Lutte contre la spéculation immobilière

Projet de loi de finances pour 2005 – 1ère partie (22 octobre 2004)

M. Patrick Bloche. Par cet amendement, je propose de supprimer l’exonération de droits de mutation accordée, sans que l’objectif d’intérêt général soit d’ailleurs évident, aux marchands de biens.
Les marchands de biens achètent des biens immobiliers pour les revendre avec une plus-value. Cette intention spéculative les distingue, tout au moins sur le plan fiscal.
L’un des moyens privilégiés d’intervention de ces marchands de biens consiste à pratiquer le congé pour vente à l’occasion d’une vente à la découpe, moyen également privilégié par les fonds de pensions pour dégager rapidement des plus-values immobilières.
Ces acteurs ont, hélas ! trouvé chez les bailleurs institutionnels un inépuisable gisement de logements à bons prix. Depuis quelques années, en effet, les bailleurs institutionnels, plutôt que de rénover un parc ancien, cherchent à profiter des niveaux élevés du marché et procèdent à des ventes massives dans leur parc de logement. Ce phénomène a du reste été amplifié par la réforme fiscale des sociétés foncières initiée au détour d’amendements, dont celui de notre collègue sénateur Marini, qui a contribué à doper ce secteur, dans le mauvais sens du terme, puisque ces sociétés sont exonérées de plus-values immobilières, ce qui les incite à accélérer les opérations, quitte parfois à le faire dans la précipitation.
Depuis deux ans, on assiste ainsi à une multiplication de ces congés à visées spéculatives, dont l’ampleur est devenue telle que la plupart des spécialistes du marché de l’immobilier estiment qu’ils contribuent directement à accentuer la flambée des prix de l’immobilier.
Il en résulte l’éviction des classes moyennes et des locataires de condition modeste, qui n’ont pas les moyens de racheter leur logement ou de faire face à l’augmentation des loyers qui suit la mise en vente.
Dès lors que l’intérêt général ne justifie plus une telle exonération, il est proposé de la supprimer, de façon non rétroactive.

M. le président. Quel est l’avis de la commission?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. La commission n’a pas examiné cet amendement. Il est vrai, monsieur Bloche, que se pose actuellement un problème bien délimité, celui de l’acquisition d’immeubles souvent détenus par des bailleurs institutionnels par des marchands de biens qui procèdent ensuite à la vente à la découpe. Mais la solution proposée ne paraît pas appropriée. Ce problème, auquel nous devons réfléchir, ne peut être traité par la réinstauration des droits de mutation.
Je voudrais vous rappeler que, toujours sous la précédente législature, des mesures ont été prises pour réduire les droits de mutation, mesures que j’ai d’ailleurs approuvées, quoique appartenant alors à l’opposition. Ces droits, dont le niveau était très élevé, avaient pour effet de renchérir le coût d’acquisition et nuisaient en particulier à la mobilité professionnelle ; toute la politique conduite depuis dix ans a donc visé à les réduire. Or vous nous proposez là d’en créer de nouveaux, et, de surcroît, sur des opérations d’intermédiation. Les marchands de biens ont leur utilité ; leur activité ne se limite pas à celle que vous évoquez ici, même si elle est effectivement assez fréquente, en particulier dans Paris intra-muros.
Je pense qu’il faudrait réfléchir sur un autre terrain car créer des droits de mutation sur des opérations d’intermédiation, ayant vocation à être limitées dans le temps, tendrait à ajouter de la fiscalité et se traduirait donc par un renchérissement du prix pour les acquéreurs. En bout de course, l’effet de cette mesure serait donc contraire à celui que vous escomptez.
Tout en reconnaissant le problème, j’émets donc, à titre personnel, un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement?

M. le secrétaire d’État au budget et à la réforme budgétaire. Le Gouvernement partage totalement l’analyse de M. le rapporteur général.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Je serai bref car je défendrai dans un instant un autre amendement qui aborde le problème sous un autre angle.
Je remercie M. le rapporteur général de reconnaître l’existence du problème. Tous les marchands de biens n’ont certes pas de visées spéculatives, mais, compte tenu de la réalité du marché de l’immobilier et surtout du mauvais exemple donné par les bailleurs institutionnels, qui vendent par pans entiers leurs parcs de logements, cette méthode de la vente à la découpe se développe et l’on se trouve confronté à un grave problème de spéculation immobilière et de flambée des prix. Nombre de nos collègues de la majorité ont d’ailleurs justifié la réforme de l’ISF par ce phénomène – je pense à un amendement présenté par M. Auberger et qui a été adopté. C’est, en quelque sorte, en cohérence avec cette démarche de nos collègues que nous avons déposé l’amendement n° 444 rectifié, qui vise à prendre date et à adresser un signe politique fort en direction de la catégorie professionnelle incriminée.
M. le rapporteur général nous rappelle la logique qui fut suivie sous la précédente législature. Mais, depuis lors, ces opérations se sont fortement développées, sans que l’intérêt général ne s’y trouve justifié en quoi que ce soit et avec des conséquences sociales et sociologiques dans plusieurs quartiers de Paris, y compris des arrondissements comme le 8e et le 16e, mais aussi au-delà de la capitale. C’est pourquoi il importe que nous nous saisissions de la question et que nous lui apportions les réponses adaptées. Tel est l’objet de l’amendement.

(…)

M. le président. L’amendement n° 444 rectifié est retiré.
Je suis saisi d’un amendement n° 445 rectifié.
Le retirez-vous également, monsieur Bloche ?

M. Patrick Bloche. Non je souhaite le présenter car il est de nature différente.
Si je puis me permettre – sans abuser, évidemment, de notre temps collectif -, j’irai un peu plus loin dans notre réflexion : l’amendement n° 445 rectifié, qui pourrait aisément être qualifié d’amendement de repli, aborde le problème sous un autre angle puisqu’il ne touche pas aux droits de mutation, mais à une question de délai.
Face au phénomène de spéculation immobilière que chacun ici reconnaît, les locataires sont mal protégés, pour trois raisons.
D’abord, les marchands de biens détournent la loi de 1989 de son objet. Dans l’esprit qui fut le nôtre lors de son adoption, celle-ci avait pour objet de pacifier et de codifier les relations entre les personnes physiques à l’occasion de la conclusion d’un bail d’habitation, et c’est dans cette optique que son article 15 définit ainsi la procédure applicable au congé vente : « Lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant. »
Avec les ventes à la découpe que nous évoquons ce matin, la procédure du congé vente est détournée de son objectif initial, des marchands de biens rachetant à des bailleurs institutionnels des immeubles occupés avec pour seule finalité de réaliser de fortes plus-values.
Je serai plus rapide sur la deuxième raison. Le Conseil constitutionnel, en 2000, a pris la décision malheureuse, de notre point de vue, de censurer une disposition essentielle de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, en l’occurrence son article 145. Celui-ci prévoyait que « les logements assimilables au logement social appartenant à la Caisse des dépôts et consignations » demeurent soumis, « après l’expiration de la convention, même lorsqu’ils font l’objet d’un transfert de propriété, et y compris en cas de cession non volontaire, à des règles d’attribution sous condition de ressources et des maxima de loyer fixés ». L’article 145, vous le voyez bien, protégeait les locataires, et son maintien dans la loi aurait permis de pérenniser la vocation sociale des logements concernés, ce qui est incontestablement nécessaire compte tenu de la pénurie structurelle de logements sociaux et de la difficulté, nous le savons tous, à en construire de nouveaux. En annulant cette disposition au nom de la sacro-sainte liberté contractuelle, le Conseil constitutionnel a malheureusement ouvert la voie, en quelque sorte, à la Caisse des dépôts et consignations, qui a massivement remis son parc de logements sociaux sur le marché.
Enfin, les locataires, insuffisamment protégés, en sont réduits à se défendre avec les moyens existants, parmi lesquels figure l’accord collectif de 1998, signé par les opérateurs immobiliers, qui tente d’organiser les procédures de congé-vente. Cet accord prévoit cependant des délais très courts, de seulement cinq mois, qui ne protègent pas efficacement les locataires. De leur côté, en effet, les marchands de biens disposent de quatre ans à compter de la première acquisition pour réaliser leur opération. Le temps joue donc en faveur des marchands de biens et au détriment des locataires.
Je vous propose, à travers cet amendement, qui n’est pas de même nature que le précédent, de rééquilibrer la situation en ramenant de quatre ans à un an le délai imparti pour revendre, lequel conditionne l’exonération de droits de mutation. L’urgence dans laquelle sera alors placé le marchand de biens l’obligera, pour réaliser la revente, à des concessions plus importantes au bénéfice des locataires.
J’ai souhaité défendre cette proposition ce matin, dans le cadre d’un échange où tout le monde semble ouvert. Mais il convient évidemment aussi de renforcer le caractère contraignant de l’accord collectif, ce qui peut être fait, dans un premier temps, par voie réglementaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. La commission n’a pas examiné cet amendement, mais j’émets un avis défavorable car le délai dans lequel il est possible de réaliser l’opération et le taux des droits de mutation – qui faisait l’objet de l’amendement précédant – sont intimement liés. La réflexion que nous mènerons devra porter sur l’ensemble du dispositif, sur les droits de mutation comme sur le délai.
Et, puisque M. Bloche a évoqué certains effets pervers de la loi SRU, je lui rappelle que j’avais moi-même estimé erroné de cesser de considérer les HLM, après leur vente, comme des logements sociaux au sens de la loi SRU.
On voit bien que ce dispositif freine la vente des HLM. L’avis du Conseil constitutionnel n’est pas seul en cause, même s’il pose beaucoup de problèmes. Et je ne suis pas étonné que vous l’ayez souligné dans votre exposé des motifs.
En tout cas, la réduction du délai fait sans doute partie des pistes de réflexion mais je ne peux pas donner un avis favorable, à ce stade.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement?

M. le secrétaire d’État au budget et à la réforme budgétaire. Même avis.

(…)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 515.
La parole est à M. Patrick Bloche, pour le soutenir.

M. Patrick Bloche. Cet amendement est le dernier des trois que j’ai déposés sur cette question qui ne laisse personne indifférent sur tous les bancs de notre assemblée.
Je remercie M. Brard d’avoir si joliment illustré la politique de la majorité municipale parisienne, ce qui m’évitera de revêtir ma casquette de conseiller de Paris pour le faire.
C’est au nom de l’intérêt général, qui est mon seul souci – c’est d’ailleurs ici le cas de tout le monde – que je souhaite procéder à cette dernière intervention sur un phénomène dont tout le monde reconnaît ici, qu’il est de grande ampleur. Et s’il se développe essentiellement à Paris, pour l’instant, je crois pouvoir prédire qu’il ne restera pas circonscrit à l’intérieur des boulevards périphériques.
En 2003 comme en 2004, les montages consistant en la cession par un bailleur institutionnel à un marchand de biens qui, ensuite, vend à la découpe, ont concerné 15 % des 40 000 ventes de logements enregistrées à Paris. Au total, selon la mairie de Paris, ce sont 30.000 logements qui ont subi ce type d’opérations.
D’après une étude de l’observatoire des loyers de l’agglomération parisienne, ce phénomène devrait durer encore plusieurs années si rien n’est fait pour l’enrayer. Et c’est bien l’objet de notre mobilisation dont j’ai cru comprendre qu’elle dépassait la seule opposition.
À Paris, si le phénomène a commencé dans les beaux quartiers, – on a beaucoup médiatisé la vente de logements à Saint Philippe du Roule – il se répand désormais dans les quartiers plus populaires du nord et de l’est parisien, et même au centre. On a beaucoup parlé aussi de la résidence des Arquebusiers dans le 3e arrondissement. Le 11e est touché, je pense au 39 bis rue de Montreuil, le 12e, le 18e et le 19e. Les exemples sont, malheureusement, multiples.
Les conséquences sont très négatives pour Paris et ses habitants, ainsi que pour toutes les agglomérations concernées. Et je répète que ce phénomène ne restera pas que parisien.
En effet, lors de ces ventes à la découpe, les locataires sont souvent mis devant le fait accompli et malheureusement dans l’impossibilité de conserver leur logement. On constate en effet que ces opérations conduisent à l’éviction des locataires qui appartiennent aux classes moyennes ou qui sont de condition modeste, et qui n’ont pas les moyens de racheter leur logement ou de faire face à l’augmentation des loyers qui suit la mise en vente.
Le départ de ces habitants est non seulement source de difficultés personnelles, notamment pour les personnes âgées, mais il a également des conséquences néfastes pour l’équilibre de la ville. C’est en effet toute la mixité sociale – que l’on sait être, depuis les erreurs commises dans les années soixante, une source d’équilibre et d’harmonie sociale – qui est compromise par cette éviction à grande échelle.
Ce phénomène est tellement inquiétant qu’il a conduit les notaires parisiens – tenez-vous bien ! – à pousser un cri d’alarme, pour reprendre leur expression, dont un quotidien du matin s’est fait l’écho. Les notaires sont, en effet, très inquiets de constater que les candidats au premier achat sont exclus d’une ville comme Paris, mais ce ne sera bientôt plus la seule.
De plus, le départ massif et simultané des habitants provoque des changements soudains et brutaux de nature à perturber totalement l’équilibre des quartiers concernés. Il n’est pas rare que plusieurs centaines d’habitants soient ainsi contraints à l’exil en deux ou trois ans. Au-delà du lien social, c’est tout le fonctionnement des services publics et du secteur associatif, ainsi que l’économie des commerces de proximité, qui se trouvent remis en cause.
Afin d’éviter de telles conséquences négatives, – mais je livre aujourd’hui cet amendement plus à la réflexion qu’à l’adoption ! – nous vous proposons, en cohérence avec les amendements précédents, de majorer fortement les pénalités applicables au non-respect des obligations fixées aux marchands de biens pour le bénéfice de l’exonération de droits de mutation.

M. le président.
Quel est l’avis de la commission?

M. Gilles Carrez, rapporteur général.
Avis défavorable pour la même raison. D’ailleurs, M. Bloche l’a dit lui-même, il livre cet amendement à une réflexion plus générale. Elle devra permettre d’établir un diagnostic sur certains éléments de blocage contenus dans la loi SRU. Je pense notamment aux délais dans l’élaboration des SCOT et des PLH qui freinent la sortie des opérations, en particulier de logements sociaux.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement?

M. le secrétaire d’État au budget et à la réforme budgétaire. Même avis.

Projet de loi de finances pour 2005 (19 novembre 2004)

Madame la Présidente,
Monsieur le ministre,
Mes chers Collègues,

Je veux à nouveau évoquer dans cet hémicycle le problème de la vente « à la découpe », cette initiative malheureuse des bailleurs institutionnels qui, depuis déjà quelque temps, plutôt que de rénover un parc ancien, profitent des niveaux élevés du marché pour procéder à des ventes massives de logements.

Ainsi, on assiste depuis maintenant trois ans à une multiplication de congés à visée spéculative, qui ont pris une telle ampleur que, selon la plupart des spécialistes du marché immobilier, ils contribuent directement à accentuer la flambée des prix.

Ces opérations ont évidemment pour conséquence l’éviction des habitants qui ne peuvent pas assumer l’inévitable augmentation des loyers qui suit la mise en vente, et peuvent encore moins racheter leur logement, c’est-à-dire les classes moyennes et les locataires de condition modeste.

En 2004 comme en 2003, ces ventes à la découpe ont concerné 15 % des 40.000 ventes de logements enregistrées à Paris, mais ce phénomène touche bien d’autres communes. Au total, 30.000 logements ont subi ce type d’opération à Paris.

Si on en croit les études des organismes spécialisés, il n’y a aucune raison pour que ce phénomène cesse ; il devrait même s’amplifier dans les années à venir si rien n’est fait pour l’enrayer, ce qui est l’objectif de cet amendement.

Si les « beaux » quartiers sont touchés, d’autres quartiers, qu’on dit plus populaires, mais qui sont aussi beaux, sont désormais concernés dans le 11ème, le 12ème, le 18ème ou le 19ème arrondissement. J’ai déjà évoqué il y a peu dans cet hémicycle le cas exemplaire du 39 bis, rue de Montreuil, dans le 11ème arrondissement, ou de la résidence des Arquebusiers, dans le 3ème arrondissement.

Les conséquences sont très négatives pour Paris et ses habitants, ainsi que pour de nombreuses communes. Le départ des habitants est non seulement source de difficultés personnelles, notamment pour les personnes âgées, mais il compromet également, par son ampleur, la mixité sociale – laquelle, on le sait, est source d’harmonie sociale et d’équilibre – en déséquilibrant les quartiers.

Concernant la protection des locataires, un accord collectif signé par les opérateurs immobiliers et qui tente d’organiser les procédures de congé vente a été conclu en 1998. Malheureusement, cet accord n’est pas contraignant et n’impose que des délais courts qui, la plupart du temps, ne permettent pas de protéger efficacement les locataires.

De leur côté, en effet, les marchands de biens disposent – tenez-vous bien ! – de quatre ans pour réaliser leur opération à compter de la première acquisition. Le temps joue donc en leur faveur, et ce au détriment des locataires.

Afin de rééquilibrer la situation, cet amendement propose de ramener à un an au lieu de quatre ans le délai requis pour revendre, qui conditionne l’exonération de droits de mutation. Ce faisant, la contrainte de temps dans laquelle sera placé le marchand de biens l’obligera, pour réaliser la revente, à des concessions plus importantes au bénéfice des locataires.

Cet amendement vise à modérer la flambée spéculative induite par les opérations de vente à la découpe et donc à permettre une détente générale sur les prix de l’immobilier, ce que tout le monde souhaite ici. De façon indirecte, cette détente sera également favorable aux locataires occupant les logements concernés, qui seront plus fréquemment en situation d’acquérir leur logement, de fait plus abordable.

Enfin, l’adoption de cet amendement permettrait de lutter contre la disparition du parc locatif, accélérée par les ventes à la découpe.

J’ai présenté à nouveau cet amendement, légèrement modifié, car le rapporteur général et le ministre l’avaient accueilli très favorablement. Un temps de réflexion avait été demandé ; nous l’avons eu. Vu l’urgence, il faut à présent que notre assemblée délibère.

L’amendement 192 a été adopté.

Proposition de loi renforçant les protections des locataires victimes de ventes à la découpe (n°2125 – 3 mars 2005)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La crise actuelle du logement atteint désormais les proportions d’une véritable crise de société. Si elle touche prioritairement nos concitoyens les plus modestes, elle frappe également les classes moyennes. Parmi toutes les conséquences dramatiques de cette crise, le problème de la vente à la découpe a récemment retenu l’attention de l’opinion publique.
Apparu à la fin des années 1990, le phénomène de la vente à la découpe consiste pour un bailleur institutionnel à céder à un marchand de biens ou à un fonds de pension tout un immeuble que ceux-ci revendent ensuite – à la découpe – appartement par appartement. Cette pratique a pris depuis quelques mois une ampleur qui justifie et rend urgente l’intervention du législateur. En effet, les locataires touchés ne sont plus seulement quelques résidents des plus beaux quartiers parisiens ; ce sont désormais toutes les catégories sociales qui sont menacées, sur l’ensemble du territoire.
Ces opérations de vente à la découpe contribuent d’une part à alimenter la crise du logement en accentuant la flambée des prix de l’immobilier. D’autre part, elles remettent en cause la mixité sociale puisqu’elles ont pour conséquence l’éviction des classes moyennes et des locataires de condition modeste, qui n’ont pas les moyens de racheter leur logement ou de faire face à l’augmentation des loyers qui suit la mise en vente.
Des protections existent déjà, essentiellement contenues dans l’accord collectif de juin 1998. Mais elles sont insuffisantes car trop souvent contournées et laissent les locataires mal protégés face à ce phénomène. Surtout cet accord ne cherche qu’à protéger les personnes les plus vulnérables mais ne permet en rien d’endiguer le phénomène et ses conséquences négatives.
Seule la loi peut répondre à cet objectif, c’est l’objet de la présente proposition de loi.
Le titre Ier vise à mieux protéger le locataire
L’article 1er crée un régime particulier pour les bailleurs, grandes sociétés ou marchands de biens (les propriétaires personnes physiques n’étant pas concernés), qui mettent en vente par lots des immeubles de plus de 10 logements. Il s’inspire, en les renforçant, des protections prévues par l’accord conclu en 1998 et rendues obligatoires en 1999.
Sont protégées contre le congé pour vente toutes les personnes en situation de faiblesse ou de difficultés graves. Les critères sont alternatifs et ne se cumulent pas. Il suffit de répondre à l’un des critères. Les autres locataires bénéficient d’un délai supplémentaire par rapport à la situation actuelle.
Ne peuvent recevoir un congé pour vente de la part de ces grandes sociétés ou marchands de biens :
– Les locataires âgés de plus de 65 ans qui ne peuvent évidemment pas emprunter pour acheter leur logement ;
– Ceux dont les ressources sont inférieures à 80 % des plafonds PLI et dont les possibilités financières sont insuffisantes pour acquérir leur logement ;
– Ceux placés dans une situation de difficulté grave dûment justifiée. Sont reprises ici les différentes situations énumérées dans l’accord de 1998 : soit un état de santé présentant un caractère de gravité reconnue, soit un handicap physique, soit une dépendance psychologique établie.
Pour les autres locataires, un délai supplémentaire de trois ans est prévu par le texte pour leur permettre de rechercher dans des conditions plus favorables une autre solution de logement, compte tenu notamment des délais pour l’obtention d’un logement social ou pour une acquisition moins coûteuse.
L’article 2 porte de deux mois à quatre mois les délais prévus pour l’exercice du droit de préemption dont bénéficie le locataire. L’article 3 fait de même pour les délais offerts au locataire en cas de congé pour vente.
L’article 4 instaure l’obligation, à la charge et aux dépens du bailleur, de faire établir un audit contradictoire. Le bailleur supporte également l’obligation de financer les travaux identifiés par l’audit qui découlent d’obligations légales.
Les articles 5, 6 et 7 renforcent les protections du locataire qui occupe un logement racheté par une personne physique. L’introduction d’une réduction de droits de mutation pour l’acquéreur (qui ne bénéficie pas des effets de la délivrance d’un congé vente par le précédent bailleur) est conditionnée à l’engagement de ne pas délivrer de congé au locataire. Enfin, le locataire qui avait conclu un bail de six ans avec une personne morale et dont le logement est vendu à une personne physique continue à bénéficier de renouvellements de six ans.
L’article 8 instaure une décote, fonction de l’ancienneté dans les lieux, au bénéfice du locataire qui souhaite acheter le logement qu’il occupe. Cette décote est plafonnée à 30% du prix du bien vendu à un autre acheteur.
Le titre II réglemente l’activité de marchand de biens
L’article 9 définit enfin l’activité de marchand de biens, comme le recommandait un rapport administratif de 1991, afin de la moraliser par des règles déontologiques.
L’article 10 énonce les conditions pour exercer cette activité :
– un capital social minimum ;
– un ratio de fonds propres ou une caution bancaire ;
– une garantie financière pour le cas où le marchand de biens reçoit des fonds avant la livraison du bien ;
– les assurances et garanties normales en matière de responsabilité civile professionnelle, de bonne fin des opérations, de bonne réalisation des travaux ;
– enfin tout logement vendu par un marchand de biens doit être en état décent.
Des sanctions dissuasives sont prévues en cas de non-respect de ces règles (interdiction d’exercer, dissolution de la société, amende pénale).
En revanche, des dispositions particulières sont prévues pour les organismes sociaux qui s’occupent de redresser des copropriétés en difficulté.
L’article 11 réserve la possibilité d’utiliser le congé pour vente pour les véritables bailleurs de logements.
Le marchand de biens ne peut donc plus l’utiliser, sauf lorsqu’il possède un logement depuis six ans, durée d’un bail conclu par une personne morale, et qu’il fait ainsi la démonstration qu’il s’est engagé sur le long terme.
Les bailleurs personnes physiques ne sont naturellement pas concernés, ni les personnes morales qui se contentent de louer des logements. Seules sont concernées par cette exception les sociétés qui bénéficient du statut de marchands de biens.
L’article 12 prolonge l’amendement adopté en loi de finances pour 2005, à l’initiative des députés socialistes, consistant à ramener le délai d’exonération des droits de mutation bénéficiant aux personnes utilisant le régime fiscal des marchands de biens à un an, lorsqu’il s’agit d’une vente à la découpe. Le délai conditionnant l’exonération serait fixé à quatre ans lorsqu’un engagement serait pris de ne pas utiliser le congé pour vente. Il serait porté à six ans pour les organismes sociaux qui s’occupent de redresser les copropriétés en difficulté.
Le titre III précise et pérennise l’accord national conclu en 1998 qui est favorable aux locataires
Cet accord prévoit une information des locataires et des protections minimales. Les articles 13 et 14 précisent que le champ de l’accord porte sur tous les immeubles de plus de 10 logements quels que soient l’occupation et le statut de location des logements ; ils maintiennent l’obligation d’appliquer l’accord au nouveau propriétaire.
Le titre IV instaure des sanctions dissuasives en cas de non-respect du texte
Des sanctions s’appliquent lorsque le marchand de biens ne respecte pas la loi de 1989 sur les relations bailleurs locataires, les règles du permis de démolir, les règles relatives aux travaux dans des logements locatifs occupés.
Le titre V organise le rôle du maire
Celui-ci apparaît de plus en plus comme en charge des problèmes de logement, notamment à travers son obligation de disposer sur sa commune de 20 % de logements sociaux, le permis de construire, le permis de démolir.
Le bailleur qui vend par lots un immeuble de plus de 10 logements doit informer le maire et les locataires au moins trois mois avant la mise en copropriété. Si un tiers des locataires refuse l’acquisition de leur logement, ils peuvent demander au maire l’organisation d’une enquête publique. Pendant cette enquête, la mise en copropriété ne peut intervenir. Après résultats de l’enquête et en cas de pénurie de logements locatifs dûment justifiée, le maire peut par arrêté suspendre la mise en copropriété jusqu’à ce que le vendeur démontre qu’il maintient un nombre suffisant de logements en statut locatif.
Le titre VI prévoit les mesures transitoires
L’urgence sociale commande que les nécessaires nouvelles protections prévues par la présente loi s’appliquent le plus tôt possible au plus grand nombre possible de victimes de la découpe. Par respect pour le principe d’égalité, il convient en outre de s’assurer que les nouvelles protections prévues par la présente loi bénéficieront à l’ensemble des locataires concernés par une même opération de découpe.
Ainsi, les dispositions de la présente loi s’appliquent aux opérations en cours mises en œuvre dans les conditions visées à l’article 11-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. Une opération en cours est une opération relative à un immeuble dans lequel au moins un lot n’a pas fait l’objet d’une vente.
Afin de prévenir toute contestation, lorsque l’entrée en vigueur de la présente loi entraîne l’annulation d’une transaction, les protections qu’elle prévoit ne s’appliquent que si elles sont plus favorables pour le locataire. C’est le cas notamment lorsque la décote prévue par la loi est plus importante que l’éventuelle ristourne concédée au locataire qui aurait acheté son logement.
Bien évidemment, même si l’entrée en vigueur de la loi peut intervenir rapidement dès lors que le Gouvernement l’inscrit prioritairement à l’ordre du jour et selon la procédure d’urgence, un certain laps de temps sera néanmoins nécessaire. C’est la raison pour laquelle un moratoire sur les opérations de ventes à la découpe est plus que jamais nécessaire, de façon complémentaire et indissociable à cette proposition de loi.
Le titre VII prévoit que ces dispositions sont d’ordre public

PROPOSITION DE LOI

TITRE Ier
DE LA PROTECTION DES LOCATAIRES

Article 1er
Après le dernier alinéa du III de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation aux alinéas précédents, lorsque le bailleur vend par lots un immeuble de plus de dix logements, que ces logements soient loués ou non et quel que soit leur statut locatif, il ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l’égard de tout locataire âgé de plus de 65 ans ou dont les ressources sont inférieures ou égales à 80 % des plafonds de ressources prévus à l’article R. 391-8 du code de la construction et de l’habitation, ni à l’égard de tout locataire placé dans une situation de difficulté grave dûment justifiée telle qu’un état de santé présentant un caractère de gravité reconnue, un handicap physique ou une dépendance psychologique établie. Pour les autres locataires, le congé pour vendre le logement ne peut être donné avant un délai de trois ans après la mise en copropriété de l’immeuble et l’individualisation du lot qu’ils occupent. »

Article 2
Le I de l’article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation est ainsi modifié :
1° Dans le troisième alinéa les mots : « deux mois » sont remplacés par deux fois, par les mots: « quatre mois » et les mots : « quatre mois » sont remplacés par les mots : « six mois » ;
2° Dans le dernier alinéa les mots : « deux mois » sont remplacés par les mots : « quatre mois » et les mots : « quatre mois » sont remplacés par les mots : « six mois ».

Article 3
Après le troisième alinéa du II de l’article 15 de la loi n° 89-462 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la vente est mise en œuvre dans les conditions visées à l’article 11-1, les délais de deux mois visés au premier et au troisième alinéa du présent II sont portés à quatre mois et le délai de quatre mois visé au troisième alinéa est porté à six mois. »

Article 4
Lorsque la vente est mise en œuvre dans les conditions visées à l’article 11-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, toute offre de vente doit avoir été précédée d’un audit établi de façon contradictoire avec le locataire ou une association représentative au sens de l’article 44 de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière. Les dépenses afférentes à cet audit sont à la charge du bailleur.
Les dépenses de travaux de mise aux normes et de sécurité qui relèvent d’obligations légales ou réglementaires, qui doivent être effectués dans les trois années suivant l’année de réalisation de l’audit, sont à la charge du bailleur.

Article 5
En cas de vente d’un logement occupé et lorsque l’acquéreur personne physique s’engage à ne pas donner congé pour reprendre ou pour vendre le logement pendant une période de six ans, les droits et taxes de mutation visés à l’article 1594 A du code général des impôts sont réduits à 1 % de l’assiette imposable. En cas de départ du locataire pendant cette période de six ans, la réduction est diminuée d’un sixième par année de bail non accomplie par le locataire.

Article 6
Lorsqu’un congé pour vendre le logement a été donné par un bailleur et que le logement, après le refus par le locataire de l’offre de vente, est vendu occupé, le nouveau bailleur ne peut invoquer à son profit le congé donné par le vendeur.

Article 7
En cas de vente d’un logement occupé, le locataire qui bénéficie d’un bail de 6 ans renouvelable par périodes de six ans continue à bénéficier de renouvellements de la même durée quel que soit le secteur locatif du bailleur acquéreur.

Article 8
I. – Le I de l’article 10 de la loi n° 75-1351 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque la vente est mise en œuvre dans les conditions visées à l’article 11-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, le prix proposé comporte une décote minimum de 10 % par rapport au prix de l’appartement vendu libre de toute occupation, à laquelle est ajoutée une décote de 2 % minimum par année de présence du locataire ou de l’occupant, sans que la décote totale puisse dépasser 30 % du prix de l’appartement vendu libre. » ;
2° Dans la première phrase de l’avant-dernier alinéa, après les mots : « pour l’acquéreur », sont insérés les mots : « que celui notifié au locataire ou à l’occupant de bonne foi en application du premier alinéa du présent I ».
II. – Le II de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, est ainsi modifié :
1° Après la première phrase du premier alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque la vente est mise en œuvre dans les conditions visées à l’article 11-1, le prix proposé comporte une décote minimum de 10 % par rapport au prix de l’appartement vendu libre de toute occupation, à laquelle est ajoutée une décote de 2 % minimum par année de présence du locataire ou de l’occupant, sans que la décote totale puisse dépasser 30 % du prix de l’appartement vendu libre. » ;
2° Dans la première phrase du quatrième alinéa, après les mots :  » pour l’acquéreur « , sont insérés les mots : « que celui notifié au locataire ou à l’occupant de bonne foi en application du premier alinéa du présent II ».

TITRE II
DE L’ACTIVITÉ DE MARCHANDS DE BIENS

Article 9
Toute personne pratiquant habituellement l’acquisition de biens immobiliers affectés en tout ou partie à l’habitation ou l’acquisition de logements, d’actions ou de parts de sociétés immobilières possédant des logements, en vue de leur revente dans un délai inférieur à six ans, à hauteur de plus de deux reventes par an, exerce l’activité d’intermédiaire commercial dénommée activité de marchand de biens.

Article 10
Un décret en conseil d’Etat fixe les conditions d’exercice de l’activité de marchand de biens dans le domaine mentionné à l’article précédent concernant le logement.
Il fixe en particulier le montant minimum du capital social pour les personnes morales, un ratio de fonds propres et, le cas échéant, éventuellement une garantie financière proportionnelle à la valeur des actifs immobiliers possédés ou ayant donné lieu à signature d’un acte ou document contractuel engageant le marchand de biens à les acquérir, le mode de calcul de la garantie financière nécessaire lorsque le marchand de biens reçoit des fonds des acquéreurs avant livraison du bien, les modalités d’assurance en matière de responsabilité civile professionnelle et les garanties relatives à la bonne fin des opérations et à la bonne réalisation des travaux. Tout logement vendu par un marchand de biens doit être décent au sens de l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.
Le non-respect de ces obligations entraîne interdiction d’exercer l’activité de marchand de biens pour les personnes morales et pour les personnes physiques exerçant une fonction d’administration ou de direction de l’activité, la dissolution de la personne morale et le paiement d’une amende pénale de 100 000 euros.
Le décret fixe les conditions particulières d’exercice de cette activité pour les organismes à vocation sociale ayant pour but le redressement des copropriétés en difficulté.

Article 11
Le congé pour vendre le logement mentionné à l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ne peut être donné que par un bailleur de logements n’exerçant pas l’activité d’intermédiaire commercial dénommée activité de marchands de biens. Toutefois le congé pour vente peut être donné par le marchand de biens lorsque l’acquisition du logement date de plus de la durée d’un bail conclu par une personne morale.

Article 12
Le dernier alinéa de l’article 1115 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Après les mots : « à usage d’habitation ou », sont insérés les mots : « susceptibles de déclencher » ;
2° Les mots : « deux ans » sont remplacés par les mots et deux phrases ainsi rédigés : « un an. Toutefois ce délai est porté à quatre ans en cas d’engagement de vendre sans utiliser le congé pour vendre le logement mentionné à l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée. Ce délai est porté à six ans pour les organismes à vocation sociale ayant pour but le redressement des copropriétés en difficulté. »

TITRE III
DES ACCORDS NATIONAUX
ENTRE BAILLEURS ET LOCATAIRES

Article 13
Lorsqu’un accord national entre organisations de bailleurs et de locataires est conclu au titre de l’article 41 ter de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière, il est appliqué à toutes les ventes d’immeubles comportant plus de 10 logements, que ces logements soient loués ou non et quel que soit, en cas de location, leur statut locatif.

Article 14
Lorsqu’un accord national mentionné à l’article précédent est conclu, ses dispositions non contraires à la présente loi restent applicables à l’occupant et au nouveau bailleur en cas de cession à un bailleur appartenant à un autre secteur que celui ou ceux concernés par l’accord.

TITRE IV
SANCTIONS

Article 15
Lorsque le marchand de biens exerçant son activité dans le champ du logement tel que défini à l’article 9 de la présente loi ne respecte pas de manière grave et répétée les dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée, les règles relatives au permis de démolir ou les textes applicables en cas de travaux dans des logements locatifs occupés, notamment la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation, il peut être condamné aux sanctions prévues au troisième alinéa de l’article 10 de la présente loi.

Article 16
Le non-respect des articles 1er, 2, 3, 4, 8, 11, 13 et 17 de la présente loi entraîne nullité du congé pour vente.

TITRE V
DE LA DÉFENSE DE L’INTÉRÊT PUBLIC
PAR LES ÉLUS

Article 17
Lorsqu’un bailleur décide de mettre en vente un immeuble dans les conditions prévues à l’article 5, il en informe le maire et les locataires au moins trois mois à l’avance. Si pendant cette période un tiers au moins des locataires refuse d’acquérir leur logement, ils peuvent demander au maire l’organisation d’une enquête publique. La mise en copropriété ne peut intervenir avant la fin de l’enquête publique. A la suite de cette enquête et en cas de situation de pénurie de logements locatifs dûment justifiée sur le territoire de la commune, le maire peut prendre un arrêté suspendant la mise en copropriété jusqu’à justification par le bailleur du maintien en statut locatif d’un nombre suffisant de logements de l’immeuble.

TITRE VI
MESURES TRANSITOIRES

Article 18
Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux opérations en cours mises en œuvre dans les conditions visées à l’article 11-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée. Une opération en cours est une opération relative à un immeuble dans lequel au moins un lot n’a pas fait l’objet d’une vente.
Lorsque l’entrée en vigueur de la présente loi entraîne l’annulation d’une transaction, les protections qu’elle prévoit ne s’appliquent que si elles sont plus favorables pour le locataire.

TITRE VII
ORDRE PUBLIC

Article 19
Les dispositions de la présente loi sont d’ordre public.

TITRE VIII
DISPOSITIONS FINANCIÈRES

Article 20
Les pertes de recettes éventuelles qui résulteraient pour les collectivités locales de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement et de la dotation générale de décentralisation.
Les charges éventuelles et les pertes de recettes qui résulteraient pour l’Etat de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Discussion de la proposition de loi visant à protéger les locataires victimes de ventes à la découpe (10 mai 2005) – Intervention de Patrick BLOCHE

Monsieur le président,
monsieur le ministre,
monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur,
mes chers collègues,

si la crise actuelle du logement touche prioritairement nos concitoyens les plus modestes, elle frappe également les classes moyennes. Parmi toutes les causes régulièrement évoquées, le phénomène de la vente à la découpe, apparu au cours des années quatre-vingt-dix, a pris depuis quelque temps une ampleur inquiétante.

Les conséquences de la vente à la découpe sont brutales et dramatiques pour les locataires qui sont le plus souvent placés dans l’impossibilité de conserver leur logement. Sont ainsi évincées des personnes qui ne peuvent racheter leur habitation ou faire face à l’augmentation inévitable du loyer qui suit la vente. Ces opérations spéculatives alimentent la crise du logement en accentuant la flambée du prix de l’immobilier et celle des loyers.

Ce phénomène frappe désormais partout et il a pris une telle ampleur en si peu de temps que la mixité sociale est aujourd’hui menacée dans de nombreuses villes, et dans plus d’un quartier des plus importantes d’entre elles. Vous avez vous-même, monsieur le ministre, cité à titre d’illustration la ville de Villeneuve-d’Ascq située dans un département qui vous est cher. Parler de mixité sociale, mes chers collègues, c’est refuser une logique inexorable qui conduirait à ce que nos cités ne puissent être habitées à terme que par les plus aisés ou les plus aidés.

Selon une étude de la chambre des notaires d’Île-de-France citée par notre rapporteur, en 2004, 6 378 logements ont été vendus à la découpe à Paris, soit 15 % de l’ensemble des ventes dans l’ancien. En trois ans, les ventes à la découpe ont augmenté de près de 50 % et les premières données pour 2005 indiquent que le mouvement continue à s’amplifier. Il est également significatif de noter que, l’année dernière, l’arrondissement parisien le plus touché a été le xixe, loin de l’idée fausse, largement véhiculée, que les classes aisées des beaux quartiers, personnalités people en tête, seraient principalement touchées.

Il y a donc une urgence sociale que traduit la mobilisation croissante des associations de locataires « découpés », mobilisation que le groupe socialiste a souhaité relayer au sein même de l’hémicycle dès l’automne dernier.

Ainsi, le 22 octobre et le 19 novembre derniers, dans le cadre de la discussion budgétaire, nous prenions l’initiative de déposer un amendement visant à réduire de quatre à un an – deux ans, finalement, après la réunion de la commission mixte paritaire – le délai de revente permettant à un marchand de biens de bénéficier de l’exonération des droits de mutation lorsqu’il procède à une vente par lots. L’adoption à l’unanimité, par notre assemblée, d’un amendement présenté par l’opposition, comme les propos tenus alors par notre collègue Gilles Carrez et par Dominique Bussereau, au nom du Gouvernement, étaient à la fois un signe politique fort et un encouragement à aller plus loin dans la protection des locataires victimes de ventes à la découpe.

Las ! six mois plus tard, force est de constater qu’il ne s’est strictement rien passé ! Vous avez, monsieur le ministre, manifestement fait le choix funeste de vous cantonner dans le registre des intentions et des effets d’annonce répétés pour gagner du temps.

C’est apparemment une tactique habituelle de votre gouvernement, à laquelle il recourt dans bien des domaines, en particulier pour les intermittents du spectacle. Près de deux ans après le début du conflit, rien n’est encore réglé !
Encore faut-il,, pour être juste, porter au crédit du ministre de la culture les mesures transitoires qu’il a prises pour limiter les conséquences d’un accord légitimement contesté. Or, s’agissant des ventes à la découpe, même le minimum, sous la forme d’un moratoire demandé par le maire de Paris, Bertrand Delanoë, dès le 16 janvier dernier, n’a pas été fait. Aurai-je la cruauté, monsieur le ministre, de rapporter ici la réponse de votre collègue Gérard Larcher à une question qui a été posée au Sénat le 27 janvier par Roger Madec : « Si nous n’avons pas choisi la voie du moratoire, c’est que ce gouvernement n’entend pas différer les problèmes mais les régler. Voilà pourquoi, dans les semaines qui viennent, nous réglerons ce dossier. » ? Les semaines ont passé et le dossier n’est pas réglé.

Plus inacceptable à notre point de vue, vous n’avez pas commencé à le régler !

Au prétexte d’agir plus rapidement qu’en légiférant, vous avez, depuis le début de l’année, donné la priorité à la voie conventionnelle. Pourtant, l’échec était prévisible dès le départ.

Dès le début du mois de février, monsieur le ministre, vous mettiez sur le devant de la scène médiatique un accord qui n’en était pas un, puisqu’une majorité d’associations de locataires siégeant à la Commission nationale de concertation refusait de le signer. Le texte, il est vrai, se contentait de faire du neuf avec du vieux en toilettant des dispositions déjà prévues dans l’accord collectif de 1998, ou par la jurisprudence. La montagne a accouché d’une souris et, il y a quinze jours, vous avez dû tirer vous-même les leçons de votre échec annoncé en indiquant que l’accord du 16 mars ne serait pas étendu par décret.

Vous évoquez aussi régulièrement le serpent de mer de la loi « habitat pour tous », notamment dans les réponses aux questions qu’Annick Lepetit, Tony Dreyfus et moi-même vous avons posées, au nom du groupe socialiste, le 26 janvier, le 23 mars et le 5 avril.

Dans un premier temps, à l’occasion de la présentation des vœux pour 2005, vous avez annoncé que le projet de loi serait présenté au conseil des ministres du 19 janvier puis, lors d’une conférence de presse le 3 février, au mois d’avril. Le 26 de ce mois vous avez repoussé l’échéance à la mi-juin et le 4 mai, vous indiquiez enfin que le projet de loi serait transmis incessamment au Conseil d’État.

Alors que personne aujourd’hui ne conteste que les dispositions légales et conventionnelles existantes ne permettent pas de résoudre le problème des ventes à la découpe, vous comprendrez aisément, monsieur le ministre, chers collègues de l’UMP, que les associations de locataires « découpés » et, avec elles, les parlementaires de l’opposition puissent légitimement perdre patience !

D’où l’initiative, que vous ne pouvez pas contester, prise par le parti socialiste d’inscrire cette proposition de loi, présentée dès le 16 février dernier, dans la première niche parlementaire dont il dispose au cours du premier semestre 2005.

La réaction de la majorité de notre assemblée est malheureusement identique à celle que nous avons connue lors de l’examen du projet de loi de cohésion sociale en décembre dernier. Deux amendements identiques, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition, introduisant une décote au bénéfice du locataire « découpé » souhaitant acheter son logement, avaient été adoptés à l’unanimité en commission des affaires sociales sur la proposition de Mme de Panafieu, rapporteure du volet logement de ce projet de loi – vous vous en souvenez sans doute, mes chers collègues. Mais, en séance, volte-face : Mme de Panafieu retire son amendement, je suis désolé de le rappeler, pour mieux faire repousser celui du groupe socialiste.

Quand l’intérêt général est en jeu, on ne peut agir avec une telle légèreté et demander une nouvelle fois d’attendre ! Jusqu’à quand ?
Le 16 juin, dans sa sixième niche parlementaire depuis le début de l’année, le groupe UMP, si l’on en croit son président, présentera la proposition de loi de Martine Aurillac, dont l’intitulé, sociologiquement représentatif des deux arrondissements qui l’ont élue – « Droit de préemption des locataires en cas de vente d’un immeuble » – révèle que n’y est traité qu’un des aspects du problème, que notre proposition de loi aborde dans son article 8.

Pourquoi ce nouveau retard ? Faut-il chercher une autre raison qu’un refus politicien – je pèse mes mots – de la majorité de notre assemblée de discuter des articles d’une proposition de loi, pour le seul motif qu’elle émane de l’opposition ? Ce manque de volonté, affiché par le Gouvernement et le groupe UMP, de légiférer ne révèle-t-il pas une contradiction plus profonde ?
Afin d’illustrer ma perplexité – je serai bref, monsieur le président – je prendrai un cas exemplaire : c’est celui, que je connais particulièrement bien et que notre rapporteur a cité, de la résidence du 39 bis rue de Montreuil, dans le 11e arrondissement de Paris.

Construite en 1987 et gérée, jusqu’à sa vente, par la Caisse des dépôts et consignations, elle a été financée par les fonds du 1% logement : elle avait donc pour vocation de fournir du logement locatif intermédiaire aux classes moyennes. Or, cette résidence, rachetée au prix de 3.127 euros le mètre carré en 2004 et découpée par une filiale du Crédit foncier, a été revendue neuf mois plus tard à 4 557 euros le mètre carré, soit une plus-value de près de 50%! Cette opération, malheureusement classique dans sa dimension spéculative, l’est moins en ce qui concerne ses acteurs principaux, à savoir la Caisse de dépôts et consignations et le Crédit foncier, qui contribuent ainsi au développement des ventes à la découpe, alors qu’ils sont censés prêter leur concours aux pouvoirs publics dans leur politique du logement.

On est alors en droit de se demander si les ventes à la découpe ne seraient pas le nouveau modèle de financement du logement social. Celui-ci ne serait plus financé par des apports annuels de fonds publics, qui font d’ailleurs aujourd’hui cruellement défaut, mais par les locataires eux-mêmes, en pratiquant la vente à la découpe du parc de logements à vocation sociale arrivé à maturité !

Pour lever toute ambiguïté, la seule solution est de nous reporter à ce que, monsieur le ministre, vous m’aviez répondu le 26 janvier dernier dans cet hémicycle : le dossier des ventes à la découpe est « une grande cause qui nous rassemble ».

Cette « grande cause » nous incite à ne pas suivre la commission des lois et à passer à la discussion des articles de notre proposition de loi. Craignez, sinon, que le mot d’ordre des dizaines de milliers de locataires concernés ne soit, demain, « la découpe est pleine » !

Débat au sujet de la proposition de loi déposée par Martine AURILLAC et le groupe UMP sur le droit de préemption des locataires victimes de ventes à la découpe (14 juin 2005) – Intervention de Patrick BLOCHE

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me garderai bien de suivre l’exemple de notre collègue Pierre Lellouche en tenant des propos hors sujet, les réservant à d’autres enceintes, comme vient de l’indiquer notre président.

J’en viens, mes chers collègues, au sujet qui nous occupe ce matin. Je commencerai en évoquant, si vous me le permettez, mon agenda de député de Paris.

Vendredi dernier, à dix-sept heures, je me trouvais à l’hôtel de ville, dans le bureau de Jean-Yves Mano, adjoint au logement, avec les locataires du 39 bis, rue de Montreuil, dans le 11e arrondissement, qui symbolise à bien des égards le combat des locataires « découpés ».

Une heure plus tard, je rejoignais ma permanence à la mairie du 11e pour mon premier rendez-vous, avec des locataires des 20 et 24, rue de Charonne, toujours dans le 11e arrondissement, où vingt-trois logements sont touchés par une opération de vente à la découpe.
Le lendemain, c’est-à-dire samedi, je rencontrais les locataires « découpés » des 56, 58 et 70, boulevard de Charonne. Et je n’oublie pas ceux du 259, boulevard Voltaire, ni ceux du 42, rue de Chaligny, à la limite de ma circonscription, ni bien entendu toutes les opérations de vente à la découpe, à Paris et hors de Paris, puisque nous savons toutes et tous que ce phénomène touche un nombre important de villes dans notre pays.
Comment ignorer ici, ce matin, que la situation est aujourd’hui explosive ?

Et comme vous, mes chers collègues, quand vous rencontrez des locataires victimes de ces découpages, je lis sur leur visage la même inquiétude, la même angoisse, le même désarroi. Ce sont des femmes, des hommes, des enfants, car beaucoup de familles sont touchées. Quant aux plus anciens, ceux qui sont là depuis vingt ou trente ans et qui sont souvent âgés de plus de soixante ans, ils me disent qu’ils sont trop vieux pour bénéficier d’un prêt bancaire qui leur permettrait d’acheter leur appartement.

Ces locataires « découpés » n’ont même pas, eux, la possibilité d’exercer leur droit de préemption car, lorsque le prix du mètre carré est de 4 500, 5 000 ou 5 500 euros, il est clair pour eux qu’ils ne peuvent pas acheter leur logement.

Ils craignent en outre la hausse du loyer consécutive au congé-vente qui interviendra lors du renouvellement de leur bail, car leur loyer représente déjà, compte tenu de la baisse du pouvoir d’achat, 40, 45, voire 50 % de leur revenu actuel, qui est le plus souvent modeste ou moyen.

Voilà la réalité sociologique des ventes à la découpe ! Dois-je vous rappeler, monsieur Lellouche, ce que nous avons dit le 10 mai, à savoir que l’arrondissement le plus touché de Paris n’est pas le 8e, mais le 19e?

Malgré leur mobilisation dans des collectifs de locataires, soutenus par les grandes fédérations nationales, les locataires se posent tous les mêmes questions : où pourrai-je me loger demain ? Pourquoi dois-je quitter mon quartier, ma ville, où je réside depuis plusieurs décennies, parfois depuis toujours ? Qui assurera la mixité sociale dans mon quartier après mon départ ?

À cette inquiétude s’ajoute depuis une quinzaine de jours une interrogation nouvelle. Et c’est un militant acharné du oui au référendum sur le traité constitutionnel européen qui vous la rapporte ici : le chef de l’État et son nouveau gouvernement tireront-ils aussi les leçons du 29 mai, comme ils l’ont proclamé pour l’emploi, dans le domaine du logement ? Voilà la question qui m’a été posée au cours des quinze derniers jours!

« Monsieur le député, il y a un nouveau débat sur la vente à la découpe le 14 juin à l’Assemblée nationale. Est-ce que le Gouvernement, est-ce que la majorité de l’Assemblée nationale tireront les leçons du 29 mai ? Ils disent vouloir les tirer dans le domaine de l’emploi. Vont-ils les tirer dans le domaine du logement ? Va-t-il y avoir un signe – enfin – pour que la loi change et que les locataires, aujourd’hui touchés, puissent enfin être protégés ? » : voilà ce que l’on me demande.
Chers collègues, en nous retrouvant ce matin, comment ne pas constater – une nouvelle fois – l’immense temps perdu ?

Je me souviens de l’espoir que nous avions fait naître, à l’automne, lors de la discussion budgétaire, en modifiant la fiscalité relative aux marchands de biens, et ce avec l’aide du rapporteur général du budget, M. Carrez, et avec, sinon la bénédiction, du moins la sagesse exprimée par M. Bussereau, alors secrétaire d’État au budget.

Mais, depuis cette modification du code général des impôts au mois de novembre, il ne s’est rien passé, nous n’avons pas touché la loi ! Or nous savons tous et toutes ici que, si nous ne touchons pas la loi, les locataires aujourd’hui frappés par les opérations de vente à la découpe ne pourront pas être efficacement protégés.

Or ce que vous nous proposez ce matin, qui n’est plus la proposition de loi de Mme Aurillac tant elle a été réécrite, ne concerne qu’un tiers des locataires ! Vous oubliez les deux tiers de locataires qui, touchés par des ventes à la découpe, ne peuvent racheter leur logement !

De fait, chers collègues, vous nous proposez un dispositif inadapté, très en retrait de ce qu’il faudrait faire et même régressif s’agissant de la négociation des conventions collectives entre bailleurs et locataires.

Une chance s’offrait à vous. Vous ne l’avez pas saisie le 10 mai quand nous avons présenté notre proposition de loi pour laquelle vous avez refusé le passage à la discussion des articles. Ce matin, nous allons passer à la discussion des articles. Le groupe socialiste a déposé de nombreux amendements visant à protéger les locataires victimes de ventes à la découpe et qui ne peuvent racheter leur logement, afin de maintenir leur présence dans les lieux qu’ils occupent, quelquefois depuis longtemps.
Il est donc temps de nous saisir de l’arme de la loi, chers collègues. Il faut légiférer.

Eh bien ! Si c’est ce que nous faisons ce matin, je vous prends au mot, cher collègue : légiférons enfin, mais légiférons grâce aux amendements du groupe socialiste, légiférons vraiment, ici et maintenant !

Proposition de loi sur le droit de préemption et la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble (15 décembre 2005) – Intervention de Patrick BLOCHE

Discussion générale (1ère séance)

Monsieur le président,
madame la ministre,
mes chers collègues,

cela fait plus d’un an que l’Assemblée nationale s’est saisie du problème des ventes à la découpe en adoptant à l’unanimité un amendement que j’avais déposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2005. J’en profite pour remercier les députés de la majorité et notamment le rapporteur général du budget, Gilles Carrez, d’avoir soutenu ma proposition.
Cela fait plus de sept mois qu’à l’initiative des députés socialistes, le processus législatif relatif aux ventes à la découpe a commencé. Nous comprenons mal pourquoi, face à une situation d’urgence, la majorité semble traîner les pieds, voire, comme l’a déclaré notre collègue Annick Lepetit, « freiner des quatre fers ».
Il est pourtant urgent de légiférer efficacement sur le sujet, et non timidement, comme le propose l’UMP en prévoyant des mesures qui ne concernent pratiquement que les locataires qui peuvent acheter, alors que le problème posé par les ventes à la découpe est celui de l’éviction des deux tiers d’entre eux, qui ne peuvent pas acheter le logement qu’ils occupent.
Je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur les conséquences sociales désastreuses de ces pratiques qui alimentent la bulle spéculative et conduisent les banquiers centraux à siffler la fin de la « récréation ». Les ventes massives à la découpe déstabilisent des quartiers entiers, fragilisent les commerces de proximité et les services publics et portent gravement atteinte à la mixité sociale.
Je souhaite donc, aujourd’hui, faire prendre conscience à la représentation nationale du comportement de certains investisseurs institutionnels, notamment la Caisse des dépôts. Car ces opérateurs ne peuvent plus nier leur responsabilité sociale.
Le groupe Caisse des Dépôts, via ses multiples filiales, intègre tous les acteurs de la vente à la découpe. À tel point que sa filiale de commercialisation – la société Gemco – figure, selon le rapport parlementaire de notre collègue Decocq, parmi les plus gros découpeurs de France avec 1.000 logements vendus à la découpe en 2004 !
Si la multiplication des sociétés intervenant dans un processus de découpe se dissimule souvent derrière l’écran d’une société de marchand de biens, il est néanmoins possible, après un travail minutieux, d’en retracer le schéma. Vous me pardonnerez l’aspect un peu rébarbatif de ma démonstration, mais, pour être convaincant, je dois me montrer précis.
La société Sorege 3 a racheté douze immeubles ou ensembles d’immeubles début 2004. Parmi ces douze adresses, figure le 39 bis, rue de Montreuil, devenu emblématique des ventes à la découpe, et qui se trouve dans ma circonscription. Figure également un ensemble d’immeubles à Cachan, dont mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec connaît parfaitement la situation.
L’immeuble du 39 bis a été construit avec des fonds du 1% logement, sa vocation étant d’offrir du logement social intermédiaire aux classes moyennes. L’investisseur était la société HLI, dont deux filiales de la Caisse des dépôts – la CNP Assurances et le GFF – sont actionnaires. Ce même GFF est également le constructeur du 39 bis et en a assuré la gestion jusqu’en 2004.
Le 39 bis a d’abord été racheté par la société Soclim, filiale du Crédit foncier.
Le Crédit foncier, intégré dans le périmètre de consolidation comptable de la Caisse des dépôts, est détenu par la Caisse d’épargne, dont la Caisse des dépôts est l’actionnaire stratégique. Or, selon l’analyse du rapport parlementaire n° 2364 sur les ventes à la découpe, les bailleurs institutionnels ont pris la décision stratégique de se désengager de l’immobilier locatif. Une telle décision n’a donc pas pu être prise à l’insu de la Caisse des dépôts.
Le Crédit foncier est actionnaire à 50% de Sorege 3, qui est désormais propriétaire du 39 bis et dont le président est également gérant de la société Gestrim Transactions – filiale du groupe Perexia, détenu par le Crédit foncier – et directeur général adjoint de Foncier Conseil Développement, appartenant également au Crédit foncier. La société Gemco, chargée de la commercialisation du 39 bis, ainsi que la société Gestrimelec, qui gère le 39 bis depuis son rachat, appartiennent toutes deux au groupe Perexia, filiale, je le répète, du Crédit Foncier.
Derrière le Crédit foncier et le GFF, c’est donc bien le groupe Caisse des Dépôts qui est au coeur de cette vente à la découpe. C’est inacceptable !
Je souhaite en outre dénoncer le comportement inqualifiable des marchands de biens qui oeuvrent pour le compte du groupe Caisse des dépôts. La société Sorege 3 a en effet agi, que ce soit à Paris ou à Cachan, dans le plus grand mépris des habitants et a manqué de respect envers les municipalités en revenant sur la parole donnée et en violant les règles de protection des locataires actuellement existantes, ce qui justifie plus que jamais qu’on les améliore et que l’on renforce leur caractère contraignant.
Le groupe Caisse des dépôts, dont l’évolution vers une logique purement financière ne cesse d ‘inquiéter, y compris au sein de ses salariés, ne peut nier plus longtemps sa lourde responsabilité sociale. Que dire de ces 25.000 « déconventionnements » de logements sociaux en banlieue parisienne qui traduisent une autre facette des pratiques bien peu « sociales » de la Caisse des dépôts et augurent sans doute de futures ventes à la découpe ?
Il ne suffit pas d’objecter que le groupe Caisse des dépôts est dans son bon droit pour justifier des pratiques contraires à l’intérêt général et à la mixité sociale. Car la vocation de la Caisse des dépôts n’est pas d’imiter, notamment en matière de logement, le comportement de vulgaires fonds de pension. Elle ne peut se contenter d’afficher une vitrine sociale qui masquerait mal la réalité moins avouable de l’arrière-boutique, qui constitue aujourd’hui, hélas, l’essentiel de son activité. Telles sont les graves dérives que je souhaitais dénoncer à cette tribune.
Dans ce contexte, l’intervention du législateur est nécessaire et urgente, non seulement pour encadrer la pratique des ventes à la découpe et l’activité des marchands de biens, mais aussi pour renforcer la protection des locataires. Bien que le Sénat ait globalement amélioré un texte adopté dans l’improvisation à l’Assemblée nationale en première lecture, celui-ci reste très insuffisant et ne permet pas de maintenir la mixité sociale, objectif que certains semblent redécouvrir après les récents événements dans les banlieues. Jean-Yves Le Bouillonnec l’a largement expliqué dans son intervention.
Pour être juste, la loi devrait protéger tous les locataires et pas seulement ceux qui peuvent acheter, en permettant notamment le maintien des locataires sous statut locatif. Pour être efficace, elle devrait donner aux maires la capacité d’agir, soit en créant un permis de diviser, soit en rendant possible le recours à l’enquête publique en cas de demande citoyenne ou associative. Pour répondre à l’urgence sociale, la loi devrait s’appliquer aux opérations en cours, ce qui est possible sans aucune rétroactivité, comme l’a démontré la loi de 1989 validée par le Conseil constitutionnel. Car, chers collègues, pendant que nous débattons, les opérations de vente à la découpe se poursuivent ! J’ajoute que l’argument de la rétroactivité ne peut être pertinent qu’au regard de dispositions pénales. Or la loi n’en comporte aucune. J’en profite également pour rappeler que le maire de Paris a demandé un moratoire et que le Gouvernement ne lui a jamais répondu.
Madame Aurillac, il est vrai que l’adoption de votre proposition de loi aura le mérite de fixer un premier cadre législatif aux ventes à la découpe. Néanmoins, sur ce dossier d’urgence sociale, il faut aller plus vite et plus loin !

Discussion des amendements (2ème séance)

Amendement n°13
J’ai fait référence, lors de la discussion générale, à l’adoption à l’unanimité d’un amendement, dont j’étais l’auteur, au projet de loi de finances pour 2005. Grâce à la grande sagesse du Gouvernement et à la contribution active du rapporteur général du budget, M. Gilles Carrez, la loi de finances pour 2005 a réduit de quatre ans à deux ans le délai ouvrant droit à l’exonération de droits de mutation dont disposent les marchands de biens pour réaliser leurs opérations à compter de la première acquisition en cas de vente à la découpe. Cette disposition figure actuellement dans le code général des impôts.
Ce fut le premier acte fort marquant la volonté de la représentation nationale d’encadrer sur le plan législatif la vente à la découpe. Je ne reviens pas sur l’historique des épisodes suivants, que M. Le Bouillonnec se plaît à rappeler, et notamment pas sur le refus de la majorité de passer à la discussion des articles de notre proposition de loi, le 10 mars dernier.
Nous en sommes aujourd’hui à l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi de notre collègue Martine Aurillac. Cette proposition de loi, même si nous la jugeons insuffisante, a le mérite d’instaurer un nouveau droit de préemption, codifié dans un nouvel article 10-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation.
Pour parfaire ce travail législatif et lui donner toute la cohérence souhaitable, il convient d’éviter que le dispositif adopté en loi de finances pour 2005 ne devienne obsolète. Le présent amendement vise donc à ce que l’Assemblée adapte les dispositions de l’article 1840 G quinquies du code général des impôts afin que celui-ci mentionne expressément le nouveau droit de préemption que Mme Aurillac et ses collègues proposent d’adopter et prévoie un droit supplémentaire en cas d’application de ces dispositions.

(…)

Sans prétendre à une totale maîtrise du droit fiscal, ce que je sais de cette matière m’encourage à insister pour défendre mon amendement. Je veux d’abord souligner que je n’ai pas créé un délai de deux ans ouvrant droit à l’exonération de droits de mutation, mais simplement ramené, par un amendement, ce délai de quatre ans à deux ans – faute, d’ailleurs, d’avoir pu supprimer purement et simplement l’exonération.
Nous avions montré, il y a un an, notre détermination à encadrer par la loi la pratique des ventes à la découpe. Quel dommage qu’aujourd’hui la création d’un nouveau droit de préemption, proposée par Mme Aurillac, ait pour effet de rendre obsolète cette disposition du code général des impôts !
Madame la ministre, permettez au simple député que je suis de vous donner un conseil – et je vous donnerais exactement le même si j’appartenais à la majorité. Prenez garde à ne pas vous engager dans une démarche lourde et complexe qui n’aboutira à rien, si ce n’est à vous contraindre à prendre des engagements que vous ne pourrez pas tenir et à perdre votre temps. Je puis témoigner que M. Daubresse, qui s’était engagé dans cette voie, l’a ensuite amèrement regretté, et j’aimerais vous éviter cette mésaventure. En cette affaire, faites confiance à la loi, vous ne vous en porterez que mieux.

Amendement n°15
Je déplore le rejet de l’amendement n° 13, car contrairement à ce qu’affirme Mme la ministre, il ne visait pas à créer un impôt nouveau, mais simplement à ce que le dispositif adopté en loi de finances pour 2005 ne devienne pas obsolète.
Quant à l’amendement n° 15, il reprend un article de notre proposition de loi, débattue ici même le 10 mai dernier. Je lance à nouveau un appel à la majorité, à notre rapporteur et au Gouvernement : il est grand temps d’instaurer une décote prenant en compte l’ancienneté de l’occupation des lieux au bénéfice du locataire qui souhaite acheter le logement qu’il occupe. Notre amendement propose de plafonner cette décote à 30 % du prix consenti à un autre acheteur. Cette mesure s’inscrit dans l’esprit de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

(…)

Monsieur le rapporteur et madame la ministre, je comprends mal votre raisonnement. Cet amendement s’inscrit en effet dans votre démarche puisqu’il vise à permettre au locataire d’acheter le logement qu’il occupe à un prix plus favorable pour lui, en appliquant une décote que nous avons plafonnée à 30 %.
En outre, il est pour le moins surprenant de faire de ce locataire, victime d’une vente à la découpe, un spéculateur en puissance. Nul n’ignore qu’il s’agit souvent de personnes à revenus modestes ou moyens qui occupent depuis vingt ou trente ans leur appartement. Elles cherchent non à spéculer mais à pouvoir rester dans le même logement et le même quartier.
Je suis d’autant plus surpris par votre position que le principe de la décote s’applique déjà aux droits de succession sans qu’il y ait besoin d’un préjudice.
Bref, votre argumentation ne me paraît guère convaincante et je regrette que cet amendement recueille un avis si défavorable.