Budget des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Messieurs les ministres, ma question vise, au nom du groupe socialiste, à revenir sur les conclusions de la mission Brochand, visant à la création d’une chaîne française d’informations internationales, qui ont été avalisées par le Gouvernement, au mépris le plus total des travaux de la mission d’information créée au sein de notre assemblée.
Messieurs les ministres, croyez-vous sincèrement à la viabilité de ce projet de mariage forcé – forcé du point de vue des opérateurs de l’audiovisuel public, bien entendu – entre TF1 et France Télévisions, deux chaînes en concurrence sur le marché intérieur, sur la base d’un partenariat cinquante-cinquante, d’autant plus choquant qu’il est financé par l’Etat à 100 % ?

Trouvez-vous normal que soient exclus de ce partenariat les opérateurs qui doivent à leur rôle historique une vraie connaissance du public et des réseaux de distribution internationaux, à savoir TV5 et RFI, et que soit privilégié un groupe privé au détriment d’un autre ?

Pour RFI, qui vient de payer un si lourd tribut à sa mission d’information sur le continent africain, pour TV5, dont l’existence engage la France, dans un cadre multilatéral, à l’égard de pays francophones amis, le signe que vient de donner le Gouvernement n’est-il pas des plus inopportuns ?

Ne vous apparaît-il pas discriminatoire envers nos concitoyens que cette future chaîne, bien que financée par le contribuable français, ne soit pas visible dans notre pays, au contraire par exemple de TV5, tout simplement pour ne pas gêner les intérêts d’une chaîne privée d’information continue déjà existante ?

Ne courez-vous pas le risque que soit contestée dès le départ l’indépendance vis-à-vis du Gouvernement de cette nouvelle voix de la France, puisque les programmes de la chaîne échapperont à tout contrôle du CSA, et que le soin d’en nommer le président ne sera pas confié à cette autorité administrative indépendante, situation exorbitante du droit commun ?

Enfin, n’est-il pas temps que le Gouvernement associe la représentation nationale à ce projet, en soumettant au débat parlementaire un projet de loi sur la mise en place de cette future chaîne, garantie supplémentaire d’un financement pérenne ?

Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, je ne reviens pas sur la nécessité de cette chaîne d’information nationale, qui est, je crois, reconnue par tous.

Bernard Brochand a rendu un premier rapport au Premier ministre. Ce n’est qu’une première étape, qui définit un cadre général : une chaîne indépendante, fondée sur un partenariat entre le public et le privé, émettant dans un premier temps en français, en arabe, en anglais, le Maghreb, l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient tenant naturellement une place essentielle dans la définition et la programmation d’une telle chaîne.

Le Premier ministre a prolongé de trois mois la mission de Bernard Brochand. En effet beaucoup de questions subsistent, telles celles que vous vous posez, touchant des points précis du projet. Ce délai nécessaire doit être mis à profit pour définir précisément le cahier des charges de la future chaîne, analyser l’impact de sa création sur le dispositif existant de l’audiovisuel extérieur, et en tirer les conséquences. Sur ce point les propositions du rapport devront naturellement être analysées avec soin, et nous ne pouvons pas préjuger à ce stade ce que sera cette chaîne.

Il faudra par ailleurs clarifier ce que devront être les relations de cette chaîne indépendante avec l’Etat, et naturellement affiner les réponses aux difficiles questions qui touchent à son financement. Vous le savez, le budget du ministère des affaires étrangères ne comporte pas les moyens de financer une telle chaîne ; les marges de redéploiement des crédits consacrés aux opérateurs qui dépendent de lui – RFI comme TV5, qui ont connu ces dernières années un développement satisfaisant – sont inexistantes.
Je préfère donc à ce stade attendre la remise du rapport final, afin que le projet se précise et qu’on puisse prendre en compte l’ensemble des contraintes.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, pour une deuxième question.

M. Patrick Bloche. Monsieur le ministre, afin de libérer Mme Betancourt, militante écologiste et ancienne membre du Sénat de Colombie, otage des forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC, depuis près de deux ans, le ministère des affaires étrangères a mené dans la forêt amazonienne une opération militaro-policière dont les résultats se sont avérés désastreux.

Le 8 juillet dernier en effet, un Hercules C-130, avion de transport de troupe, a quitté la base d’Evreux, dans l’Eure – et j’associe notre collègue François Loncle à cette question -, avec à son bord le directeur adjoint de votre cabinet, plusieurs agents de la DGSE et du personnel médical du Val-de-Grâce.

Sur le déroulement et le fiasco de l’opération, la presse brésilienne, suivie par une partie de la presse française, notamment Le Monde et Le Nouvel Observateur, ont fourni certaines informations, au contraire du gouvernement français, qui n’a daigné donner aucune explication, pas même à la représentation nationale.

Je souhaite en conséquence savoir pour quelle raison le gouvernement brésilien n’a pas été associé à cette opération, ni même tenu au courant, alors que le commando français s’est posé en terre brésilienne, sur l’aéroport de Manaus ?

Pourquoi l’équipe française a-t-elle refusé l’inspection de l’avion à Manaus ? A-t-il été question d’un échange, du versement d’une rançon, ou encore de la prise en charge médicale de Raul Reyes, l’un des chefs des FARC ? Pour quelles raisons les responsables du Quai d’Orsay n’ont-ils prévenu ni le ministère de l’intérieur ni les services du Premier ministre ?

Je demande donc à qui incombe en France la responsabilité de ce fiasco, quel en a été le coût financier et sur quel budget a été financée l’opération. Enfin – et c’est naturellement la question essentielle – quelles sont aujourd’hui, plusieurs mois après cette lamentable aventure, les perspectives d’une libération effective d’Ingrid Betancourt ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, je dois vous avouer que je préférerais ne pas avoir à répondre à ce type de propos. Je ne crois pas devoir remettre en cause votre bonne foi sur une telle question. J’observe néanmoins qu’il n’y pas grand-chose de vrai dans les éléments que vous avez exposés. Je vous demanderai donc la grâce de ne pas mettre en cause la bonne foi qui est la mienne.

Car s’il est une décision que je ne regrette en rien, bien plus, que je renouvellerais demain s’il le fallait, c’est bien celle-là.

Je vais reprendre le fil des événements. La famille d’Ingrid Betancourt – plus précisément sa sœur – m’a personnellement informé par téléphone qu’elle voulait tenter la chance d’une possibilité de libération dans les jours qui venaient. Il y avait donc urgence, nous n’avions que quelques heures pour décider d’envoyer sur-le-champ l’avion dont vous avez parlé. Il s’agissait d’un avion médicalisé, compte tenu de l’état de santé d’Ingrid Betancourt.

Qu’auriez-vous fait à ma place ? Qu’aurait fait à ma place n’importe quel représentant de la France, sinon répondre oui, comme je l’ai fait, après avoir, bien évidemment, sollicité l’accord des plus hautes autorités de l’Etat ? Nous avons répondu oui à une de nos compatriotes – et je sais que son sort vous préoccupe autant que nous – qui était dans la situation que vous connaissez : otage depuis plusieurs mois, dans un état de santé très préoccupant selon toute apparence. Nous avons donc envoyé un avion médicalisé au plus près possible de la zone périlleuse où elle était censée être libérée. L’exécution de la mission supposait d’attendre là les informations qui devaient nous venir de la sœur d’Ingrid Betancourt, présente sur place, avec un prêtre qui, devant servir d’intermédiaire, était censé recueillir Ingrid Betancourt.

Elle a attendu là-bas un jour, puis deux, puis trois : en vain. Ingrid Betancourt n’a pas été libérée.

En conscience, dites-moi où est le fiasco. Une fois de plus, il ne s’agit pas de mettre en doute la bonne foi de quiconque. À chaque étape l’information a circulé. Le ministre de l’intérieur a été informé en tant que de besoin, puisqu’il se rendait en Colombie : je l’ai tenu moi-même informé, avant qu’il ne décolle de Paris, des tenants et des aboutissants de la demande qui nous avait été adressée.

Nous n’avons rien à cacher sur ce dossier ; nous avons fait ce que la conscience, le devoir de la France, nous imposait. Et, je le répète, nous le referions.

Il se trouve que, pour des raisons de calendrier, de hasard, de circonstances touchant au déroulement des voyages du ministre brésilien des affaires étrangères, celui-ci n’a pas pu être prévenu en temps voulu. Je m’en suis expliqué avec lui, je lui ai présenté mes regrets. Il l’a parfaitement compris et il n’a à aucun moment été question de crise diplomatique entre la France et le Brésil, pas plus qu’entre la France et la Colombie.

Depuis le premier jour, nous sommes mobilisés sur ce dossier, et nous le restons. Avec le gouvernement colombien, avec les Nations unies, avec le secrétaire général des Nations unies et son émissaire spécial, nous restons mobilisés pour atteindre cet objectif : libérer Ingrid Betancourt, et pour cela recueillir le maximum d’informations possible sur sa situation.

Nous l’avons fait, nous continuerons à le faire. Je ne veux pas commenter vos remarques concernant le budget de cette opération, parce que ce n’est pas le lieu. Je répéterai simplement ceci : nous n’avons rien à cacher sur ce dossier. La bonne foi de la France est entière. Le premier devoir d’un pays, c’est de se mobiliser pour régler le sort de ses citoyens en difficulté. C’est le cas d’Ingrid Betancourt. Nous sommes par ailleurs attachés aux valeurs qui s’expriment à travers sa personne. C’est l’esprit de la France et nous souhaitons qu’il soit soutenu sur tous les bancs de cette assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)