Projet de loi relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

C’est d’un bon projet de loi dont nous débattons aujourd’hui. Cette opinion du groupe socialiste est moins l’expression d’un point de vue partisan né du fait que ce texte a été élaboré par le précédent gouvernement que la satisfaction d’inscrire dans la loi des dispositions nées d’un large consensus sur la mise en œuvre d’un droit de prêt conciliant la sauvegarde de la lecture gratuite et le respect du droit d’auteur. Ce consensus doit beaucoup au rapport remis par Jean-Marie BORZEIX à Catherine TRAUTMANN en 1998 et aux concertations approfondies conduites entre le Ministère de la Culture et les représentants des professionnels du livre (auteurs, bibliothécaire, éditeurs, libraires), sans oublier les élus locaux.

Le droit de prêt consiste en une rémunération des auteurs et de leurs ayants droit, au titre du prêt d’ouvrages dans les bibliothèques. Son principe existe dans la législation depuis 1957, mais n’a pas été appliqué jusqu’à présent. Depuis 10 ans, une directive européenne fait obligation aux Etats membres de la mettre en œuvre.

Cette question a soulevé au printemps 2000 un large débat qui présentait des positions antagonistes entre les usagers de la lecture publique, les professionnels du livre et les auteurs. Elle s’inscrit dans le cadre général de la défense du droit d’auteur dans nos sociétés où la diffusion des nouvelles technologies et l’internalisation des échanges rendent son application plus complexe.

Nous nous en apercevrons tout particulièrement lorsque viendra en discussion au Parlement la transposition de la directive communautaire sur « les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information « .

Avant d’aborder plus à fond les dispositions mêmes du projet de loi et – par la même – de poser quelques questions et de soulever quelques préoccupations, qu’il me soit permis, un instant, d’évoquer le rôle joué dans notre pays par le livre et la lecture publique dans l’accès de nos concitoyens à la culture.

Un des enseignements les plus significatifs que l’on peut tirer de récentes enquêtes d’opinion est sans aucun doute la confiance que les Français accordent au livre comme vecteur privilégié de la culture, de leur culture.

Même si ce n’est pas vraiment étonnant, la proportion d’inscrits dans les bibliothèques municipales a plus que doublé entre 1973 et 1997. Il est profondément réjouissant que, pour 70 % de nos concitoyens, une personne cultivée est une personne qui lit beaucoup – il est même assez sympathique que Bernard Pivot soit définitivement sacré personnalité la plus culturelle de France, loin devant tous les autres. La sympathie n’empêche pas de mesurer le long chemin qu’il reste à parcourir pour passer d’une impression de culture au choix d’une culture librement consentie. Bernard Pivot, c’est la dictée, l’examen, la mise à la question et s’il balaie un champ très large qui inclut la bonne chère et le football, il est toujours prêt à demander qui a gagné Marignan.

Première évidence au vue de constat : les priorités budgétaires ne sont pas la traduction des priorités des Français, ce qui est fâcheux. Il convient de ne pas se contenter, bien entendu, de redorer les seuls frontons des bibliothèques. Il s’agit d’imaginer comment, à partir de ce que les Français connaissent et apprécient, leur proposer de nouvelles aventures. Si cela doit en priorité passer par le livre, réfléchissons-y. Aujourd’hui, ce n’est pas l’option qui anime habituellement nos débats budgétaires ni qui échauffe les commentateurs spécialisés, prompts à décerner des satisfecits ou des blâmes aux ministres successifs. Qui s’est jamais battu devant l’opinion publique pour une nomination de directeur de bibliothèque, sauf peut-être pour les plus prestigieuses ? De la Bibliothèque nationale de France, pourtant en voie de réhabilitation dans l’opinion et dans les médias, on continue d’entendre pousser soupirs et gémissements sur son coût, représentant environ 4,5 % du budget du ministère de la Culture. Mais quel serait le juste coût, pour notre pays, d’une institution séculaire amenée à jouer un rôle de mémoire accru dans une monde mobile et pluriel ? Qui oserait formuler un chiffre ?

Si le livre a cette importance, ne devrions-nous pas être plus imaginatifs encore pour aider le réseau des librairies indépendantes à se moderniser et à se maintenir dans les centres-villes ?

Ne faut-il pas conduire une réflexion, vingt ans après, sur la loi de 1981 sur le prix unique du livre, par ailleurs à nouveau menacée au nom de la libre concurrence au sein de l’Union européenne ? Alors que d’autres états-membres comme l’Italie ou la Belgique ont reproduit cette initiative française, le prix unique européen n’est-il pas à l’ordre du jour ? Ne sommes-nous pas bien frileux depuis la politique clairvoyante lancée par les ministères Lang et son directeur du livre et de la lecture, Jean Gattegno, dans les années 80 ?

Quant aux bibliothèques… Aucun Français ne se trouve à plus d’un quart d’heure d’une bibliothèque, dit-on. L’indicateur est sans doute trop imprécis, un peu racoleur, mais il est vrai que la politique menée depuis plus de vingt ans en faveur de la lecture publique, moins tapageuse que la politique en faveur du spectacle vivant, a eu cependant de

solides résultats. Le réseau des bibliothèques et des médiathèques maille maintenant l’ensemble du territoire : les bibliothèques départementales de prêt ont permis d’enrichir et de diversifier l’offre de lecture. Ce succès ne doit pas conduire à abdiquer toute ambition nouvelle pour les bibliothèques. Dans une société qui donne à l’accès aux connaissances un prix plus fort que pour les connaissances elles-mêmes, qui exige toujours davantage de savoir mieux apprendre tout au long de la vie, les bibliothèques doivent prendre dans la Cité une place toujours plus importante. Plus que l’école, dont la mission est avant tout d’éduquer, la bibliothèque doit être le lieu de toutes les mixités, entre les groupes sociaux, entre les générations, entre les classes sociales. Cette ambition mériterait un grand plan pluriannuel pour les bibliothèques, en liaison avec le monde de la librairie, dans l’esprit des années 80.

Malheureusement, les réalités budgétaires d’aujourd’hui mènent toujours à la même réflexion : il faudrait sacrifier un pan de l’action publique en faveur de la culture et qui pourrait justifier ce sacrifice ? Qui est Paul et qui est Pierre dans cet effeuillage continuel de l’action publique ?
L’échec de la politique culturelle, ce serait donc moins l’échec de la démocratisation que l’incapacité à répondre aux attentes culturelles des Français, dans leur diversité, et à construire, comme cela se fait dans quelques collectivités une politique de la diversité de l’offre culturelle à partir de celle, nécessairement renforcée et vivifiée, dopée à l’internet et aux réseaux, du livre et de la lecture.

Il n’est que temps, sans doute, de revenir aux dispositions du texte qui nous est proposé.

En modifiant le code de la propriété intellectuelle en créant une licence légale procurant une sécurité juridique aux prêts d’ouvrages dans les bibliothèques et un droit à rémunération de leurs œuvres aux auteurs et aux éditeurs ayants droit, le projet de loi conforte les bibliothèques dans l’exercice de leur mission de service public et assure un  » droit de prêter  » qui ne sera plus susceptible d’être contesté.

La volonté de poursuivre l’effort en faveur de l’accès du plus grand nombre au livre et à la lecture a conduit à écarter d’emblée l’idée d’un  » prêt payant  » dont l’usager aurait directement assumé la charge lors de chaque emprunt.

Une approche globale et solidaire du livre institue donc un  » prêt payé  » par l’Etat et par les collectivités territoriales et les autres organismes dont relèvent les autres bibliothèques.

Le  » prêt payé  » repose sur deux sources de financement : le  » prêt payé  » forfaitaire et le  » prêt payé  » à l’achat.

Sur la première source de financement, le groupe socialiste nourrit cependant une inquiétude précise concernant les bibliothèques universitaires. Même si le versement ne sera que d’1 € par lecteur inscrit, au lieu d’1,5 € pour les autres bibliothèques, nous craignons les conséquences de ce financement annuel forfaitaire que doit assurer le Ministère de l’Education nationale.

Dans un contexte de rigueur budgétaire pour l’enseignement supérieur où des universités sont obligées de
fermer temporairement car elles ne peuvent supporter la totalité de leurs charges financières, ce  » prêt payé  » forfaitaire ne pourra qu’aggraver des situations déjà difficiles.

Aussi comme nous y autorise la directive européenne sur les droits d’auteur, nous avons déposé un amendement qui vise à exempter les bibliothèques universitaires, au même titre que les bibliothèques scolaires et les bibliothèques des hôpitaux, de ce  » prêt payé  » forfaitaire. Nous aurons ainsi la garantie que son coût ne sera pas répercuté, même partiellement, sur les frais d’inscription des étudiants.

Sur le  » prêt payé  » à l’achat, même si sa mise en œuvre s’étalera sur deux ans, nous souhaiterions traduire le souci que nous procure l’effort supplémentaire imposé aux collectivités territoriales dont nous savons la place centrale qu’elles occupent au sien du dispositif de la lecture publique.

Le projet de loi crée, en effet, des charges nouvelles pour les collectivités, et ce dans un contexte où les élus locaux s’interrogent sur les projets de décentralisation du gouvernement et craignent des transferts de compétence sans compensation financière équivalente.

A cet égard, il est souhaitable que l’Etat s’engage à soutenir les efforts des collectivités territoriales pour accroître les budgets d’acquisition de leurs bibliothèques.

Par ce texte, il s’agit également de renforcer les équilibres de la chaîne économique du livre.

L’abandon du  » prêt payant  » au profit du  » prêt payé  » rend logiquement nécessaire la modification de l’article 3 la loi du 10 août 1981 instituant le prix unique du livre.

Actuellement, les achats de livres par les collectivités ne sont pas soumis au prix unique car, en 1981, il était apparu nécessaire de favoriser, tout particulièrement dans les bibliothèques, la diffusion du livre qui accusait un sérieux retard.

Cette dérogation engendre aujourd’hui des dérives préjudiciables pour les libraires détaillants dans le marché des bibliothèques dont ils sont exclus du fait de la surenchère des rabais proposés par les libraires grossistes, actuellement entre 18 et 30 %.
Le projet de loi prévoit donc de plafonner à 9 % les rabais actuellement consentis par les libraires grossistes aux collectivités lors de l’achat d’ouvrages pour leurs bibliothèques de prêt.

Par la loi, une régulation est ainsi opérée, dans un domaine qui relève du secteur privé, par le rétablissement d’une réelle concurrence entre les grossistes et les petits libraires.

Cette démarche est suffisamment exemplaire pour ne pas souhaiter qu’elle s’applique également dans le cadre de la cession de la branche édition du groupe Vivendi Universal. Les risques économiques, sociaux et culturels nés de la soudaine concentration du secteur de l’édition et encore plus de la distribution dans notre pays, sont tels que le gouvernement ne peut se permettre de garder l’attitude passive qui a été jusqu’à présent la sienne.

Cette préoccupation que nous exprimons au nom de la diversité et du pluralisme nous amène d’ailleurs, Monsieur le Ministre, à vous demander si vous comptez donner suite à la proposition formulée par le rapport BORZEIX de créer un fonds spécial destiné à soutenir les secteurs en difficulté de l’édition.

Les ressources obtenues par le droit de prêt feront donc l’objet d’une gestion collective obligatoire et donneront lieu à une double utilisation :

– le versement des droits d’auteur répartis sur la base annuelle des titres achetés par les bibliothèques,
– la création d’un régime complémentaire de retraite obligatoire par répartition pour les écrivains et les traducteurs exerçant l’activité d’écriture et de traduction à titre principal.
Ils sont en effet les seuls, parmi les créateurs, à ne pas bénéficier de cette couverture sociale.

Même si les effets de la non pris en compte des écrivains qui n’exercent pas à titre principal leur activité d’auteur devront être mesurés lorsqu’un premier bilan de l’application de cette loi sera fait, nous nous réjouissons de l’amélioration sensible de la protection sociale des auteurs. Cette avancée ne peut que nous faire regretter qu’au moment même où nous débattons de ce texte, d’autres intervenants culturels soient scandaleusement précarisés, qu’il s’agisse de la remise en cause du régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle ou de la suppression votée par la majorité des emplois-jeunes qui destablise dangereusement nombre d’entreprises ou d’associations culturelles.

En conclusion, le groupe socialiste votera ce projet de loi car il combine utilement le renforcement du droit d’auteur, élément essentiel du combat pour la diversité culturelle, et la préservation d’une pratique culturelle largement démocratisé et à laquelle nos citoyens sont légitimement attachés, la lecture publique.