Projet de loi relatif à l’archéologie préventive
Amendements concernant l’archéologie préventive au projet de loi « Urbanisme, habitat et contrustion » – 2ème séance du jeudi 3 Avril 2003
M. Patrick Bloche – Mes amendements 49, 51 corrigé et 52 visent à revenir sur le vote qui a eu lieu pendant l’examen du projet de loi de finances pour 2003, et qui a eu pour conséquence de réduire de 25 % le montant des deux redevances d’archéologie préventive.
Trois mois plus tard, l’archéologie préventive que nous avions voulu renforcer par la loi du 17 janvier 2001 est très fragilisée. Les archéologues ressentent très directement cette réduction significative des moyens dont ils disposent. L’Institut national de recherches archéologiques préventives ne peut plus assurer sa mission. Son budget pour 2003 n’a pas été voté : il est versé par douzièmes, ce qui n’est pas sans conséquence sur les embauches.
Le Gouvernement n’a pas tenu la promesse qu’il avait faite de compenser cette brutale perte de recettes. Je sais que M. Aillagon a pour objectif de réformer la loi du 17 janvier 2001. Mais on aurait pu en faire l’évaluation avant de suspendre son application. Nous venons d’être interpellés par plusieurs professeurs au Collège de France et chercheurs, dont Yves Coppens, qui nous disent : » N’enterrons pas l’archéologie préventive « .
Nous sommes ouverts à une révision de la loi de 2001. Encore faudrait-il que le Gouvernement nous fasse connaître ses intentions. Certes, il ne faut pas oublier les archéologues des collectivités territoriales. Mais sauvons l’archéologie préventive.
Je souhaite que M. Aillagon s’en préoccupe autant que des sites archéologiques irakiens.
M. le Ministre de l’équipement – La situation de l’archéologie préventive est un vrai problème, mais je doute que ces amendements apportent une vraie solution.
Le dispositif mis au point par le précédent gouvernement était intenable. Il a mis à la charge des collectivités maîtres d’ouvrage des dépenses insupportables, et ce prélèvement est encore insuffisant pour compenser le coût du dispositif.
La limitation de recettes votée par le Parlement ne résout qu’un aspect du problème. M. Aillagon, chargé de ce dossier complexe, travaille pour vous proposer une solution complète. Mais on ne peut faire porter à la majorité actuelle la responsabilité de la situation. Avis défavorable à l’amendement 49, ainsi qu’aux amendements 51 corrigé et 52 qui, dans une certaine phraséologie, tentent de faire oublier que le précédent gouvernement avais mis en place un dispositif déséquilibré.
M. Patrick Bloche – Malgré la vigueur et la rigueur de vos propos, je doute de votre conviction. Il n’est pas d’usage de suspendre une loi avant de la réformer. La redevance, en outre, est payée par les aménageurs. L’archéologie préventive, c’est 100 millions d’euros, alors que le BTP, c’est 100 milliards.
Il s’agit de préserver notre patrimoine historique. On connaît les conséquences catastrophiques de certains aménagements dans les années 1950, 1960 et 1970. Le ministre nous parle de réformer, mais quand et comment ? Si M. Proriol a eu apparemment le plaisir d’être invité par M. Aillagon pour y réfléchir, nous aimerions quant à nous être un tant soit peu informés. La profession le souhaiterait également, ainsi que son Institut national, dont le budget pour 2003 n’a pas été voté mais est versé par douzièmes, dont les embauches sont suspendues et les CDD non reconduits.
Notre amendement n’est en rien un cavalier, à la différence des trois auxquels nous avons eu droit hier dans le projet sur le prêt en bibliothèque.
Le danger réside ici dans la volonté du Gouvernement de remplacer une redevance par une négociation au coup par coup, qui marquerait un recul de l’Etat, garant de l’intérêt général, et dont les intervenants seraient à la fois juges et parties.
Les amendements 49, 51 corrigé et 52, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
Exception d’irrecevabilité relative au projet de loi sur l’archéologie préventive, présentée au nom du groupe socialiste par Patrick Bloche – Vendredi 4 Juillet 2003
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Bruno ORY-LAVOLLEE commence son beau livre intitulé « Richesses invisibles – Que nous apporte la culture ? » par ses mots : « Ma famille, du côté paternel, est originaire du plateau picard, pluvieuse plaine parcourue par les vents, où le ciel forme la plus grande partie du paysage, où les grandes cultures font sentir la force profonde de la terre. Mes ancêtres se sont transmis de génération en génération une de ces grandes fermes qui, avec les rares bosquets et les villages esseulés, ponctuent l’immensité.
Mon oncle, en plus d’avoir fait de cette ferme l’une des plus modernes de France, avait une passion : l’archéologie. Il conservait les tessons, monnaies, fossiles, morceaux d’outils…qui remontent régulièrement des labours comme des messages venus du passé. Il avait entrepris des fouilles pour mettre au jour les vestiges de bâtiments médiévaux de la ferme. Un jour, il apprit qu’une grange ancienne, très belle quoique en mauvais état, une « grange aux dîmes », était condamnée à la démolition. Il s’y rendit immédiatement et acheta le bâtiment.
Avec ses ouvriers agricoles, il le démonta, poutre par poutre et pierre par pierre, puis le remonta à l’extrémité de sa propre cour et le restaura.
Une fête eut lieu pour inaugurer l’édifice. A la vue du vaste et bel espace créé par ces piliers et ces poutres de chêne, je dis à mon oncle : « Il faut organiser ici des concerts ! »
A chaque nouvelle rencontre, je lui reparlais du projet avec enthousiasme : il finit par y consentir. J’invitai quelques amis à découvrir les lieux, et ils s’enrôlèrent dans l’organisation du premier festival d’Elogette – tel est le nom de la ferme ».
C’est ainsi, chers collègues, tout particulièrement dans notre vieux pays, que nos concitoyens tout autant épris de culture que de leur Histoire, tissent spontanément des liens entre archéologie, patrimoine et spectacle vivant.
Ce fil est précieux car notre mémoire collective est sans conteste l’un des creusets les plus féconds pour tous les créateurs des temps actuels.
Parler d’archéologie, d’archéologie préventive plus précisément, c’est donc aborder un aspect majeur de l’action culturelle.
Cette perspective aurait dû nourrir notre enthousiasme. Hélas ! comme dans bien d’autres domaines depuis un an, le projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui est un mauvais coup supplémentaire porté à la politique culturelle de notre pays, en traduisant un nouveau recul de l’intervention de la puissance publique.
Il est d’ailleurs un peu irréel de se retrouver dans cet hémicycle en ce début du mois de juillet, de fait en session extraordinaire, pour débattre précipitamment en un domaine où l’encre du législateur est encore fraîche et alors que les intermittents du spectacle se sont dressés pour refuser l’inacceptable précarisation que leur impose le mauvais accord signé le 27 juin dernier.
Le bilan culturel du gouvernement de monsieur RAFFARIN, en une année, est tristement éloquent.
C’est au Parlement d’ailleurs, à l’été dernier, que le premier signe de cette funeste dérive fût donnée. Rappelons- nous : dans un texte supprimant les emplois-jeunes et dont les effets sur nombre d’entreprises culturelles commencent à se faire sentir lourdement, Monsieur FILLON introduisait un cavalier visant à modifier le Code du travail pour mettre fin à la solidarité interprofessionnelle de l’assurance-chômage.
Ce qui lui permettait peu après d’agréer un premier accord de l’UNEDIC marquant le début de l’offensive du MEDEF contre les annexes 8 et 10 et entraînant le doublement des cotisations, part employeurs comme part salariés, des intermittents du spectacle.
En 12 mois, la liste est déjà longue des décisions, initiatives ou arbitrages si dommageables pour les acteurs culturels de notre pays. Comment ne pas évoquer d’abord, car il est naturellement majeur, le repli budgétaire qui a caractérisé vos crédits, Monsieur le Ministre, dès l’adoption de la première loi de finances de la nouvelle législature et qui conduit régulièrement à l’annulation de crédits par arrêté, le 12 juin dernier encore pour 2.4 millions d’euros d’interventions culturelles d’intérêt national et pour 6.8 millions d’euros d’interventions culturelles déconcentrées. Qu’est donc devenue la promesse du Président de la République, alors candidat, de sanctuariser le budget de la culture ?
Puisque le budget craque, pourquoi ne pas faire appel au privé ou se décharger sur les collectivités territoriales ? Tel semble être le raisonnement de votre gouvernement qui s’apprête à décentraliser l’Etat par appartements, sans véritable vision d’ensemble et qui, à votre initiative, nous a invités à débattre de dispositions sur le mécénat qui ont le désavantage de ne pouvoir s’adosser à une politique publique dynamique et de ne pas être le résultat d’un dialogue avec les acteurs culturels en charge de l’intérêt général.
Et puis, il y a bien d’autres mesures contestables: c’est la réorganisation des musées en faveur des grands et au détriment des petits, le critère de la fréquentation se substituant à la mutualisation des ressources ; c’est récemment la nouvelle législation sur les marchés publics au bénéfice des promoteurs et contre les architectes.
Parfois, il vous arrive de pêcher par omission lorsque vous ne réagissez pas au démantèlement de Vivendi Universal alors que la vente de VUP conduit à une concentration sans précédent du secteur de l’édition du livre et encore plus de sa distribution.
A ce rythme de dévastation programmée du champ culturel national, quelle crédibilité faudra-t-il accorder bientôt aux discours officiels qui, au-delà de nos frontières, portent cette exception culturelle qui nous rassemble ?
L’exception culturelle perdra ainsi un peu plus de son sens lorsque votre gouvernement aura agréé, avant la fin de ce mois puisque telle est l’intention que vous avez exprimée, l’accord du 27 juin dernier modifiant les règles du régime spécifique d’assurance-chômage des intermittents du spectacle.
Le MEDEF, par la voix de son Président Ernest-Antoine Seillière, nous a livré une interprétation de cet accord qui devrait vous faire réfléchir, Monsieur le Ministre, puisque que pour le patron des patrons, il « évitera que des gens vivent de l’assurance-chômage au lieu de vivre de leur travail », ajoutant même : « Le milieu du spectacle est habitué à ce qu’on ne touche pas à ses privilèges, on y touche comme à d’autres et c’est ça qu’on appelle la réforme ».
Et, pourtant, la si légitime et si forte mobilisation des intermittents du spectacle qui a conduit à l’annulation des premiers festivals d’été, a soudainement montré que la culture n’était pas qu’une dépense stigmatisée par le MEDEF et quelques autres, mais une extraordinaire création de richesses dont le pays tout entier est redevable aux professionnels du spectacle vivant.
Alors, Monsieur le Ministre, arrêtez de prétendre que vous avez évité que les annexes 8 et 10 soient fondues dans l’annexe 4 de la convention Unedic concernant les intérimaires, alors que c’est la proposition de loi de notre collègue Jean LE GARREC, votée sous la précédente législature, qui a comblé un vide juridique alors autrement plus menaçant. Plutôt que d’attaquer vos prédécesseurs et d’essayer de nous faire croire que l’accord du 27 juin contient (je vous cite) « des avancées considérables », prenez en considération la détresse de ces artistes et de ces techniciens qui, déjà aujourd’hui, ont souvent des difficultés à atteindre les 507 heures en une année. Mesurez le coût social de votre agrément qui va exclure de l’assurance-chômage plus d’un tiers de ceux qui en bénéficient actuellement.
Certes, le déficit comptable de l’Unedic sera réduit en faisant cependant l’économie de la nécessaire réforme des annexes 8 et 10 pour lutter efficacement contre les abus divers. Mais à quel prix ? Celui notamment que paiera la collectivité toute entière puisque l’accord contesté conduira nombre de professionnels du spectacle vivant à gonfler les rangs des Rmistes.
Alors qu’intermittents et archéologues manifestent déjà au coude à coude, il n’est que temps que votre gouvernement arrête de diviser les Français : hier, sur le dossier des retraites, en opposant salariés du privé et salariés du public ; aujourd’hui, à partir de ce mauvais accord, en opposant les artistes aux festivaliers, les intermittents du spectacle aux autres salariés; et, à travers le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui, les archéologues aux aménageurs, tout particulièrement lorsque ceux-ci sont des élus locaux.
C’est donc au nom du pacte républicain qui est le ciment de l’unité nationale et du rassemblement de nos concitoyens que je vais à présent aborder l’exception d’irrecevabilité sur ce projet de loi qui suscite l’opposition la plus vive du groupe socialiste.
Pour appréhender votre vision dogmatique de l’archéologie préventive et en mesurer la dimension finalement réactionnaire, il n’est pas inutile de rappeler la situation antérieure à la loi du 17 janvier 2001.
Créée en 1973 à l’initiative des ministères de l’économie et des affaires culturelles, sous la forme d’une association de droit privé, l’Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales, l’AFAN, présentait toutes les caractéristiques d’un « démembrement de l’administration ».
Cette formule, adoptée à l’origine du fait de sa souplesse, tant pour la gestion des crédits que pour le recrutement des personnels, a très vite montré ses limites, l’AFAN ayant été critiquée pour sa « gestion de fait » par la Cour des Comptes. L’archéologie préventive ne possédait pas alors l’outil qui lui permettrait d’avoir la place que celle-ci mérite dans le monde de la recherche.
Pourtant, l’AFAN a sans conteste contribué à réduire le retard de la France en matière d’archéologie préventive. Elle pratiquait environ 1.300 opérations par an, 90 % de son personnel relevait de la filière « recherche et technique ». L’association disposait de près de 1 100 agents sur contrats à durée indéterminée et de plusieurs centaines sur contrats à durée déterminée.
Cependant, le mode de financement de l’AFAN posait problème. Son budget, qui se montait à environ 400 millions de francs par an, était alimenté pour l’essentiel par le produit des prestations issues de son activité, c’est-à-dire par les fouilles. Le financement était donc assuré par les aménageurs, selon des tarifs fixés de manière unilatérale.
Comment se déroulaient alors, en pratique, les fouilles archéologiques préventives ? Elles comportaient une succession d’opérations qui se décomposaient en trois phases : l’étude et la prospection ; les fouilles proprement dites ; enfin, les opérations post fouilles, liées à l’analyse et à la diffusion des résultats.
Avant d’engager des fouilles, il était indispensable de s’interroger sur l’existence de vestiges sur l’emprise des travaux et, le cas échéant, d’en déterminer la nature et l’intérêt scientifique. Le diagnostic préliminaire reposait sur des études documentaires qui faisaient appel, en particulier, aux données de la carte archéologique nationale, dont la réalisation constituait l’une des missions de l’AFAN. Il était suivi de prospections qui permettaient de localiser et d’identifier les sites par des techniques de décapages et de sondages.
Lorsqu’apparaissait la nécessité de procéder à des fouilles, une convention était généralement conclue entre l’aménageur, l’Etat prescripteur et l’opérateur de fouilles. Ce document fixait les conditions générales du déroulement des travaux. Un cahier des charges, établi par le conservateur régional de l’archéologie, définissait les objectifs scientifiques poursuivis et la nature des interventions qu’il convenait d’effectuer, ainsi que le nombre et la qualification des personnels requis et les matériels nécessaires.
Le cahier des charges était adressé à l’AFAN pour l’établissement de son devis, qui était ensuite transmis à l’aménageur. Les opérations de fouilles proprement dites pouvaient alors commencer.
Ce système a fait l’objet d’interrogations et de critiques.
D’une part, celles-ci tenaient à la croissance progressive des coûts et à leur variabilité selon les régions ou selon la nature des travaux. De fait, il existait ce qu’on appelait « une négociation préalable » qui permettait à chaque aménageur de discuter le montant de la redevance. Cette méthode était pour le moins critiquable puisque d’une part elle ouvrait la porte à toute sorte de dérives et que d’autre part elle brisait l’égalité de l’ensemble des aménageurs face aux prescriptions de l’archéologie préventive. Selon nombre de ses acteurs, « on a pu soupçonner que la hauteur des coûts pouvait être liée à la solvabilité de l’aménageur ». J’aurai l’occasion d’y revenir puisque nous craignons, Monsieur le Ministre, de retrouver cette situation contestable et contestée avec le texte que vous nous présentez.
Par ailleurs, la logique purement économique qui prévalait à l’AFAN s’imposait au détriment d’autres considérations comme l’exigence scientifique ou l’aménagement du territoire. Ainsi, tout un pan de la démarche archéologique était négligé, celui qui concernait le suivi scientifique, le » rendu » des fouilles. De la même façon, l’évaluation, la valorisation et l’encadrement scientifiques des agents n’étaient pas assurés convenablement.
La question du financement a logiquement débouché alors sur celle du statut et, à l’évidence, la forme associative s’est révélée inadaptée. Au-delà, l’interrogation de fond portait sur la nature même de l’archéologie préventive : activité économique ayant vocation à s’ouvrir à la concurrence, ou discipline scientifique relevant du service public ?
Sans nier la fonction économique de l’archéologie préventive, la loi de janvier 2001 et l’établissement public qu’elle a créé, a voulu mettre l’accent sur cette seconde approche.
Cette loi a fondé l’archéologie préventive sur quatre principes directeurs:
– l’archéologie est une science ;
– l’archéologie préventive est une composante à part entière de la recherche archéologique ;
– l’archéologie préventive, discipline scientifique, assure en même temps une fonction économique spécifique ;
– l’Etat doit être le garant du nouveau régime de l’archéologie préventive.
De ces principes, quatre grandes orientations ont été dégagées:
– le caractère de service public national de l’archéologie préventive;
– la recherche archéologique préventive confiée à un établissement public ;
– la réforme profonde des mécanismes d’intervention et de régulation;
– le choix de ne pas bouleverser pour autant la loi de 1941.
Les deux premiers articles de la loi de 2001 rappellent d’ailleurs directement ces principes :
L’article 1er définit l’archéologie préventive en tant que composante de la recherche archéologique et fixe les prérogatives de l’Etat.
L’article 2 a créé un nouvel établissement public national à caractère administratif, doté de droits exclusifs en matière d’archéologie préventive, et il en précise les règles d’organisation et de fonctionnement.
Par ailleurs, les articles 3, 4 et 5 précisent le financement de cet établissement, qui repose notamment sur deux redevances versées par les aménageurs, l’une portant sur les opérations de sondages et de diagnostics, l’autre sur les opérations de fouilles elles-mêmes.
Ce dispositif cohérent a permis de mettre fin à la crise de l’archéologie préventive en France en substituant enfin entre les parties prenantes la confiance à la méfiance, en instaurant une réelle transparence…C’est l’occasion pour moi de rendre hommage à notre ancien collègue Marcel ROGEMONT à qui ce texte fondateur, devenu aussitôt une référence pour les archéologues du monde entier, doit tant.
La loi de 2001 a donc permis d’apporter de nombreuses réponses à des questions essentielles. L’archéologie préventive n’est pas une marchandise, tant la mémoire, le patrimoine sont des valeurs collectives auxquelles nos concitoyens, nous le savons, sont particulièrement attachés…Or, la logique de marchandisation qui est la déclinaison de votre dogmatisme libéral dans le domaine économique, marque de son empreinte nombre de projets de loi que le gouvernement nous soumet depuis le début de la législature. Le parallèle entre ce texte sur l’archéologie préventive et celui dont nous débattrons, dans quelques jours, sur le sport est – à cet égard – frappant.
De fait, la création artificielle (et, par là même, anti-économique) d’un marché concurrentiel des fouilles, cette privatisation rampante (n’ayons pas peur des mots) que vous décrétez, portent le risque majeur d’un fantastique bon en arrière et c’est en cela que votre projet de loi est réactionnaire.
Comment la nuée annonce l’orage, votre texte peut conduire à renouer avec une époque funeste, celle des années 50 à 70 qui a correspondu à la destruction en masse de biens archéologiques majeurs. Dois-je rappeler les pertes inestimables générées par les aménagements du Parvis de Notre Dame de Paris ou de construction de la bourse de Marseille ? Ne faut-il donc pas que notre mémoire collective soit préservée de toute velléité marchande ? L’intérêt général n’est-il pas là ?
C’est pour ces raisons que la loi de 2001 a créé un établissement public administratif chargé de l’archéologie préventive doté de droits exclusifs en la matière mais pouvant s’adjoindre les services archéologiques des collectivités territoriales ou de toute autre société publique ou privée compétente en la matière.
L’ Institut National de Recherche d’Archéologie Préventive (INRAP) a ainsi remplacé l’ancienne AFAN, association de droit privé, simplement liée au ministère de la culture par convention mais en situation de monopole de fait.
Le cadre législatif de 2001 a maintenu un régime conventionnel entre l’aménageur et l’INRAP mais en le limitant aux délais de réalisation des diagnostics et de fouilles (avec possibilité, pour les services de l’Etat, faute d’accord entre les parties, de fixer ces délais) et aux conditions de fournitures des matériels des équipements et des moyens nécessaires à leur mise en œuvre.
Il fixe également la répartition des participations financières aux diagnostics et aux fouilles : des subventions de l’Etat ou de collectivités publiques et deux redevances d’archéologie préventive dues par les aménageurs, la première portant sur les diagnostics et la seconde sur les fouilles elles-mêmes.
Le montant des redevances est calculé selon des critères très précis, fixés aux termes de la loi et n’est donc plus négociable comme il l’était préalablement, ce qui a été un changement fondamental. L’assiette de la redevance a été établie, selon le type de travaux envisagés ; le calcul du montant des redevances a été fixé en fonction de la surface et, pour les opérations de fouilles, selon que le site soit stratifié ou non ; des cas d’exonération (logements sociaux, construction privée à usage personnel, travaux effectués pour une collectivité territoriale par ses propres services archéologiques) ont été prévus.
Les aménageurs bénéficient d’une voie de recours pour les contestations ayant trait au montant de la redevance, auprès d’une commission administrative paritaire.
Un bilan gouvernemental de l’application de cette loi, à destination du parlement, était même prévu, au plus tard, le 31 décembre 2003.
Mais, voilà, le gouvernement et sa majorité parlementaire n’ont pas jugé utile d’attendre ce rendez-vous pour effectuer une remise en cause fondamentale de cette loi.
La première agression est venue du Sénat où un amendement à une proposition de loi sur l’urbanisme réintroduisait le système existant préalablement à la loi de 2001, c’est à dire un système intégralement contractuel entre l’aménageur et l’INRAP et étendant donc le champ de la convention au montant de la participation financière de l’aménageur au diagnostic et aux fouilles. L’aménageur aurait ainsi pu « imposer » à l’INRAP des tarifs de diagnostic et fouilles à sa convenance et fixés selon des critères plus ou moins objectifs.
Le dispositif de cet amendement annulait aussi toutes les décisions de prescriptions archéologiques prises en vertu de la loi, avant l’entrée en vigueur du dispositif. Fort heureusement, cette initiative contestable est restée sans suite.
Las ! Le groupe UMP de l’Assemblée Nationale a pris le relais. Et c’est ainsi qu’un amendement au projet de loi de finances pour 2003, adopté en CMP et entériné par l’Assemblée nationale et le Sénat le 18 décembre dernier, a modifié la loi du 17 janvier 2001 en réduisant de 25% le montant des deux redevances d’archéologie préventive (diagnostics et fouilles) versées par les aménageurs.
L’INRAP a été touché de plein fouet par cette réduction brutale de la redevance, source première de son financement. Une période d’incertitude s’est ainsi ouverte pour l’établissement public injustement attaqué de toutes parts. Rappelons-nous ces propos particulièrement déplacés et si offensants pour tous les professionnels de l’archéologie sur l’argent public dépensé pour déterrer des canettes de Coca-cola !!!
Ainsi, le refus de Bercy au début de cette année de valider le budget de l’INRAP a eu pour conséquence de déstabiliser durablement l’Institut. En effet, l’INRAP est actuellement autorisé par le Ministère des Finances à utiliser, chaque mois, un montant équivalent au 1/12ème du budget primitif de l’année précédente donc celui de 2002. Cette autorisation devant être renouvelée mensuellement, imaginez quelles peuvent être les conditions de travail des archéologues de l’INRAP qui sont aujourd’hui dans l’incapacité de prévoir leurs missions au-delà d’un mois…
De plus, l’Institut a dû se séparer de plus de 500 agents employés en CDD (équivalents à 300 plein temps). De nombreux chantiers ont, de ce fait, pris du retard ou ont été suspendus.
En pur affichage, votre projet de loi, Monsieur le Ministre, prétend poursuivre au moins trois objectifs :
– proposer un système mieux adapté aux projets des « petits aménageurs »,
– rendre plus lisible pour les aménageurs le mode de calcul des redevances ;
– réduire le déficit budgétaire de l’INRAP estimé à 40 millions €.
Mais, au lieu de nous proposer une simple modification de l’assiette et des modalités de calcul de la redevance visant à prendre en compte l’interpellation le plus souvent légitime des élus des petites collectivités locales qui ont parfois du mal à faire face au paiement des redevances dues à l’occasion d’opérations d’aménagement, vous avez fait le choix aussi extravagant qu’injustifié de bouleverser l’équilibre général la loi de janvier 2001 en ouvrant le marché des fouilles à la concurrence privée et étrangère et en mettant à mal la mission de service public remplie par l’INRAP.
Votre projet de loi, Monsieur le Ministre, sonne le glas d’un grand service public de l’archéologie préventive, référence internationale incontestée dans nombre de pays, y compris proches du nôtre au sein de l’Union européenne comme l’Espagne, l’Italie et surtout la Grande-Bretagne (j’y reviendrai).
Les opérations de diagnostic et de fouilles ne se seront donc plus effectuées ni dans le même cadre réglementaire, ni par le même organisme : il y a, de fait, rupture de la chaîne opératoire.
Les opérations de fouilles ne se feront plus au bénéfice de l’intérêt général, mais au bénéfice de l’aménageur.
La logique de l’aménageur qui devient le maître d’ouvrage de l’opération archéologique a ainsi été délibérément privilégiée.
Le rôle et la composition du CNRA et des CIRA comme le statut des personnels des services archéologiques territoriaux est remis en cause, autorisation étant donnée aux collectivités territoriales de recruter des agents non titulaires de la fonction publique territoriale en lieu et place de fonctionnaires titulaires.
En instaurant une redevance à taux unique de 0,32 € par m² avec de larges exonérations, le projet de loi compromet gravement la pérennité budgétaire de l’INRAP. Je voudrais insister ainsi sur l’exonération prévue pour les opérations concernant des surfaces de moins de 5000m2, le Sénat ayant d’ailleurs ramené cette exonération aux projets inférieurs à 1000m2.
Avec une telle proposition, Monsieur le Ministre, vous signez la mort financière de l’INRAP. En effet 70 % de cette redevance doivent financer tous les diagnostics, la recherche, les publications et les frais de structure, les 30 % restants étant réservés à un fond de péréquation destiné à subventionner les aménageurs qui le demandent et à financer les opérations de fouilles concernant les logements sociaux et les constructions des particuliers pour eux mêmes.
L’avenir de l’INRAP est ainsi directement menacé. Vous amputez son pouvoir d’intervention en lui retirant l’exclusivité des opérations de fouilles et en partageant, de manière peu claire, les opérations de diagnostic. Vous soumettez l’établissement à la concurrence et à la recherche active de financements en ne lui donnant l’exclusivité que sur les opérations non rentables…
Et c’est la même logique qui vous conduit à ouvrir la possibilité pour les collectivités territoriales, de recruter les anciens agents de l’INRAP, sur des CDI, en qualité d’agents non titulaires de leurs services archéologiques.
Le choix incohérent de privatisation de l’archéologie préventive que vous avez fait conduit désormais à ce que ce soient les aménageurs qui choisissent l’opérateur public ou privé, quelque soit la structure qui ait eu en charge à l’origine l’opération de diagnostic, INRAP ou collectivité territoriales. L’article 5 de votre projet de loi est, à cet égard, sans ambiguïté : « La réalisation des prescriptions de fouilles d’archéologie préventive (…) incombe à la personne projetant d’exécuter les travaux… ».
Le choix opéré par l’aménageur se fait selon le projet financier proposé : il n’y a plus de barème, plus de mutualisation du coût.
L’INRAP ne pouvant refuser de réaliser « des opérations de fouilles à la demande de l’aménageur au cas où aucun autre opérateur ne s’est porté candidat », toutes les opérations de fouilles trop coûteuses en raison des contraintes techniques et scientifiques, seront à la charge unique de l’INRAP.
Le projet de loi a donc pour conséquences de limiter les interventions archéologiques, mais également de privatiser les archives archéologiques et d’éclater les collections archéologiques.
L’INRAP opère dans la limite des crédits et du personnel inscrits à son budget. Seul un exemplaire du rapport de fouilles est fourni à l’INRAP, rien apparemment aux Services Régionaux Archéologiques. Les archives archéologiques (descriptifs, plans, relevés, coupes…) restent propriété de l’entreprise choisie par l’aménageur pour réaliser les opérations archéologiques. Le mobilier archéologique revient aux communes.
Les conséquences sont désastreuses pour le service public de l’archéologie et les institutions qui en ont la charge.
Les Service Régionaux Archéologiques ne pourront plus assurer une politique scientifique raisonnée et homogène. Les prescriptions de l’Etat seront négociées au coup par coup avec les aménageurs.
Le contrôle scientifique devient une mission impossible. L’hétérogénéité des pratiques, selon les hiérarchies locales, sera renforcée.
L’INRAP devient ainsi la voiture-balai de l’archéologie préventive dans le cadre d’une décentralisation à la carte et du choix laissé aux aménageurs de l’opérateur de fouille.
Ce qui interdit toute politique de recherche et de publication, et toutes collaborations avec les organismes publics de recherche.
De plus, Monsieur le Ministre, vous affaiblissez les services archéologiques des collectivités territoriales.
Vous tentez de diviser pour mieux régner, mais personne n’est dupe. Les archéologues des collectivités territoriales savent très bien que votre projet de loi ne permettra pas une meilleure collaboration entre ces agents et l’INRAP.
Leur travail est pourtant important dans le domaine de l’archéologie préventive et ils méritent beaucoup mieux que le sort que vous leur réservez !!
Ils refusent logiquement la privatisation ou encore le système de financement non viable que vous nous proposez…
La décentralisation à la carte met en place un maillage inégalitaire qui entrave toute possibilité de coopération avec les autres institutions.
Le coup est tout aussi rude pour les autres organismes de recherche par suite de la mise en concurrence commerciale et non pas scientifique, des équipes de fouilles. Les réductions drastiques de crédits de l’INRAP affectés à la recherche, vont entraver les collaborations institutionnelles. L’irruption de la propriété privée en ce qui concerne la documentation des fouilles va bloquer la circulation de l’information.
Mais, les aménageurs ruraux seront aussi touchés par votre projet de loi, car ils paieront pour les aménageurs urbains de manière encore plus déséquilibrée que dans l’actuel dispositif. Les délais seront enfin allongés par les appels d’offre du marché concurrentiel et le paiement au coup par coup créera des inégalités évidentes selon les situations locales.
De fait, votre projet de loi crée cinq dangers majeurs pour l’archéologie préventive :
-C’est la primauté de l’intérêt particulier sur l’intérêt général ;
-C’est la négation du service public de l’archéologie ;
-C’est la mise en concurrence financière des différents intervenants ;
-C’est la limitation drastique des budgets d’intervention publique ;
-C’est aussi la dispersion de l’information scientifique et du mobilier archéologique.
Ce texte a réussi à mobiliser l’ensemble de la communauté archéologique contre lui…est ainsi très révélateur le document adopté par la conférence des conservateurs de l’archéologie préventive. Celle-ci a majoritairement demandé le retrait du projet de loi que nous débattons. Les conservateurs l’ont qualifié » d’inacceptable » car aussi bien sur le plan scientifique que sur le plan de la gestion du patrimoine, il n’apporte aucune solution ; bien au contraire, il consacre une rupture de la chaîne scientifique de l’archéologie préventive…
Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, la segmentation de la chaîne scientifique opératoire et la lourdeur des procédures risquent de provoquer une énorme perte d’informations et surtout une déstructuration profonde d’un milieu scientifique qui est devenu aujourd’hui un des plus performants en Europe : toutes conditions qui auront pour conséquence d’empêcher l’émergence d’une véritable programmation de l’archéologie préventive.
Le Conseil National de la Recherche Archéologique a également exprimé une position tranchée contre le projet de loi. Il insiste sur plusieurs points particulièrement préoccupants, selon lui. L’archéologie préventive n’est pas un poids, un fardeau pour le pays mais a pour but de produire de la connaissance, une valeur qui ne se mesure pas en euros…Elle sert l’intérêt général de la communauté nationale et non des intérêts particuliers.
L’Etat doit assumer, notamment par un choix budgétaire clair, ses responsabilités en démontrant, par là même, qu’il attache une importance toute particulière à la connaissance du patrimoine et de l’Histoire. L’Etat doit montrer l’exemple. Les aménageurs doivent être également mis à contribution afin de les dissuader de faire des projets en zone archéologique et de ne pas contribuer à la dilapidation rapide du potentiel archéologique national.
Monsieur le Ministre, le patrimoine archéologique n’est ni un risque, ni une hypothèque, ni une nuisance mais un atout exceptionnel si l’Etat et les collectivités territoriales savent les valoriser et non les détruire.
D’où la mobilisation de tous ces professionnels hautement qualifiés et pleinement motivés pour préserver l’esprit même de la grande loi du 17 janvier 2001.
Un article paru dans le journal La Croix, le 17 juin dernier, a bien traduit la situation actuelle :
« Chantiers arrêtés, pelleteuses bloqués, banderoles furieuses…, les archéologues sont en colère ! Depuis 20 ans, ces professionnels chargés des fouilles de sauvetage en amont des travaux d’aménagement du territoire, n’ont pas cessé de revendiquer un statut et des moyens.
Cette fois, le conflit est de nature différente et la profession a reçu l’appui de nombreuses personnalités du monde de la recherche et de l’université dans son combat contre « la privatisation rampante de l’archéologie française ».
Des professeurs au collège de France – comme le paléoanthropologue Yves Coppens, le préhistorien Jean Guilaine ou les historiens John Scheid et Christian Goudineau-, des membres du très officiel Conseil National de la Recherche Archéologique qui dépend directement du Ministre de la Culture et bien d’autres scientifiques signataires d’articles ou de pétitions redoutent, en effet, qu’au beau milieu des problèmes sociaux actuels, un « petit » projet de loi passe inaperçu… ».
Reconnaissons, mes chers collègues, que de plongeons dans la Seine en reconstitutions gauloises, sans oublier un remake du film « Full Monthy », les archéologues ont activement contribué à ce que ce projet de loi ne passe pas inaperçu !
Les archéologues, ces femmes et ces hommes passionnés par leur métier vécu comme une véritable vocation, restent fortement mobilisés pour préserver leur outil de travail. Leurs actions d’éclat ont été nombreuses, symboliques, souvent désespérés : Comment y être insensible?
Craignez Monsieur le Ministre, que les archéologues n’aient convaincu les Français de l’inutilité de votre texte et du bien-fondé de leur action. Nos concitoyens sont, en effet, attachés à leur histoire qui est celle d’un vieux pays, à leur patrimoine, à leur mémoire collective. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à tous les professionnels de l’INRAP qui font un travail remarquable et notamment à Monsieur Jean-Paul DEMOULE obligé de gérer une structure brusquement précarisée.
Si vous me permettez, je souhaite poursuivre la lecture de l’article précité tant il résume parfaitement les enjeux de notre débat :
« Ce texte modifie la philosophie de l’archéologie préventive c’est-à-dire de ces fameuses fouilles de sauvegarde. […] Autrement dit, les sociétés privées d’archéologie, pour l’instant inexistantes en France, conquièrent désormais une légitimité et pourront être mises en concurrence avec les équipes du service public. Ce qui pose, aux yeux des chercheurs, un problème éthique grave. David Billoin, archéologue à l’INRAP, résume : Nous avons peur que les aménageurs développent leurs propres filiales d’archéologie ou que les chantiers prestigieux qui peuvent être rentables en terme d’image aillent aux opérateurs privés et les autres, plus ingrats, à l’INRAP.
Et même en admettant que l’Etat n’agrée que des sociétés de professionnels reconnus qui ne cherchent qu’à vivre de leur travail et non à faire du profit, pour être compétitifs, ceux-ci devront proposer les coûts les plus bas et obtenir le plus de chantiers possible. Comment ne pas imaginer que, très vite, comme cela s’est passé en Italie et en Grande Bretagne, ils « expédient » les fouilles, bâclent le travail d’interprétation des données ? Et comment l’INRAP pourra-t-il contrôler un travail qui, par essence, détruit son objet ? »
Revenons d’ailleurs sur la situation de l’archéologie préventive dans les pays qui nous entourent tant les comparatifs européens et internationaux sont souvent invoqués par le gouvernement.
Comme le résume de façon lapidaire un article paru dans l’hebdomadaire Paris Match : « nos voisins en reviennent ». En effet, ils ont, entre autres, découvert que les instituts privés ne communiquaient pour ainsi dire pas leurs résultats. Il y a une quinzaine d’années, la Grande-Bretagne a fait le choix funeste que vous voulez faire pour notre pays, en thatchéristes attardés que vous êtes.
Et bien, aujourd’hui, les Britanniques sont en train « d’en revenir » après un rapport de plus de 130 Lords sur les conséquences désastreuses pour la recherche scientifique. Une excellente tribune parue récemment dans le quotidien Libération retrace les terribles conséquences d’une telle orientation tout particulièrement lorsque la chaîne scientifique est brisée: « En somme, si le nombre d’opérations archéologiques a augmenté depuis 1990 en Angleterre, si certaines compétences et techniques de terrain se sont perfectionnées, il n’en reste pas moins que la sélection aléatoire des opérateurs, la qualité parfois inégale de leurs interventions, ainsi que les défauts de publications et de dissémination des connaissances acquises, rendent difficiles la poursuite de programmes de recherche ou d’élaboration de synthèses ».
La conclusion de cette tribune se suffit à elle-même pour expliquer l’actuel désarroi des archéologues : « Que penser enfin de la communauté archéologique, les chercheurs, enseignants, étudiants, conservateurs, bénévoles, forcés à voir dans l’archéologie un business alors qu’elle est pour eux, en toute rigueur scientifique, une vocation sinon une passion, un engagement intellectuel et culturel encouragé autant par le grand public que par les instances nationales et internationales ? ».
De la même façon, au Portugal, le passage à un régime concurrentiel s’est soldé par un échec, toute archéologie préventive ayant cessé pendant deux ans !!!
Des spécialistes incontestables, comme Yves COPPENS, déjà cité, ont également appelé l’attention de nos concitoyens sur les dangers d’une mise en concurrence : « A l’étranger, tous les systèmes mis en place dans un cadre concurrentiel ont échoué, parce que le moins-disant a toujours été le moins performant en termes de résultats scientifiques. Voilà qui ne signifie pas que l’INRAP constitue le « top » en la matière mais la structure offre de meilleurs garanties : aux organes de direction, aux conseils scientifiques de déterminer la politique adéquate, en collaboration avec toutes les forces vives de l’archéologie ». A l’instar d’Yves COPPENS et de ses éminents collègues, il paraîtrait même, d’après certains échos, que le Président de la République, actuellement passionné par des fouilles archéologiques en Mongolie, soit plus que réservé sur ce projet de loi.
A la fin du mois de mai, dans le quotidien le Figaro, vous avez déclaré, Monsieur le Ministre : « il faut aujourd’hui sauver l’archéologie préventive nationale, et lui donner, à l’instar des autres pays européens, l’organisation publique et l’ambition scientifique qu’elle mérite ». Il fallait oser le dire, Monsieur le Ministre et vous avez osé !! Toujours dans la même tribune, vous cédez à votre habituelle autosatisfaction pour glorifier votre méthode de travail qui aurait, d’après vous, associé l’ensemble des acteurs…
Mais comment expliquez-vous alors que tous les acteurs concernés, tous sans exception, s’opposent violemment à votre vision réactionnaire de l’archéologie préventive ! Curieuse conception du dialogue que vous partagez, on l’a vu sur d’autres sujets, avec l’ensemble de votre gouvernement.
Toujours dans le quotidien Le Figaro, qui n’est pas a priori le porte-parole du mouvement social…, votre projet ne semble vraiment pas bien passé. Ainsi, y sont dénoncées avec pertinence vos intentions en expliquant parfaitement combien votre projet de loi va casser tout le système de sauvegarde du patrimoine mis en place par la loi de janvier 2001.
Une phrase résume cet article qui déplore la livraison à la concurrence de l’archéologie française : « L’archéologie perd son statut d’exception culturelle pour entrer dans la jungle du marché ».
Peut-être, faut-il finalement suivre la direction que nous propose Yves COPPENS. Je le cite : « Il faut arrêter de considérer l’archéologie préventive comme un luxe…Peut-être faut-il, pour mieux assurer la protection de ce patrimoine, passer à une norme législative supérieure en l’intégrant – pourquoi pas ? – à la Constitution ».
Justement, votre projet de loi, par plusieurs aspects, ne respecte pas certaines dispositions de notre Constitution.
(1°) Dispositions contraires à l’article 55 de la Constitution.)
Tout d’abord, les articles 3 et 4 sont contraires à l’article 55 de la constitution qui dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
En effet, il convient de rappeler que l’existence de l’archéologie préventive en France s’appuie d’abord sur un texte juridique, la Convention Européenne signée à Malte le 16 janvier 1992 et ratifiée par la France par la loi du 26 octobre 1994.
Celle-ci impose aux états signataires dans son article 3 de « garantir la signification scientifique des opérations de recherche archéologique » et plus précisément de s’assurer que les « fouilles et prospections archéologiques » sont « entreprises de manière scientifique ».
De même, l’article 1er énumère les principaux moyens d’information de l’archéologie « constitués par des fouilles ou des découvertes, ainsi que par d’autres méthodes de recherche ».
Autrement dit, les opérations de terrain (prospections, diagnostics ou fouilles), qu’elles soient « programmées » ou « préventives », sont inséparables des démarches intellectuelles qui les sous-tendent.
De fait, depuis de nombreuses années, les différentes instances au sein desquelles s’exprime la communauté scientifique ont toujours réitéré le caractère insécable de la chaîne opératoire de l’archéologie, qui va du traitement de l’information matérielle jusqu’à l’élaboration de la synthèse historique.
On pourra consulter utilement de nombreux textes produits à cet égard tant par le Conseil national de la recherche archéologique, que par la Conférence des conservateurs régionaux de l’archéologie, le Comité de l’archéologie du CNRS ou encore les commissions concernées (31 et 32) du Comité national du CNRS.
Cette démarche a été validée par le rapport Pêcheur-Poignant-Demoule, qui a posé les bases de la loi du 17 janvier 2001.
Ces principes ont été validés par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 16 janvier 2001, reconnus tout récemment conformes aux traités de l’Union Européenne par la commission européenne et conformes aux droits nationaux et européen par le Conseil d’Etat (arrêt du Conseil d’Etat « Union Nationale des Industries de Carrière et des Matériaux de Construction » du 30 avril 2003).
La loi de 2001 apporta donc à l’archéologie préventive le cadre scientifique cohérent réclamé. L’INRAP, seul ou en collaboration, assure effectivement la totalité de la chaîne opératoire scientifique de l’archéologie.
En revanche, le nouveau dispositif qui nous est proposé tronçonne de manière incohérente cette même chaîne : les diagnostics pourraient être exécutés par l’INRAP ou un service territorial ; la fouille par un opérateur privé ; enfin la recherche postérieure à la remise du rapport de fouille serait à nouveau faite par l’INRAP.
(De « l’objectivité »)
Parallèlement, en prétendant avec raison, au vu de certains exemples étrangers, garantir l’ « objectivité » du diagnostic et en laissant par conséquent cette partie des missions dans le cadre d’un service public partagé avec les services archéologiques territoriaux, le texte affirme de manière implicite que pour les fouilles archéologiques, il n’y aurait pas nécessité « d’objectivité ».
(De la prescription et du contrôle)
Par ailleurs, pour justifier le recours à la concurrence, le gouvernement affirme que la prescription a priori et le contrôle de l’Etat suffisent à prévenir toute dérive.
La référence est l’existence d’entreprises privées dans le domaine de la restauration des Monuments Historiques d’une part, et dans celle des œuvres d’art d’autre part. Ces références reposent sur un non-sens scientifique. D’une part la restauration est pour l’essentiel un geste technique ; mais surtout, dans tous les cas, un contrôle de qualité a posteriori est possible.
Cela n’est absolument pas le cas dans le domaine de l’archéologie où, la fouille une fois terminée, il n’y a plus de possibilité de vérification de l’existence ou de la non-existence de vestiges. Par ailleurs, contrairement aux travaux sur les Monuments Historiques, aucune prescription détaillée a priori n’est possible en archéologie (on ne sait pas précisément ni en quantité ni en qualité ce que l’on va trouver). A posteriori, les travaux ne sont pas réversibles dans l’hypothèse d’une faute de l’opérateur, puisque la fouille détruit définitivement l’objet de son étude.
(Du marché)
La notion de marché, régulateur du prix, invoqué dans les exposés des motifs de la nouvelle loi repose sur un contresens.
Le marché est un lieu où des consommateurs souhaitent se procurer au meilleur coût des biens ou des services. Or, en l’occurrence, l’aménageur devenu maître d’ouvrage de la fouille n’est nullement demandeur des meilleurs résultats scientifiques possibles. Il souhaite seulement que son terrain soit libéré le plus vite possible et au moindre coût. La recherche scientifique n’est nullement un service qui serait rendu à l’aménageur. Cela est d’ailleurs la principale explication de la baisse constatée de la qualité de l’archéologie dans les pays qui ont expérimenté la privatisation des fouilles.
Par ailleurs, la convention de Malte prévoit également à son article 1 que « le but de la présente convention est de protéger le patrimoine archéologique en tant que source même de la mémoire collective européenne et comme instrument d’étude historique et scientifique ».
Pour ce faire, l’article 8 prévoit que « chaque partie s’engage :
– 1 : à faciliter l’échange sur le plan national ou international des éléments du patrimoine archéologique à des fins scientifiques professionnelles, tout en prenant les dispositions utiles pour que cette circulation ne porte atteinte d’aucune manière à la valeur culturelle et scientifique de ces éléments,
– 2 : à susciter les échanges d’information sur la recherche archéologique et les fouilles en cours, et à contribuer à l’organisation de programmes de recherche internationaux. »
En organisant le transfert de la maîtrise d’ouvrage des fouilles archéologiques, aujourd’hui assurée par l’État, aux aménageurs et en prévoyant la réalisation de ces opérations par des entreprises privées, l’article 3 du projet de loi contrevient de manière flagrante à ces dispositions.
En effet, les conséquences principales de ce dispositif, s’il était mis en œuvre, seraient le partage des objets et de la documentation de fouille entre différents propriétaires publics et privés et la mise en concurrence commerciale d’équipes publiques ou privées, toutes choses qui, et c’est le moins que l’on puisse dire, ne sont pas de nature à faciliter les échanges entre chercheurs et à organiser la circulation des informations et objets archéologiques.
(De la propriété du mobilier archéologique)
Le projet gouvernemental en renvoyant la propriété des objets archéologiques aux dispositions de la loi du 27 septembre 1941 (partage entre le propriétaire du terrain et l’inventeur) entraînait la dispersion des objets dans de multiples collections privées.
Par amendement le Sénat en première lecture a tenté de limiter l’un des aspects néfastes de cette disposition en adoptant un article 4bis qui prévoit que, pour les opérations d’archéologie préventive, le mobilier est partagé pour moitié entre l’Etat et le propriétaire des terrains. Il est en outre prévu que la part revenant au propriétaire tombe dans le domaine public, si celui-ci ne fait pas valoir ses droits dans un délai d’un an après la remise du rapport de fouilles.
Cet amendement du Sénat introduit une confusion encore plus grande qu’auparavant dans le régime de propriété des objets archéologiques. En effet, dans l’état actuel du droit, dans le cadre d’une maîtrise d’ouvrage privée pour les fouilles (titre I de la loi du 27 septembre 1941) les objets sont réputés être intégralement propriété du propriétaire du terrain, en application de l’article 552 du code civil qui dispose que : » la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. » Dans le cas d’une maîtrise d’ouvrage de l’Etat (titre II de la loi de 1941), les objets issus des fouilles sont partagés pour moitié entre le propriétaire des terrains et l’Etat, ce dernier gardant la possibilité d’exercer un droit de revendication sur la totalité à l’exception : « des monnaies ou objets précieux sans caractère artistique » (article 17 de la loi de 1941). Pour les découvertes fortuites (titre III de la loi de 1941), les objets sont partagés pour moitié entre le propriétaire et l’inventeur, l’Etat pouvant exercer un droit de revendication dans les mêmes conditions que pour le titre II.
L’article 4bis adopté par le Sénat transpose pour les seules fouilles préventives le régime de propriété prévu pour une maîtrise d’ouvrage Etat à des opérations placées sous maîtrise d’ouvrage privée (l’aménageur). En outre, il abroge pour ces seuls cas le principe de revendication pour lui substituer, dans le silence du propriétaire, un principe de déchéance dans le domaine public.
La loi du 27 septembre 1941 dite « Carcopino » a assimilé les objets archéologiques à des éléments constitutifs du fonds dans le cas des fouilles du titre I et à des « trésors » pour les découvertes effectuées sous l’empire des titres II et III. Cette option, qui se comprend aisément dans le contexte de l’époque (le texte de loi a été amendé de la main-même du Maréchal Pétain), est contraire à la jurisprudence qui limite la notion de trésor aux objets précieux. Or, comme l’a souligné un rapport remis au ministère de la Culture par M. Papinot, « la très grande majorité du mobilier ordinairement découvert sur un site est constitué de tessons de céramique, d’objets en métal rouillé et souvent informes d’ossements d’animaux, d’éclats de pierre taillée, etc. ».
Aujourd’hui, le choix effectué en 1941 a des conséquences extrêmement néfastes. Les objets découverts à l’occasion des fouilles réalisées par l’Etat dans le cadre du titre II de la loi de 1941 doivent être partagées entre le propriétaire du terrain -qui n’en a le plus souvent que faire- et l’État. Cette dispersion des collections limite le développement de la recherche et la diffusion des connaissances auprès du public. Ce sont ces carences graves et cet imbroglio juridique qu’il faut résoudre.
Pour assurer une réelle garantie de conservation et d’accessibilité des objets archéologiques au public et aux chercheurs, il est de fait nécessaire de faire entrer ces objets dans les collections publiques. C’est à cette conclusion qu’aboutissait le rapport remis au ministre de la Culture en 1999, qui préconisait d’élever sur ce point la législation française au même niveau que celle de la plupart des grands pays européens en prévoyant que les objets archéologiques issus des fouilles préventives (autres que les trésors) sont propriété de la collectivité nationale.
Contrairement à ce qui a été affirmé lors des débats au Sénat, une telle solution ne porte en rien atteinte au principe de propriété puisque l’article 713 du code civil prévoit que : « les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à l’Etat », tandis que l’article 714 du même code dispose : » il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des lois de police réglementent la manière d’en jouir. »
Par ailleurs, l’article 717 du code civil relatif aux épaves maritimes et terrestres a prévu que la propriété « des choses perdues dont le maître ne se présente pas » est rég1ée » par des lois particulières » tandis que l’article 716 a prévu que la propriété des » trésors » était partagée » pour moitié à celui qui l’a découvert et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds. «
Nul ne conteste que les objets archéologiques sont dans la plupart des cas, une fois extraits du sol, des biens sans maître dont la propriété doit être régie par des lois particulières.
Pour sortir de la confusion juridique actuelle et répondre aux objectifs de la convention de Malte, il est nécessaire que la loi dispose que le mobilier archéologique est propriété de la collectivité.
(De la circulation des informations)
Par ailleurs, les conséquences les plus graves, dans le cadre d’une maîtrise d’ouvrage confiée aux aménageurs et d’une mise en concurrence commerciale des opérateurs, sont celles de la circulation des informations et de la coopération des équipes de recherche.
Un tel transfert, du fait des dispositions du code de la propriété intellectuelle, aboutirait à une privatisation de l’information scientifique. Certes, le projet de loi tel qu’amendé par le Sénat prévoit que le rapport de fouille qui constitue la partie émergée de l’information archéologique constitue un document administratif. Toutefois, la rédaction de l’article 4 restreint l’utilisation de ce document. De même il est prévu par ce même article 4 que la documentation afférente à l’opération doit être remise à l’Etat afin de limiter les conséquences les plus flagrantes du transfert de maîtrise d’ouvrage.
Cette disposition qui constitue une atteinte manifeste au droit de propriété intellectuelle, sera dans la pratique, de portée limitée car le champ de cette documentation n’est pas défini juridiquement. Les minutes de fouille, les observations de terrain constituées de notes, de clichés etc. sont les seuls éléments concrets permettant a posteriori de valider ou d’infirmer les conclusions ou hypothèses présentées dans le rapport de fouille. Un opérateur privé, pour s’assurer une compétitivité économique « sur le marché des fouilles », tendra naturellement à la rétention de ces informations qui constitueront « le capital de son savoir faire ».
(De la coopération scientifique)
Enfin le projet de loi met à bas le principe d’association des différentes équipes de recherche posé par l’article 4 de la loi du 17 janvier 2001. Les services de collectivités territoriales, l’Inrap, le CRNS mais aussi les entreprises privées devront dénoncer les conventions de collaboration déjà passées et qui, en droit commercial, seront assimilées à des ententes illicites susceptibles d’aboutir à des abus de position dominante.
Au delà, l’ensemble de la recherche archéologique française sera paralysée par cette concurrence économique, chacun dans sa recherche de marché refusant de communiquer au reste de la communauté scientifique les informations utiles au progrès de la recherche.
(Des études d’impact)
Subsidiairement, l’article 2 VI troisième alinéa viole sur un autre point l’article 55 de la Constitution puisqu’il prévoit qu’une prescription de diagnostic décidée par l’État devient caduque si l’étude d’impact n’a pas été réalisée dans des délais fixés conventionnellement entre l’aménageur et l’opérateur. Cet article rend ainsi possible la non exécution d’une prescription de diagnostic. Sur le fond, cette disposition s’oppose au principe de la loi de 2001, qui fait de l’étude de l’impact archéologique l’assise du dispositif, la prescription de fouilles étant établie sur la base des résultats du diagnostic.
Cette disposition contrevient manifestement à l’article 5 de la convention de Malte qui prévoit que « chaque partie s’engage […] à veiller à ce que les études d’impact sur l’environnement et les décisions qui en résultent prennent complètement en compte les sites archéologiques et leur contexte », ainsi qu’à la directive communautaire du 27 juin 1985 qui dispose à son article 2 que » les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation les projets susceptibles d’avoir une incidence notable sur » … « le patrimoine culturel » … « notamment en raison de leur nature, de leur dimension ou de leur localisation, soit soumis à une évaluation en ce qui concerne leur incidences ».
(De l’exploitation des résultats et des publications)
Enfin, le projet de loi est aussi contraire aux article 5 et 6 de la Convention de Malte qui prévoient que chaque partie s’engage » à assurer l’octroi du temps et des moyens suffisants pour effectuer une étude convenable du site avec publication des résultats ».
On constate que dans le projet de loi, la partie signataire de cette convention, c’est à dire l’Etat, en transférant la maîtrise d’ouvrage des fouilles aux aménageurs, leur transfère également la maîtrise du temps, la négociation des délais se trouvant au cœur de la négociation entre opérateur et aménageur. La partie signataire n’a de fait plus aucun moyen « d’assurer l’octroi du temps suffisant » et aucun moyen de l’imposer. On constate que l’article 5 lie logiquement temps et moyens, qui sont la matière même de la négociation entre aménageur et opérateur. De ce qui précède, il ressort que le projet de loi ne permettra pas à l’Etat de garantir ses engagements sur ce point.
L’article 5 de la convention de Malte précise « étude convenable du site avec publication des résultats ». Ce faisant, il pose pour principe que toute étude de site comprend la phase d’exploitation scientifique consécutive aux travaux de terrain, suivie de la publication des travaux.
Cette exigence est d’ailleurs clairement détaillée à l’article 6 de la convention de Malte, relatif au financement de la recherche et conservation archéologique, qui stipule que chaque partie s’engage à accroître les moyens matériels de l’archéologie préventive « en faisant figurer dans le budget des travaux [d’aménagement publics ou privés](…) les documents scientifiques de synthèse, de même que les communications et publications complètes des découvertes ».
En segmentant le processus d’archéologie préventive, le projet de loi ne garantit pas que la chaîne opératoire aboutisse à la publication complète des travaux, et ne permet pas d’être assuré du financement de celle-ci :
Le projet de loi ne précise pas quelles phases opératoires l’aménageur est réputé financer, et notamment s’il doit, en tant que maître d’ouvrage des fouilles, financer la fouille et sa publication ; le mode de financement mis en place n’offre aucune garantie assurant que l’établissement public aura les moyens nécessaires à la publication des travaux.
Le texte présenté ne répond pas aux engagements pris par la France lors de la ratification de la convention de Malte.
(2°) Dispositions contraires à l’article 72-2 de la constitution)
L’article 2 III institue un article 4-2 à la loi du 17 janvier 2001 pour permettre aux collectivités territoriales de réaliser prioritairement à l’INRAP les diagnostics archéologiques lorsqu’elles le souhaitent. Il s’agit là, dans le droit fil d’autres projets gouvernementaux, de permettre un transfert de compétences soit au coup par coup, soit dans le cadre d’expérimentations pour une durée minimale de 3 ans.
Les transferts de ressources correspondant à ces transferts de charges sont organisés par l’article 6 IV qui prévoit que dans les cas où la collectivité opte pour le coup par coup, l’INRAP reverse les redevances perçues pour le projet en question et, dans le cas d’une expérimentation de plus longue durée, la « redevance » est recouvrée par la collectivité comme en matière de contribution directe. Ces dispositions sont inopérantes, puisque la taxe instaurée n’est ni dépendante, ni proportionnelle à l’utilisation du service.
L’article 72-2 quatrième alinéa de la constitution dispose aujourd’hui que « tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice, toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».
Or quelles seraient les conséquences de ce projet s’il était adopté ? Prenons par exemple la ville de Douai, dotée d’un service archéologique. Aujourd’hui, dans le cadre d’une convention passée avec l’INRAP, elle réalise sur son territoire, seule ou en partenariat, la totalité des diagnostics d’archéologie rendus nécessaires par une prescription de l’État. Les aménagements sur les terrains supérieurs à 1000 m2 sont, c’est le moins que l’on puisse dire, peu fréquents dans cette ville ancienne, là où l’accumulation des sédiments archéologiques rend les opérations de diagnostics très coûteuses.
Donc, dans l’hypothèse où la ville de Douai entendrait maintenir sa politique actuelle, c’est à dire faire jouer les mécanismes de l’article 4-2 deuxième alinéa de la future loi sur l’archéologie, elle ne percevrait pratiquement aucune ressource fiscale alors que l’État, en prescrivant, à juste titre, des diagnostics sur des projets exonérés, serait en situation de lui imposer des dépenses considérables. Trois mois à peine après son adoption, l’article 72-2 de la Constitution est violé par ce projet.
(3) Dispositions contraires à l’article 34 de la constitution)
L’article 3 de ce projet viole les dispositions de l’article 34 de la Constitution. En effet, les dispositions conservées des articles 1 et 2 de la loi du 17 janvier 2001 affirment que l’archéologie préventive est une mission de service public dont la responsabilité incombe à l’État. La fouille de sites archéologiques menacés de destruction ne se fait pas au service de l’aménageur dont les préoccupations principales ne sont pas celles de l’archéologie.
La sauvegarde d’informations sur les sociétés qui nous ont précédés incombe à la collectivité qui doit transmettre ces informations, qui ne sont pas renouvelables, aux générations qui vont suivre.
En outre, ce sont des services ou établissements de l’État ou des collectivités territoriales qui, dans la quasi-totalité des cas, vont continuer de réaliser les fouilles préventives. En effet selon le journal officiel du 18 janvier 2001, il n’existait en France, à cette date, que deux entreprises privées d’archéologie qui employaient moins de 10 salariés.
Ainsi, l’archéologie préventive est une mission de service public qui sera réalisée, dans la majorité des cas, par le service public.
Il n’y a que trois types de recettes possibles pour financer le service public : cotisations sociales ; impôts de toute nature ; redevance pour service rendu. Le caractère obligatoire du paiement des fouilles est incompatible avec une redevance pour service rendu. Je vous renvoie pour cela à la jurisprudence concernant le paiement par les sociétés d’autoroutes des frais de gendarmerie et celui des secours pompiers par les centrales nucléaires.
Ainsi, l’obligation de « réaliser les fouilles d’archéologie préventive » faite aux aménageurs par l’article 3 du projet de loi constitue donc bien une obligation de financer le service public. Il s’agit d’un impôt devant être versé en nature.
L’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme que les dépenses de puissance publique ou de fonctionnement de l’administration doivent être financées par l’impôt.
L’article 34 de la Constitution précise, quant à lui, que la loi fixe l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. L’article 3 du projet de loi ne précise rien de ce qui concerne la contribution obligatoire imposée aux aménageurs, dont l’assiette résultera d’une prescription de l’État sans qu’aucun paramètre ne soit défini, tandis que le taux et le montant résulteront d’une négociation entre le redevable et son opérateur.
4°) Dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement devant l’impôt
L’article 6 du projet gouvernemental est contraire à l’article 13 déjà cité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen érigée en principe constitutionnel, qui pose le principe de l’égalité de traitement devant l’impôt.
En effet, cet article 6 institue une taxe, improprement dénommée redevance, destinée à financer notamment les opérations de diagnostic et les fouilles réalisées gratuitement, ainsi qu’à alimenter un fonds de péréquation destiné à subventionner certains aménageurs. L’assiette et le taux retenus sont manifestement contraires au principe d’égalité devant l’impôt.
Pour caricaturer, un particulier qui construirait un garage de 40 m2 sur une parcelle de 10 ha se verrait imposé à hauteur de 32000€ en application combinée des nouveaux articles 9 I premier alinéa et 9 II deuxième alinéa du projet de loi, tandis qu’un promoteur construisant un projet immobilier de 999 m2 en centre urbain ne serait pas frappé par l’impôt. De manière encore plus injuste que dans la loi du 17 janvier 2001, qui avait le mérite de poser une proportionnalité de l’impôt en fonction des atteintes susceptibles d’être portées au patrimoine archéologique, l’aménagement des campagnes devrait subventionner celui des villes, comme cela a déjà été souligné.
Les amendements adoptés par le Sénat ne résolvent en rien ces difficultés et même, en ce qui concerne l’article 6-II sixièmement, il les aggrave : l’assiette de l’impôt serait variable en fonction de la profession des constructeurs ! Ainsi, l’article 6 du projet est, de manière patente, contraire à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
(5°) Dispositions contraires à l’égalité de traitement du citoyen devant le service public)
Les aménageurs, déjà imposés de manière inégale au niveau de la redevance, le seront encore davantage au niveau de la fouille.
Du fait, dans la plupart des cas, de la carence de l’initiative privée et de la non existence de service de collectivité territoriale, ils seront placés en situation de négociation financière avec un seul interlocuteur, l’INRAP.
C’est entre autres pour prévenir cette inégalité de traitement et les possibilité d’abus de position dominante que le législateur avait institué en janvier 2001 un monopole public financé par l’impôt pour la réalisation des fouilles d’archéologie préventives. Il est intéressant de citer sur ce point deux jurisprudences récentes.
Tout d’abord le Conseil de la concurrence par décision du 13 mars 2002 a statué en contentieux sur la situation antérieure à la loi du 17 janvier 2001. Il a conclu que : « Considérant que les pratiques faisant l’objet du 1er et 2ième grief reposent sur les décisions par lesquelles l’Etat a assuré les missions de service public qui lui incombent au moyen de prérogatives de puissance publique et que l’appréciation de leur légalité au regard de l’article L 420-2 du Code du Commerce échappe à la compétence du Conseil de la Concurrence, que la saisine doit en conséquence être déclarée irrecevable de ces deux chefs en application de l’article L462-8 du code du Commerce. »
Ainsi le Conseil de la concurrence jugeait qu’avant même les dispositions de la loi du 17 janvier 2001, l’archéologie préventive échappait au droit commercial du fait de ses caractéristiques de prérogative de puissance publique.
Plus récemment encore , le Conseil d’Etat saisi en contentieux sur les textes d’application de la loi du 17 janvier 2001, a conclu dans son arrêt UNICEM du 30 avril 2003 : « Considérant toutefois que les opérations de diagnostics et de fouilles d’archéologie préventive relèvent, compte tenu de la nécessité de protéger le patrimoine archéologique à laquelle elles répondent et de la finalité scientifique pour laquelle elles sont entreprises, de missions d’intérêt général au sens de l’article 86 du traité précité; qu’eu égard, en premier lieu, aux liens que ces opérations comportent avec l’édiction des prescriptions d’archéologie préventive et le contrôle de leur respect par l’Etat, en deuxième lieu, aux conditions matérielles dans lesquelles elles doivent être entreprises, en troisième lieu, au besoin de garantir l’exécution de ces opérations sur l’ensemble du territoire et, en conséquence, de les financer par une redevance assurant une péréquation nationale des dépenses exposées, les stipulations de cet article autorisaient le législateur à doter l’établissement public national créé par l’article 4 de la loi de droits exclusifs en vue de permettre l’accomplissement des missions d’intérêt général rappelées ci-dessus. »
Ainsi le Conseil d’Etat a jugé que pour garantir l’égalité de traitement des citoyens devant le service et la mission d’intérêt générale il était nécessaire de prévoir un monopole public financé par l’impôt.
Pour toutes ces raisons, chers collègues, je vous invite – au nom du groupe socialiste- à voter l’exception d’irrecevabilité que je viens de vous présenter.
Discussion générale – 16 juillet 2003 (2ème séance)
M. Patrick Bloche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, nous avons débattu de ce texte voilà à peine douze jours, le 4 juillet, en première lecture. Nous nous retrouvons aujourd’hui à examiner le texte issu de la commission mixte paritaire ; et malgré tout mon désir de faire preuve d’imagination, vous ne serez sans doute pas surpris, la CMP n’ayant pas fondamentalement bouleversé le dispositif, que je reprenne les arguments critiques que j’ai développés parfois longuement, à tribune.
Nous gardons, à l’issue des discussions que nous allons conclure aujourd’hui, un sentiment global d’incompréhension de la logique qui a poussé le Gouvernement et sa majorité à modifier de fond en comble l’équilibre général d’une loi pourtant relativement récente. L’encre du législateur était d’ailleurs encore fraîche lorsque les premières attaques contre la loi du 17 janvier 2001 se sont formalisées dans cet hémicycle – c’était lors de la discussion budgétaire de l’hiver dernier.
Nous persistons à considérer qu’il eût fallu donner du temps au temps et, surtout, prendre celui d’en évaluer les effet dans la durée. La loi du 17 janvier 2001 prévoyait du reste une évaluation dès la fin 2003. Ce ne sera, évidemment, pas le cas.
De fait, nous nous retrouvons avec un dispositif radicalement nouveau. Sans doute fallait-il légiférer pour ne pas rester dans la situation d’instabilité créée par l’adoption d’un amendement des plus opportuns lors de la discussion de la loi de finances pour 2003… Celui-ci, vous le savez, avait réduit de 25 % la redevance d’archéologie préventive, précarisant de fait l’INRAP, le grand institut que nous avions créé par la loi du 17 janvier 2001. Faut-il rappeler que le budget de l’INRAP pour 2003 n’a pas été voté, et que l’institut en était réduit à fonctionner sur la base de douzièmes provisoires payés par le ministère de l’économie et des finances ? Les effets ne se sont du reste pas fait attendre : cinq à six cents emplois en CDD, correspondant à trois cents emplois à plein temps, ont d’ores et déjà disparu.
Si donc il devenait urgent de légiférer, nous aurions souhaité que le Gouvernement s’y prît dans d’autres conditions. Dois-je vous résumer nos principales critiques ? Tout d’abord, nous considérons que ce texte remet fondamentalement en cause le grand service public de l’archéologie préventive tel qu’institué par la loi du 17 janvier 2001, que l’étranger nous enviait, et qui était devenu, pour nombre d’archéologues à travers le monde, une véritable référence.
Nous craignons tout particulièrement que l’INRAP ne soit pas assuré de sa survie à long terme. Tout porte à croire que les dispositions de ce projet de loi le réduisent, à l’arrivée, à une coquille vide. Les arguments exposés notamment par le rapporteur pour avis de la commission des finances, selon lesquels l’institut serait désormais assuré d’un financement pérenne, ne nous ont pas convaincu. De fait, nous continuons à nourrir de vives inquiétudes quant au devenir de l’INRAP.
Suscite également notre totale incompréhension la création très artificielle d’un marché concurrentiel pour les fouilles. On sait que celui-ci se résume à une ou deux sociétés privées en tout et pour tout, employant au maximum une vingtaine de personnes. Autant dire qu’il y a quelque chose de presque anti-économique à vouloir créer de toutes pièces un marché concurrentiel des fouilles dans de telles conditions.
Par ailleurs, nous l’avons dit, nous le répétons : nous ne pouvons que regretter de voir la chaîne scientifique ainsi rompue, au risque de voir notre pays se retrouver bientôt dans la situation d’un pays voisin et ami, la Grande-Bretagne, où l’archéologie préventive est sinistrée depuis une quinzaine d’années du fait des dispositions prises par le gouvernement de Mme Thatcher.
Le débat en commission mixte paritaire aura été sans surprise dans la mesure où l’Assemblée nationale n’avait en rien bouleversé l’équilibre du texte qu’avait adopté le Sénat. Nous avons d’ailleurs rejoint les députés et sénateurs de la majorité sur la question de l’agrément, qui constitue effectivement un verrou utile. Cela a sans doute été notre seul point d’accord.
S’agissant du deuxième point qui a fait l’objet d’une discussion en commission mixte paritaire, à savoir le seuil d’exonération, la rédaction imposée a de quoi nourrir quelque inquiétude. Le Sénat avait abaissé le seuil à mille mètres carrés, notre Assemblée l’avait rétabli à cinq mille mètres carrés, tel que proposé dans le projet initial du Gouvernement. Entre mille et cinq mille mètres carrés, il y a quatre mille mètres carrés ; divisés par deux, cela fait deux mille. Mille plus deux mille font trois mille. Cinq mille moins deux mille font aussi trois mille mètres carrés… Pourquoi trois mille mètres carrés ? Cela reste pour nous une énigme. Ce seuil d’exonération fixé de manière aussi arbitraire et surtout sans aucune évaluation préalable ne peut s’expliquer que par la volonté de réaliser des économies en réduisant le nombre de dossiers et voie de conséquence le coût de la collecte.
Monsieur le ministre, chers collègues, le débat en première lecture ne nous avait en rien convaincu, même si nous avons été sensibles au fait que vous ayez accepté d’adopter un de nos amendements, qui tendait à rapprocher la date d’évaluation du dispositif mis en place aujourd’hui. La discussion en commission mixte paritaire n’a pas apporté d’éléments nouveaux. Nous ne pouvons que regretter cette précipitation et la fragilisation du service public de l’archéologie. Nos pensées vont en premier lieu à tous ces professionnels passionnés, aujourd’hui totalement déstabilisés et démotivés par la manière dont nous légiférons. Je ne peux donc que renouveler à cette tribune notre l’opposition à ce projet, et vous confirmer que le groupe socialiste votera contre le texte issu de la commission mixte paritaire.