Proposition de loi visant à concilier droit à l’image et liberté d’expression

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2003.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il n’est plus possible d’ignorer que le droit à l’image est devenu un droit absolu, sans restriction aucune. Il suffit pour s’en convaincre de constater les milliers de condamnations prononcées ces dernières années à l’encontre aussi bien des photographes que des organisateurs d’exposition ou des éditeurs de presse et de livres.

La simple utilisation de l’image d’une personne, sans préjudice particulier pour celle-ci, mais aussi depuis peu celle de l’image d’un bien, sont devenues répréhensibles. Dans ce domaine, les pouvoirs du juge sont sans limites et les procès abusifs se multiplient. Les tribunaux en sont arrivés à mettre sur un pied d’égalité l’image d’une personne et celle d’un animal, d’un immeuble, d’un bateau ou encore d’un paysage.
Sous le régime actuel du droit à l’image, l’utilisateur d’une image, qu’il en soit ou non l’auteur, qu’elle représente des biens ou des personnes, doit s’assurer que les personnes ou les propriétaires des biens représentés ont bien approuvé expressément et par écrit l’utilisation en cause. Une telle autorisation s’avère souvent extrêmement difficile à obtenir, soit que le titulaire du droit à l’image éprouve des retîcences quant à l’utilisation qu’il est possible d’en faire, soit, plus fréquemment, que ce titulaire demeure introuvable.

Le risque pris par l’utilisateur d’une image en l’absence d’autorisation est, à l’heure actuelle, suffisamment grand pour être totalement dissuasif. En effet, les dispositions de la jurisprudence actuelle ouvrent la possibilité à tout titulaire d’un quelconque droit à l’image d’obtenir une compensation financière, quand bien même l’utilisation litigieuse ne lui causerait aucun préjudice. L’effet pervers de cette jurisprudence, pourtant très louable dans ses intentions protectrices des droits de la personnalité et du droit de propriété, est d’inciter nos concitoyens à marchander leur image et celle de leur bien ou, pire encore, de provoquer chez eux des réflexes procéduriers dignes des pires recours d’outre-Atlantique.

Ce droit absolu à l’image, de construction uniquement prétorienne, né de l’interprétation extensive de textes très généraux du code civil, entrave de plus en plus les missions de pédagogie, de culture et d’information qui incombaient jusqu’ici aux gens de l’image. La liberté d’expression est en souffrance. En conséquence, le rôle et la profession des gens de l’image sont en danger.

Face à cette situation, nous avons le devoir d’agir et de trouver un double compromis : un compromis de fond entre le droit à l’image, d’une part, et les intérêts de notre société et des gens de l’image, d’autre part ; un compromis de forme entre rigidité de l’encadrement législatif, d’une part, et liberté d’appréciation des cas d’espèce par les tribunaux, d’autre part. Il faut arbitrer entre le respect des personnes et la liberté d’information et de la culture. Ce double compromis est incontestablement difficile à trouver, mais il est nécessaire. L’état du droit tel qu’il résulte de la jurisprudence actuelle, en ce qu’il ne respecte pas ce double équilibre, nécessite d’être corrigé.

L’objet de la présente proposition vise donc tout à la fois à prendre acte de la reconnaissance du droit à l’image par la jurisprudence actuelle et à infléchir celle-ci dans un sens plus conforme au respect de la liberté d’expression. Nul ne devrait pouvoir agir en justice pour revendiquer un droit à l’image sans rapporter la preuve d’un agissement fautif et d’un réel préjudice.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er
Après l’article 9-1 du code civil, il est inséré un article 9-2 ainsi rédigé :
« Art. 9-2. – Chacun a un droit à l’image sur sa personne.
« Le droit à l’image d’une personne est le droit que chacun possède sur la reproduction ou l’utilisation de sa propre image.
« L’image d’une personne peut toutefois être reproduite ou utilisée dès lors qu’il n’en résulte aucun préjudice réel et sérieux pour celle-ci. »

Article 2
Après l’article 544 du code civil, il est inséré un article 544-1 ainsi rédigé :
« Art. 544-1. – Chacun a droit au respect de l’image des biens dont il est propriétaire.
« Toutefois, la responsabilité de l’utilisateur de l’image du bien d’autrui ne saurait être engagée en l’absence de trouble causé par cette utilisation au propriétaire de ce bien. »


N° 1029 – Proposition de loi : cadre juridique – droit à l’image – liberté d’expression (M. Patrick Bloche)