas de collaboration avec les institutions nationales comme le centre de ressources Irma, seulement quelques aides limitées à la subvention. De fait, le projet porté à la Gaîté Lyrique fait figure de révolution.


On retrouve là toute l’importance des lieux, lieux de production et de diffusion qui conditionnent la place de l’artiste dans le Cité et pour Paris, quelquefois son retour : je pense tout particulièrement aux plasticiens. Cela va de la réalisation de ces ateliers d’artistes qui manquent cruellement ou qui – pour les existants – sont parfois illégitimement occupés au développement des lieux d’accueil et de résidence, la résidence : cette dimension absente jusqu’à présent – tout particulièrement pour les artistes chorégraphiques – de la politique culturelle parisienne.


Les lieux, ce seront naturellement de manière emblématique pour cette mandature, outre la Gaîté Lyrique que j’ai déjà évoquée : le 104 rue d’Aubervilliers, la Maison des Métallos et les Trois Baudets. Un comité de pilotage commun à ces quatre établissements pourrait être utilement créé pour fédérer toutes les synergies.


Les lieux, c’est aussi ce précieux réseau des théâtres privés parisiens, à la fois unique et fragile lorsqu’il s’agit des petites scènes qu’il faut entretenir, équiper et moderniser. Sachons prioritairement pallier aux insuffisances du Fonds de soutien au théâtre privé, en posant les bases d’un action ambitieuse et protectrice.


Et puis, il y a ces lieux fort divers que l’on nomme  » intermédiaires « , alternatifs, où dans un cadre le plus souvent pluridisciplinaire, s’inventent les émotions nouvelles de notre temps. Là, les disciplines se pacsent, les projets se nouent au fil des rencontres et se créent avec le public, dans le temps long de la fabrication. Ils ont nom  » Le Plateau « ,  » Ars Longa  » ou encore, jusqu’à peu,  » Batofar « …
Il m’aurait fallu sans doute plus de temps pour évoquer d’autres sujets qui ont ou qui doivent faire l’objet de réorientations nécessaires : qu’il s’agisse du développement des pratiques amateurs ou des politiques tarifaires qui, reléguant trop souvent le public dans le rôle de consommateurs assistés, doivent laisser la place au chèque culture, dispositif qui a le mérite de laisser la demande exprimer ses désirs, opérer ses choix, sans contrainte de calendrier.
De même, qu’il me soit permis de vous féliciter pour les choix salutaires que vous avez opérés en ce qui concerne la politique de la Ville dans le domaine du cinéma, notamment dans sa dimension festivalière, et de souhaiter qu’il subsiste le concours qu’organisait, tous les deux ans, le Festival international de la danse de Paris.

Monsieur le Maire, mes chers collègues, alors qu’hier notre Conseil pensait, à travers le PADD, un projet global pour le Paris de demain, inscrivons-y une politique culturelle conçue avant tout comme circulation, comme une voie qui élargit l’horizon, qui relie le plus proche au plus lointain, et pour citer Michel Serres, comme  » un chemin qui, pas à pas, nous emmène, de voisinage en voisinage, dans un voyage qui nous fait découvrir une culture voisine, puis une autre qui l’est un peu moins.  »