Proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe

EXPOSÉ DES MOTIFS

Une institution qui a évolué

Le mariage est une institution dont les origines sont millénaires. Produit de l’histoire de notre société, il a lui-même beaucoup évolué.
De tout temps en occident, le mariage aura été destiné aux époux pubères, avec un caractère monogame, hors de l’inceste et de la proche parenté.
Après les invasions barbares au cours du Moyen Âge, le mariage était une cérémonie privée donnant lieu à des réjouissances familiales. Il s’agissait alors déjà d’un engagement mutuel, écrit et signé.
Lors du concile du Latran en 1215, l’église catholique romaine estime qu’elle doit s’intéresser au mariage et va décider de le réglementer une première fois :
– en imposant la publication des bans pour éviter les mariages clandestins ;
– en faisant du mariage un sacrement, donc indissoluble sauf par la mort ;
– en exigeant le consentement libre et public des époux, échangé de vive voix dans un lieu ouvert. Cette disposition visait à éviter le mariage issu de rapts et d’unions arrangées – le rapt de Mathilde par Guillaume le Conquérant est resté dans les mémoires ;
– en imposant un âge minimal des époux pour éviter le mariage d’enfants, et notamment des très jeunes filles ;
– en réglementant l’annulation du mariage en cas de duperie sur la personne, rapt, non-consommation, mariage clandestin, etc.
Ce concile fixera des règles très largement reprises ensuite dans le mariage civil et laïc, institué en France en 1791.
Le concile de Trente (1542) renforcera encore la réglementation du mariage imposée par l’église catholique, laquelle aura poussé son emprise pour s’en arroger le monopole. Ce concile décide en particulier que :
– le mariage doit être précédé de la publication des bans ;
– le mariage doit être célébré devant un curé et des témoins ;
– les mariés doivent signer un registre ;
– la cohabitation hors mariage est interdite, pour faire reculer le concubinage et les enfants illégitimes.
En 1791, le mariage devient en France un acte civil sous la forme du contrat, laïc, et révocable par le divorce (loi de 1792).
L’histoire du mariage civil est elle-même composée d’avancées et de retours en arrière. Ainsi, le Code Napoléon place en 1804 la femme mariée sous l’autorité de son époux, puis le divorce est supprimé en 1816, pour être rétabli en 1884 par la loi du député radical Alfred Naquet, permettant un retour partiel aux acquis révolutionnaires.
La pleine égalité des conjoints n’existe dans les textes que depuis 1970 par la loi qui dispose que « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille ». En droit, il n’y a plus de chef de famille.
Malgré ces évolutions nombreuses et importantes, et en dépit de la création du mariage civil, le mariage a été longtemps marqué d’une forte connotation religieuse.
De même, il a conservé de tout temps le caractère d’une union de lignées familiales aménagée afin de permettre la transmission de la vie et du patrimoine tout en préservant les intérêts de chacune des lignées.
En cela, le mariage fonde un modèle familial stable dont les interdits fondamentaux auront perduré (inceste ou mariage entre parents proches, polygamie), quand les interdits ou obligations marqués par l’influence de l’église auront largement fluctué (le sacrement du mariage, le contrôle de la sexualité avec l’obligation de consommer, la fidélité et l’interdiction du divorce, et le contrôle social et religieux avec les interdictions de mariage mixte notamment).
Ainsi, le mariage civil est-il régulièrement modifié, que ce soit au regard de la conclusion du mariage (consentements parentaux, conditions d’âge…), de la vie des couples mariés (régime des biens et des successions, organisation de la solidarité entre les conjoints, obligations à l’égard des belles-familles, etc.) ou de la séparation (faculté de divorcer et conditions afférentes, obligations survivant au mariage…).
Ces évolutions importantes sont venues traduire les transformations sociales qui ont pétri la société au fil des siècles.
Depuis la « reprise en mains » du mariage par l’église au cours du Moyen Âge, ce mode d’union avait conquis une exclusivité presque totale de la vie en couple et en famille. Mais les dernières décennies ont mis un terme à ce monopole avec la possibilité de vivre en couple ou en famille en dehors du mariage et de la stigmatisation sociale – l’un n’allant pas sans l’autre auparavant.
Ainsi, ce sont 56 % – presque trois sur cinq – des premiers enfants des couples qui naissent maintenant hors mariage, et le nombre de mariages reste pourtant globalement stable d’une année sur l’autre.
Aujourd’hui, le mariage conserve donc sa valeur symbolique tout en n’étant plus considéré comme un modèle unique : tel est le constat posé en février 2006 par la mission d’information parlementaire sur la famille et les droits des enfants.

La longue marche vers l’Égalité des droits
Les réformes législatives nombreuses et récentes traduisent bien cette situation, au-delà même du seul mariage : la reconnaissance du concubinage dans la loi et la création du pacs, faisant du couple un objet de droit, ont répondu à l’aspiration de nos concitoyens à voir reconnu leur mode de vie.
Avec le pacs et le concubinage, il est remarquable que la loi place désormais sur un pied d’égalité tous les couples, quelle que soit leur composition. En cela, le couple homosexuel a acquis une reconnaissance symbolique importante.
Aujourd’hui, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe répond à une demande sociale qui participe d’un mouvement général de renforcement du principe d’Égalité, dont la mise en œuvre passe à la fois par la lutte contre les discriminations, le renforcement des droits existants, et la création de nouveaux droits.
Il est utile de confronter les arguments s’opposant à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe à ceux visant à l’ouvrir au nom de l’égalité des droits.
De l’Égalité
Rappelons ici que le principe républicain d’Égalité est fondamentalement l’acquis d’un combat pour l’émancipation de l’être humain. Ce combat s’est déroulé dans notre histoire comme un effet de l’action civilisatrice de notre société. Il a permis à l’individu social d’acquérir la liberté de s’affranchir progressivement du « moule » prédéfini auquel étaient liés certains droits et devoirs.
Cette maturation de la société revient à faire plus confiance à l’individu et moins à la norme pour respecter les règles du jeu de la vie commune. Ses limites en découlent simplement : le contrôle social étant moins aisé, les régulations sont plus difficiles à mettre en place, car plus individualisées.
Cette nouvelle faculté d’être soi-même est un enjeu de civilisation : il s’agit certes d’un acquis historique, mais qui se doit d’être reconquis en permanence au fil de l’évolution de notre société.
La question des droits nouveaux qui peuvent émerger doit être constamment reposée au vu de l’évolution de notre histoire sociale, tout comme celle des rapports entre désirs et libertés, entre sphère privée et sphère publique.
Le fait de réserver le mariage à des couples de sexes différents est clairement un dispositif de régulation sociale. On peut néanmoins souligner que l’ouvrir aux couples de même sexe n’apporte ou ne retire rien aux couples de sexes différents. Dès lors, pourquoi refuser cette liberté aux couples homosexuels ? Est-ce qu’ouvrir cette liberté remettrait trop gravement en cause le contrôle social sur les couples ou sur les familles?
Certains considèrent que le mariage vient consacrer un amour (liberté d’être soi-même). D’autres avancent des objections naturalistes contre l’ouverture du mariage (objections liées à une visée procréatrice jugée indissociable de ce statut). Se poser la question de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe revient à mettre en balance aujourd’hui ces deux dimensions, parmi d’autres. Réserver le mariage à un couple qui peut procréer justifie-t-il l’interdiction de reconnaître un amour pour ce qu’il est ? Si l’on répondait affirmativement à cette question, comment alors permettre le mariage de couples stériles ou n’ayant plus l’âge de procréer ?
La longue marche vers l’égalité des droits a déjà permis la dépénalisation de l’homosexualité, puis l’interdiction de la discrimination homophobe, et enfin la reconnaissance du couple homosexuel avec le pacs. Il faudrait donc d’autres arguments que ceux liés à la reconnaissance du couple homosexuel pour continuer de s’opposer à la reconnaissance du couple par le mariage.

Sur la responsabilité parentale
Le mariage emporte présomption de paternité (art. 312 du code civil). Son ouverture aux couples de même sexe nécessite d’aménager cette présomption pour qu’elle ne s’applique qu’aux couples mariés composés d’un homme et d’une femme.

Ce que permet cette proposition de loi
Cette proposition de loi ouvre le mariage aux couples de même sexe.
Elle ne change ni ne remet en cause aucun droit acquis des couples hétérosexuels mariés. Les dispositions relatives à la filiation biologique sont maintenues en l’état dans tous les cas, le principe de la présomption de paternité étant explicitement réservé aux couples mariés composés d’un homme et d’une femme.
Enfin, un toilettage des termes utilisés dans le code civil est proposé pour tenir compte de ces évolutions.
En résumé, ces dispositions permettent essentiellement à tous les couples de se marier. Dans le mariage d’un homme et d’une femme,  » le mari est le père de l’enfant « . Dans tous les autres cas d’unions, les droits parentaux ne peuvent être acquis sans démarche.
Une seconde proposition de loi est déposée concomitamment afin d’aménager les conditions d’exercice de la parentalité, que ce soit dans le cadre du mariage ou en dehors de ce statut.

Une réponse républicaine
L’évolution du regard de notre société sur l’homosexualité témoigne de notre profond attachement à la République et à ses valeurs universelles, car il n’est pas de démarche plus communautariste que celle visant à sanctuariser des droits pour certains et à refuser leur accès à d’autres.
Après avoir dépénalisé l’homosexualité, après avoir donné au citoyen homosexuel les outils de l’égalité avec les lois antidiscriminatoires, après avoir reconnu que le lien amoureux qui fonde le couple n’a pas de sexe avec le pacs, il est proposé ici de construire une nouvelle réponse républicaine aux attentes des couples de même sexe voulant se marier et à celles des familles homoparentales aspirant à l’égalité des droits.
L’ouverture proposée répond donc ici à des situations concrètes pour lesquelles le mariage était jusqu’ici inadapté. Ces réponses offrent de nouveaux droits à tous les couples, quelle que soit leur composition.
Loin d’un texte spécifique, il s’agit d’une contribution républicaine et universelle au combat pour l’égalité des droits.

Un mouvement général de progrès social
Pour conclure, il peut être utile de rappeler que cette démarche s’inscrit dans un mouvement qui se développe dans de nombreux pays : Pays-Bas, Belgique, Espagne, Canada ont déjà ouvert le mariage et l’adoption.
Certains états des USA ont ouvert le mariage (Alaska, Hawaï, Massachusetts), d’autres pays y travaillent : la Suède, l’Allemagne, ou encore l’Afrique du Sud où la cour Constitutionnelle a mis en demeure le législateur le 1er décembre 2005 d’ouvrir avant le 1er décembre 2006 le mariage aux couples de même sexe.
D’autres pays permettent l’adoption par les couples de même sexe, comme l’Angleterre, les Pays-Bas, le Canada, l’Afrique du Sud, le Danemark, et quelques états américains comme le New Jersey, la Californie, le Massachusetts, le New Mexico, l’État de New York, l’Ohio, le Vermont, l’État de Washington, le Wisconsin, Washington D.C.
Ces exemples ont démontré que l’ouverture du mariage et de l’adoption, loin de remettre en cause les fondements de la société comme il est parfois allégué, permet de faire progresser l’ensemble de la société sur le chemin de l’égalité.
En adoptant cette proposition de loi, la France, qui a été pionnière dans la conquête de l’égalité avec le pacs, retrouverait une place de choix parmi les pays ayant une lecture généreuse des droits humains
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PROPOSITION DE LOI

Article 1
Il est inséré avant l’article 144 du code civil un nouvel article ainsi rédigé : « Le mariage peut être contracté par deux personnes de sexes différents ou de même sexe ».

Article 2
L’article 162 du code civil est ainsi rédigé : « En ligne collatérale, le mariage est prohibé, entre frère ou sœur. »
L’article 163 du code civil est ainsi rédigé : « Le mariage est encore prohibé entre oncle ou tante et nièce ou neveu. »
Le troisièmement de l’article 164 du code civil est ainsi rédigé : « par l’article 163 aux mariages entre oncle ou tante et nièce ou neveu. »

Dispositions relatives à la filiation

Article 3
Le premier alinéa de l’article 312 du code civil est ainsi rédigé : « L’enfant conçu pendant le mariage d’un homme et d’une femme a pour père le mari. »

Dispositions visant à mettre en cohérence le vocabulaire du code civil

Article 4
La mention « mari et femme » est remplacée par « époux » à l’article 75 du code civil.
L’article 144 du code civil est ainsi rédigé : « Nul ne peut contracter mariage avant dix-huit ans révolus. »
La mention « mari et femme » est remplacée par « deux époux » à l’article 197 du code civil.
Les mentions « le mari et la femme » sont remplacées par « les deux époux » aux articles 108 et 980 du code civil.
La mention « Le mari peut représenter la femme ou réciproquement. » de l’article 412 du code civil est remplacée par « Les époux peuvent se représenter l’un l’autre. »