Communications électroniques et services de communication audiovisuelle

M. Patrick Bloche. Monsieur le président, madame la ministre déléguée à l’industrie, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, comme d’autres, je suis amené à exprimer ma perplexité sur la manière dont nous légiférons. En ce moment, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales examine le projet de loi relatif aux responsabilités locales sur lequel elle est saisie pour avis. Notre calendrier est si chargé qu’il en est incohérent, au risque finalement de mal légiférer et de n’être pas compris par nos concitoyens, notamment par ceux auxquels ces textes s’adressent au premier chef.

Madame la ministre, – je m’adresse à vous parce que vous représentiez le Gouvernement lors de l’examen de ce texte en deuxième lecture – vous ne serez pas étonnée que je dénonce la confusion entretenue entre la deuxième lecture du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique, désormais devant le Sénat, mais qui ne s’en saisira qu’au début du mois d’avril, et l’examen par l’Assemblée nationale de ce projet de loi important, et ce après l’adoption du projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom.

Finira-t-on par y voir plus clair ? Cette question mérite d’être posée surtout lorsque l’un de nos excellents collègues, qui de surcroît copréside le groupe d’études sur l’internet et le commerce électronique au sein de notre assemblée, prend l’initiative de déposer un amendement qui avait été refusé lors l’examen en deuxième lecture du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique et qui tend, avant même que nos collègues sénateurs aient pu réagir, à rouvrir le débat sur le régime de responsabilité des hébergeurs et de fournisseurs d’accès.

Revoir le régime de responsabilité des intermédiaires techniques de l’internet, compte tenu de l’opposition que nous avions manifestée à la rédaction du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique, devrait nous réjouir. Néanmoins, je m’interroge sur l’opportunité de cette discussion : n’aurait-il pas été préférable d’attendre l’avis du Sénat en deuxième lecture ?

Et parce que l’amendement de M. Martin-Lalande, même s’il représente un mieux, ne nous satisfait pas, je tiens d’ores et déjà à réaffirmer avec force l’opposition du groupe socialiste au principe de la responsabilité des intermédiaires techniques de l’internet tel qu’il est réécrit et son opposition encore plus vive aux mesures de filtrage imposées aux fournisseurs d’accès, mesures qui ne répondent pas à l’esprit de la directive sur le commerce électronique et sur lesquelles la Commission européenne a émis de vives critiques.

Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui mélange télécommunications et audiovisuel au nom d’une convergence des médias qui fait beaucoup parler et sur laquelle je souhaiterais alerter notre assemblée.

La convergence des médias, c’est une belle chose : c’est la télévision, la radio, l’internet disponibles à partir des mêmes terminaux. Pour autant, nous devons rester prudents et nous rappeler l’échec, pas si lointain, qu’ont connu deux géants des médias, AOL Time Warner aux Etats-Unis et Vivendi Universal en Europe.

En effet, sans entrer dans le détail des concentrations et des intégrations verticales et en dépit de l’optimisme des services commerciaux et des campagnes promotionnelles alléchantes, les consommateurs boudent parce qu’ils n’ont pas trouvé leur compte dans les offres couplées, trop contraignantes du fait de la politique d’achat de catalogues menée dans le secteur de l’audiovisuel et de la musique.

La multiplication des moyens de diffusion – câble, hertzien, satellite, ADSL, wi-fi -, des opérateurs – mobile, radio, télévision, câble -, des services payants – email, internet, chaînes de télévision à péage, vidéos à la demande, pay per view, téléphone, wap -, le peu d’attractivité de certains services qui ne fonctionnent pas encore très bien et la couverture très inégale en haut débit du territoire, font que les consommateurs ont du mal à se retrouver dans ce dédale commercial et à rester fidèles à un seul fournisseur pour leur usage d’internet, de la télévision, de la téléphonie et des services interactifs.

Cette convergence des médias doit être mise en œuvre avec la plus grande prudence. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons souhaité, collectivement, lors de la deuxième lecture, au mois de janvier, du projet de loi sur la confiance dans l’économie numérique, définir la communication publique en ligne indépendamment de la communication audiovisuelle. Les modes de régulation sont en effet différents et je ne veux pas, je le souligne avec force, que la régulation des tuyaux devienne la régulation des contenus.

Ce projet de loi comporte par ailleurs des éléments de réforme de la loi sur la liberté de communication de 1986 qui nous laissent songeurs, Michel Françaix s’est déjà exprimé sur ce sujet et Didier Mathus y reviendra sans doute en défendant sa motion de renvoi en commission. Nous nous interrogeons en effet sur ce que le ministre de la culture et de la communication a qualifié lui-même de « petite loi audiovisuelle ». En effet introduire dans un projet de loi de transposition de directives communautaires des modifications du paysage audiovisuel qui sont loin d’être anodines ne nous paraît pas une bonne méthode pour légiférer. Il s’agit même, pensons-nous, d’une dérive préjudiciable à la clarté de nos travaux.

La modification des compétences de l’autorité de régulation en vue d’accélérer le délai de délivrance des autorisations, en posant le principe d’un délai de huit mois maximum, ne saurait attirer la critique de l’opposition. L’autorité de régulation se doit en effet d’être plus rapide à l’égard des opérateurs. Toutefois, la logique qui sous-tend cette décision, sur la base d’une convergence des médias, ne nous paraît pas évidente.

De même, il aurait été souhaitable de prévoir, dans un souci de transparence, la possibilité d’un débat contradictoire et d’une décision collégiale, quitte à modifier les compétences du CSA.

Le Gouvernement propose également d’introduire, sous forme d’amendements, non seulement des dispositions visant à créer un cadre juridique pour le développement de la radio numérique, mais également des dispositions lourdes de conséquence qui, bien qu’annoncées par vous, monsieur le ministre, auraient pu faire l’objet d’un projet de loi spécifique, à savoir l’intégration de RFO au sein du groupe France Télévisions.

M. Jean-Paul Charié. Très bonne mesure !

M. Patrick Bloche. Nous aurions préféré un adossement. D’ailleurs, l’annonce d’une intégration provoque une inquiétude légitime chez les personnels. ( Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Juliana Rimane. C’est faux !

M. Mansour Kamardine. Nous les avons rencontrés : ils pensent le contraire !

M. Patrick Bloche. Surtout, cette proposition a le défaut majeur d’oublier que RFO est non seulement une télévision mais également une radio.

M. Jean-Paul Charié et M. Mansour Kamardine. Et alors ?

M. Patrick Bloche. La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n’a pu traiter de ces questions ; le rapporteur pour avis, M. Hamelin, s’en est lui-même plaint. Pourtant, sur ce sujet comme sur bien d’autres, nous aurions aimé engager un vrai débat.

Brièvement, monsieur le président, pour rester dans le temps qui m’a été imparti, je souhaite indiquer que nous resterons très vigilants lors de l’examen des articles, notamment quand viendront en discussion les amendements qui proposeront d’introduire ce que vous appelez joliment un assouplissement, et que nous qualifions plutôt d’affaiblissement, du dispositif anti-concentration. La possibilité d’un cumul d’autorisations constitue, à nos yeux, un avantage certain pour les opérateurs historiques.
De la même façon, nous attendons du Gouvernement qu’il éclaircisse sa position sur la préférence qu’il manifeste clairement à l’égard de l’ADSL et qui, de fait, fragilise la volonté qu’il exprime par ailleurs, en particulier dans l’exposé des motifs, de sauver un secteur du câble en grande difficulté et de développer des télévisions locales. Nous espérons que le débat parlementaire permettra de lever toutes ces incertitudes.

De même, nous regrettons, mais je laisse au spécialiste du groupe socialiste, Didier Mathus, le soin de développer ce point, la fragilisation du dispositif relatif au lancement de la TNT au détriment du service public que vous générez à travers les dispositions que vous nous proposez.
Nous avons bien d’autres graves sujets d’inquiétude, par exemple à la suite de l’initiative prise par notre collègue M. Baguet. Nous avons déjà eu l’occasion d’exprimer notre plus grande réserve sur la fréquence unique qu’il propose. La radio numérique n’étant pas encore une réalité, nous craignons qu’une telle mesure nuise au pluralisme et à la diversité du paysage radiophonique. Je pense également au must carry, pour lequel il convient de se montrer prudent, comme l’a souligné le rapporteur pour avis, car les enjeux financiers sont importants ; il faut surtout agir en fonction de l’intérêt général.

En conclusion, je souligne qu’il est regrettable que le débat sur l’audiovisuel qui s’est tenu dans cet hémicycle le 13 janvier dernier à l’initiative du groupe UDF n’ait pas permis d’anticiper sur celui d’aujourd’hui. Découpé, nous craignons que ce débat n’ait pas une grande visibilité ; du moins espérons-nous que la modification du paysage audiovisuel auquel il aboutira ne se traduira pas par un bouleversement. Interférant avec d’autres projets de loi, nous avons peur qu’il ne suscite la méfiance plutôt que la confiance à l’égard du travail parlementaire et, cela, nous ne pouvons tous que le regretter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)