Budget de la Culture
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Avec ce projet de budget, nous sommes confrontés au vertige des chiffres et à une réflexion, de saison, sur leurs capacités de « mystification ». Un seul exemple, qui résume beaucoup de perplexité : vous nous aviez expliqué, l’an passé, qu’il convenait de raisonner, pour apprécier l’augmentation du budget de la Culture, en « dépenses ordinaires (DO) + autorisations de programme (AP) », et faisiez alors apparaître une progression des crédits, alors que la bonne vieille méthode de comptabilisation des crédits véritablement ouverts, en « dépenses ordinaires (DO) + crédits de paiement (CP) » conduisait de fait à une régression de plus de 5%.
Cette année, c’est l’inverse : alors que la méthode préconisée l’an passé, qui paraissait à vos yeux la seule légitime, fait apparaître une faible progression des crédits (+1,24%, soit en dessous de l’inflation, estimée pour 2003 à +1,7%), vous nous demandez cette année de changer à nouveau la méthode, et de raisonner par rapport aux crédits de paiement, laminés l’an passé et donc mécaniquement en forte hausse en 2004. De son chapeau, le prestidigitateur tire une hausse apparente des crédits de plus de 5%, mais permettez-nous de vous dire, Monsieur le Ministre, que la ficelle est un peu grosse.
En clair, le ministère de la Culture pourra payer ses dettes, mais n’aura aucune capacité nouvelle d’action. Le montant des autorisations de programme reste stable. Surtout, les crédits d’intervention sont en baisse globale de 5%, dont -8,2% pour les seuls crédits déconcentrés. Cet assèchement financier des DRAC, déjà effectif à travers les gels ou annulations intervenus en 2002 et 2003, compromet l’action territoriale du ministère, le rééquilibrage entre les régions et la capacité à agir en partenariat avec les collectivités territoriales.
Que retenir finalement de votre présentation ? Que le budget, qui avait atteint le seuil de 1% du budget total de l’Etat en 2002, sera à 0,96% pour 2004, ce qui traduit le recul enregistré sur deux ans. En réalité, le recul est beaucoup plus significatif et surtout beaucoup plus inquiétant.
Je souhaiterais traduire trois préoccupations du groupe socialiste par ordre de gravité croissante.
– l’investissement ;
– le fonctionnement, et plus particulièrement les enseignements artistiques ;
– enfin, le spectacle vivant.
Dans votre présentation budgétaire, vous insistez sur la sous-consommation des crédits d’investissement, qui a justifié le « coup d’accordéon » de l’an passé. Rappelons quand même, que des crédits mal consommés l’année de leur ouverture sont utilisés l’année qui suit, ou les autres années, grâce aux reports. L’accent mis sur les autorisations de programme traduit ainsi les moyens qui seront rendus disponibles. Et une trésorerie en CP, reportés, permet d’éviter les incidents de paiement. Vous souvenez-vous, qu’en 1997, de nombreuses entreprises, et parmi elles de nombreuses petites entreprises, étaient étranglées par les délais de paiement de l’Etat, pour les travaux dans les monuments historiques? N’auriez-vous pas entendu, à nouveau cette année, en 2003, les plaintes de petites entreprises, étranglées par les délais constatés du fait de votre « gestion » des crédits ?
Le montant des CP ouverts en 2004 s’élèvera à 423 M€, soit une progression de 97% par rapport à 2003, mais une baisse de plus de 20% par rapport aux crédits ouverts en 2002. C’est dire l’ampleur des prélèvements opérés en 2003, et à demi réparés seulement pour 2004.
Logiquement, l’investissement souffre, et d’abord les monuments historiques. S’agit-il de préparer, dans les meilleurs conditions pour l’Etat, dans les pires pour les collectivités, un transfert de compétence aux régions, pour le suivi des monuments historiques ? En tout cas, sur deux ans, de 2002 à 2004, on assiste à une chute de plus de 40% des autorisations de programme. Et que dire de l’archéologie, privée des moyens indispensables ?
Je lis pourtant, dans vos interventions, que votre première priorité est pour les monuments historiques, qui souffrent, de Lunéville à Chambord. Mais votre politique d’investissement n’a pas les moyens requis, sauf exception.
Quelques gros établissements « tirent, en effet, leur épingle du jeu ». L’Opéra de Paris obtient ainsi près de 10 M€ de mesures nouvelles, presque autant, en AP, que l’ensemble des lieux de diffusion de musique et de danse ; et trois fois plus en CP. Le Centre Georges Pompidou, avec 10 M€, ne s’en tire pas trop mal, de même que la BNF, ou le Château de Versailles. Bien entendu, des besoins existent dans ces grandes institutions. Mais le soupçon apparaît : n’a-t-on pas servi les gros d’abord ?
2. L’enseignement artistique.
Deuxième axe fort d’une véritable politique culturelle, les enseignements artistiques. Il est vrai que cela ne figure pas parmi vos priorités affichées. Et cela se voit : baisse, pour la deuxième année consécutive, du nombre des emplois du ministère, de 100 pour 2004. Baisse donc des emplois qui peuvent être implantés, par exemple, dans les écoles d’architecture où les besoins sont importants (4 emplois nouveaux y sont prévus en 2004).
Que dire, pour ces écoles, de la hausse de la subvention de fonctionnement, limitée à 1,5%, en dessous de l’inflation, alors que la réforme des études supposerait des moyens accrus ?
Mais c’est encore un léger progrès, alors que le total des moyens budgétaires consacrés au fonctionnement pour les enseignements spécialisés et la formation révèle une diminution des crédits, de plus de 2%. Et on constate une baisse de 7% pour les interventions déconcentrées, par exemple en milieu scolaire. On aurait pu espérer que l’effort engagé pour l’égalité des chances, pour la formation des publics, soit poursuivi. Il faut se rendre à l’évidence. Faute de volonté politique, il n’en restera bientôt plus rien.
3. Le spectacle vivant.
Mais ce n’est pas encore le plus grave. Le plus grave, dans ce projet de budget, c’est la passivité qu’il traduit face au choc que va signifier pour le spectacle vivant, la remise en cause du régime d’assurance-chômage des intermittents. Celui-ci va entrer en vigueur dès le 1er janvier 2004, et produira ainsi progressivement ses effets au cours de l’année prochaine.
Dans votre présentation du projet de budget, est annoncé » un effort considérable « , qui permettra de mettre en œuvre, dès 2004, les conclusions qui seront tirées des Assises nationales du spectacle vivant qui ont déjà perdu leur dimension régionale. On croit comprendre, ainsi, que l’Etat sera à même de soutenir le réseau des jeunes compagnies, ou encore l’accès des jeunes aux professions artistiques, jeunes qui auront le plus de mal à réunir les conditions désormais exigées pour leur indemnisation.
Que trouve-t-on en regard dans le budget ? Rien, ou presque.
La nomenclature budgétaire change un peu, avec la création d’un chapitre nouveau, expérimental, en Rhône- Alpes, pour le développement et la diffusion de la création. Mais si l’on regarde les masses globales, on constate que les interventions consacrées aux interventions culturelles, hors institutions, augmentent de 0,7%, soit une baisse en euros constants de 1%. Et sur ces moyens, il conviendra de prélever les moyens exceptionnels pour les festivals, fragilisés par un été de contestation légitime.
Pire, le total présenté, pour « développement culturel et spectacles » est même en baisse de 3,4%.
Alors, on comprend le sens de votre budget : les compagnies, en lisant votre discours, pourront croire que le budget de la culture augmentera en 2004 de plus de 5%, et que c’est donc un peu à eux, dans un contexte particulièrement difficile, que ces moyens nouveaux pourront profiter. On ne leur a pas dit que cette croissance est optique, qu’elle s’explique par la baisse, brutale, de l’an passé, dont elle n’est que le rebond mécanique.
Alors, la déception, qu’on ressent en analysant votre projet de budget, déception que les moyens ne soient pas au rendez-vous, alors que tant de besoins existent, devient colère : colère devant les faux-semblants, devant l’indifférence, que traduit ce budget face à la marginalisation de pans entiers de notre vie culturelle.
La politique fiscale de M. Raffarin, c’est désormais connu : c’est de prendre aux pauvres pour donner aux riches. Votre politique culturelle, c’est de laisser appauvrir les secteurs qui ont le plus de besoins, les compagnies fragilisées par la réforme de l’intermittence, les actions artistiques en milieu scolaire, pour abonder le fonctionnement des grandes ou des « grosses » institutions sur lesquelles l’Etat se replie. C’est pour nous un contresens grave.
De fait, Monsieur le Ministre des Beaux-Arts, vous vous contentez finalement, à travers ce projet de budget, de réhabiliter le trompe-l’œil.