Spectacle vivant
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,
Depuis 18 longs mois, la culture traverse dans notre pays une crise sans précédent, une crise profonde dont la remise en cause brutale de ce qu’on appelle communément le régime des intermittents a été le révélateur. Et ce n’est pas le moindre mérite des deux rapports les plus récents et qui éclairent notre discussion d’aujourd’hui, d’avoir placé l’emploi culturel au cœur de nos préoccupations et donc du débat public ouvert depuis le funeste accord du 26 juin 2003.
18 mois, c’est sans doute trop court, plaiderez-vous Monsieur le Ministre, pour apporter des solutions pérennes à une crise structurelle. Et pourtant, 18 mois, c’est si long pour ces artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel, ces « travailleurs de la culture » pour reprendre la belle formule de Jean ZAY, ces femmes et ces hommes passionnés par leur choix de vie professionnelle et qui sont aujourd’hui précarisés de façon inacceptable. Nous sommes quelques-uns dans cet hémicycle, et notamment Etienne PINTE que je tiens tout particulièrement après Jean-Pierre BRARD à saluer, à vivre depuis plus d’un an, une fraternité d’armes qui, au sein d’un Comité de suivi inédit, nous amène à partager leur mobilisation mais aussi leur angoisse.
Le temps presse, Monsieur le Ministre. Vous le savez, évidemment. Mais, à l’approche d’une année nouvelle, de plus si stratégique pour l’assurance-chômage dans son ensemble, le début 2005 n’a pas le même sens que la fin 2005. Les semaines qui viennent sont essentielles pour que la création culturelle dans notre pays ne soit pas touchée au cœur par le découragement progressif et invisible sur l’instant, de professionnels qui n’auront d’autre solution pour survivre socialement que de se reconvertir, comme on dit des bassins d’emplois, en abandonnant un engagement artistique qui est toute leur vie. Ce serait alors la vraie victoire de ceux qui veulent liquider les annexes 8 et 10, et cela nous ne pouvons l’accepter. Sauf à exclure ensuite de nos discours le mot d’ordre qui pourtant nous réunit, de la diversité culturelle.
C’est, en ayant à l’esprit tous ces enjeux, que la première proposition du rapport PAILLÉ – KERT adopté – je le souligne – à l’unanimité, prend toute sa force : la renégociation urgente de l’accord de 2003, sans attendre l’échéance de la fin 2005.
Ce rapport, comme celui de Jean-Paul GUILLOT, converge sur de nombreux points et d’abord parce qu’il part de l’emploi et non du chômage. C’est ainsi une vraie satisfaction, même si elle a un goût amer, d’avoir la confirmation que le mauvais accord du 26 juin n’a en rien réduit le déficit qui lui servait de justification première et qu’il a été de plus facteur d’inégalités criantes et d’effets pervers. C’est, à cet égard, une condamnation sans appel de ceux qui gèrent visiblement l’Unedic comme des apothicaires.
Il est donc clair aujourd’hui, et c’est naturellement essentiel, qu’il faut maintenir un régime spécifique d’assurance-chômage dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle, que nous devons réfuter toute idée d’une caisse complémentaire, qu’il est indispensable de mettre en œuvre un plan audacieux pour l’emploi culturel permettant de stopper la dérive de la paupérisation des acteurs culturels que traduisent ce chiffre terrible des 8 artistes et techniciens indemnisés sur 10 ayant un salaire annuel de référence inférieur à 1,1 smic !
Je ne reviendrai pas sur toutes les propositions des deux rapports déjà cités et notamment celui de Jean-Paul GUILLOT qu’il s’agisse du développement des emplois permanents, de l’accroissement de la durée moyenne du travail annuel rémunéré et des contrats, de l’activation de tous les dispositifs de contrôle de l’emploi, de le prise en compte dans de nouvelles conventions collectives des temps de répétition et de préparation.
Il faudra naturellement que les pouvoirs publics à tous les niveaux, qu’ils soient employeurs ou donneurs d’ordre, soient exemplaires. De la même façon, des efforts de structuration des secteurs d’activité culturels seront nécessaires pour réduire la précarité des emplois. Je pense ainsi à la mutualisation des moyens des mico-entreprises de spectacle, à la régulation des métiers, à la prise en compte des qualifications et de l’ancienneté, à la redéfinition des missions de service public liées au subventionnement.
La question du périmètre des annexes 8 et 10 – même si elle est particulièrement complexe – est logiquement posée, sans fort heureusement le présupposé absurde qu’il y aurait trop d’artistes en France ! Comment ne pas se réjouir, à cet égard, que n’aient pas été reprises les préconisations pour le moins hasardeuses de Monsieur CHARPILLON, entre numérus clausus et réduction du champ d’application aux métiers ayant, je cite, « une proximité avec l’acteur créateur », ce qui excluait dans une large mesure les activités de diffusion pourtant indispensables à l’élargissement des publics. De la même façon, exit l’idée d’une sélection à l’entrée ou de l’instauration d’une carte professionnelle qu’on ne saurait bien entendu confondre avec la nécessité pointée dans le rapport de la mission d’information parlementaire d’un effort majeur de formation initiale et permanente.
Sans doute, en ce domaine, faudrait-il déterminer plus clairement la ligne de partage entre démarches professionnelles et pratiques amateurs, surtout quand des professionnels précarisés voient avec inquiétude des amateurs être professionnalisés sans raison et le plus souvent par facilité. C’est parce que l’artiste bénéficiera d’une position sociale affirmée et reconnue qu’il abordera sans crainte des pratiques amateurs qui doivent prendre rang de priorité dans les choix de politique culturelle.
En attendant que ces différentes pistes se formalisent, ce qui nécessitera pour certaines d’entre elles une négociation collective active, le plus court terme m’amène à exprimer une déception et à rappeler des propositions.
La déception, c’est que ne soit pas tombé un déni de démocratie qui ne peut qu’interpeller très directement la Représentation nationale. La nomination d’un expert indépendant, en l’occurrence Jean-Paul GUILLOT, demandée par le Comité de suivi répondait à une exigence de transparence qui n’a pas été totalement satisfaite.
Si nous savons qu’en 2002, les intermittents représentaient 4,9 % des chômeurs indemnisés mais ne percevaient que 3,6 % des allocations-chômage (ce qui relativise – c’est le moins que l’on puisse dire – leur responsabilité dans le déficit global de l’Unedic), si nous avons appris que pour les risques maladie et retraite, l’apport des intermittents est excédentaire, bref, si nos connaissances statistiques se sont sensiblement accrues, l’opacité de l’Unedic subsiste qu’il s’agisse notamment du montant des salaires réels et du nombre des cotisants non indemnisés. Sans parler des écarts entre les chiffres avancés par l’Unedic et ceux fournis par la caisse des Congés spectacle qui resteront inexplicables tant qu’un croisement complet (je dis bien complet) des fichiers ne sera pas opéré.
De fait, faute d’une expertise incontestable, il m’apparaît nécessaire de garder dans le champ du possible l’accord de la FESAC et le nouveau modèle élaboré par la Coordination des Intermittents et déjà évoqué par notre collègue BAGUET.
Les propositions que je souhaitais rappeler à cette tribune, ce sont tout simplement celles du Comité de suivi :
– 507 heures sur 12 mois (c’est la réalité de l’emploi culturel salarié) avec date anniversaire préfixe (et j’ai noté, Monsieur le Ministre, votre engagement sur ce point) ;
– versement sur 12 mois des indemnités journalières de chômage ;
– possibilité aux artistes comme aux techniciens de dispenser des formations ces heures de formation devant être prises en compte à raison de 169 heures par an ;
– traitement de la maladie et des accidents du travail comme cela a été fait pour les congés maternité ;
– retour à la possibilité d’un cumul d’activités au sein des annexes 8 et 10 et de l’ensemble du régime général ;
– enfin, intégration de clauses de sauvegarde au fonds spécifique provisoire qui deviendra transitoire en 2005, pour réagir au cas par cas aux accidents de carrière et aux cas sociaux les plus difficiles, notamment pour les jeunes entrant dans la profession et qui ont été particulièrement pénalisés par l’accord du 26 juin 2003.
Le cadre étant fixé, il ne vous reste plus – si j’ose dire – Monsieur le Ministre à amener les partenaires sociaux à s’engager le plus vite possible dans une négociation pour définir un nouveau protocole, comme le préconise d’ailleurs le rapport GUILLOT.
Sinon, par une initiative gouvernementale ou parlementaire, il reviendra à la Loi de réformer les annexes 8 et 10. Ce serait la mort du paritarisme, disent certains. Mais, mes chers collègues, en cas de carence et au nom de l’intérêt général, il revient à la Représentation nationale de prendre ses responsabilités.
Dois-je rappeler ici même que la Loi est intervenue à deux reprises, il n’y a pas si longtemps. Au début de l’année 2002, nous avons été amenés à pérenniser le régime spécifique des intermittents alors privé de tout fondement conventionnel. Quelques mois plus tard, à l’été de la même année, les gestionnaires de l’Unedic eux-mêmes nous demandaient (je tiens à préciser que le groupe socialiste s’y était opposé) de modifier le code du travail mettant à mal au passage la solidarité interprofessionnelle (la CGT spectacle doit s’en souvenir) pour permettre le doublement des cotisations. Si je suis resté jusqu’à présent dans le cadre que vous avez bizarrement limité, Monsieur le Ministre, au spectacle vivant alors que c’est une politique culturelle globale et cohérente qui est visée par ce débat d’orientation, je vais m’en échapper pour plusieurs raisons.
D’abord parce que le divorce croissant entre les industries culturelles et le monde de la création (vous savez : « la part de cerveau disponible de nos concitoyens… ») nous impose d’écarter tout cloisonnement. Ensuite parce que l’emploi culturel n’est pas que salarié. A la suite du rapport de la mission d’information parlementaire, je veux évoquer les plasticiens, les photographes, la plupart des auteurs et nombre d’acteurs culturels qui ont un statut d’indépendant. Pour beaucoup trop de ces créateurs et de ces artistes, c’est souvent l’absence de protection sociale élémentaire qui est la règle, notamment quand le niveau de vie dépend directement de la cession, aussi incertaine qu’irrégulière, des droits afférents à leurs œuvres. C’est pourquoi il paraîtrait utile d’engager une réflexion plus vaste, plus profonde, plus prospective sur le statut de l’artiste, de tous les artistes, que nous pourrions peut-être un jour traduire dans la Loi.
Enfin, si nous allons vers l’adoption d’un plan ambitieux pour l’emploi culturel, il faut le financer. Rassurez-vous, Monsieur le Ministre, je ne vais pas redire, ici-même tout le mal que je pense de votre budget pour 2005 je l’ai amplement fait lors de son examen, le 2 novembre dernier. De la même manière, je ne vais pas m’offrir la facilité d’évoquer le 1 %, surtout que je considère qu’objectif politique visionnaire il y a vingt ans, c’est aujourd’hui un frein. Et, je ne veux même pas parler de la sanctuarisation du budget de la culture.
Il apparaît cependant plus que souhaitable en poursuivant un objectif social de ne pas porter atteinte au niveau de notre création culturelle, dans un contexte de plus où nombre de structures culturelles sont fragilisées par la suppression des emplois-jeunes ou encore la fin de la prise en compte de la culture dans la politique de la ville.
D’où l’idée lancée en Avignon, cet été, d’une loi d’orientation et même de programmation. Elle permettrait sur cinq ans de financer un plan pour l’emploi culturel, de définir plus précisément, au bout de cette période, les besoins budgétaires du Ministère de la Culture, de clarifier par la relance des protocoles de décentralisation, les rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Cette dernière perspective nous emmène, de fait, très loin de la réalité actuelle qui voit le gouvernement décentraliser ses déficits et se désengager financièrement sur le dos des collectivités locales qui contribuent pourtant aux 2/3 du financement public de la culture. Je suis ainsi frappé de la légèreté avec laquelle le gouvernement veut se débarrasser d’un nombre conséquent de monuments historiques pour laisser le soin aux collectivités territoriales d’en assurer la restauration (ce sont souvent des ruines…) et l’entretien.
Ce sont autant de crédits consacrés par nécessité au patrimoine par ces collectivités, qui n’iront pas au spectacle vivant… Dans un tout autre domaine, quand les recettes de la redevance stagnent et que le gouvernement sous-finance l’audiovisuel public, comme ce sera un peu plus le cas en 2005 malgré les 20 millions supplémentaires, qui ne voit que c’est l’emploi culturel qui se trouve pénalisé.
Les exemples ne manquent pas, qui tendent tous à une refondation de la politique culturelle de notre pays.
En attendant, sans doute la prochaine alternance, l’urgence demeure et il n’est que temps, Monsieur le Ministre, Mes chers Collègues, que tombe un mythe qui a visiblement la vie dure à l’Unedic, celui de la bohême comme moteur de la création.