Budget de la Culture

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,


Comment d’abord ne pas regretter, Monsieur le Ministre, depuis le débat budgétaire de l’année dernière, que vous ayez été, à deux reprises, le ministre des occasions manquées. Les députés socialistes font ce triste constat avec d’autant moins d’esprit partisan qu’à chaque fois, ils ont défendu des convictions partagées avec des députés de tous les autres groupes et tout particulièrement de l’UMP.

Ainsi, nous aurions pu collectivement sortir par le haut, ici même le 12 octobre dernier, de la grave crise de l’emploi culturel que connaît notre pays depuis juin 2003. Il y avait, en effet, un majorité dans cet hémicycle pour poser les nouvelles bases, au sein même de la solidarité interprofessionnelle, d’un système pérenne et équitable d’indemnisation-chômage des artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel.

Les manœuvres procédurières du président du groupe UMP, que vous avez au mieux accompagnées, Monsieur le Ministre, ont privé la représentation nationale de cette opportunité législative. Et même si, depuis un mois, certains syndicats ont fait mouvement, comment ne pas réaffirmer avec force aujourd’hui, que le mauvais protocole d’accord du 18 avril 2006 ne résout en rien les problèmes de fond qu’a fait émerger ce qu’on appelle communément le conflit des intermittents du spectacle.

Il y a eu, par ailleurs, l’interminable débat parlementaire sur le droit d’auteur à l’ère numérique. Une autre occasion ratée, un fiasco législatif même, avec une loi mort-née dont le volet répressif a même été durci par le juge constitutionnel. Comment ne pas constater amèrement que la ligne Maginot que vous avez vainement tenté d’édifier, Monsieur le Ministre, a déjà été enfoncée, tout particulièrement par les puissants lobbys industriels qui vous ont poussé à la faute.

A l’heure d’aujourd’hui, les auteurs et les artistes-interprètes sont moins que jamais assurés de la légitime rémunération tirée de la diffusion de leurs œuvres sur Internet. Et c’est une véritable épée de Damoclès qui continue à menacer la copie privée et le développement du logiciel libre dans notre pays.

J’en arrive maintenant à l’examen du budget de la Culture pour 2007.

Chaque année, au début de l’automne, nous assistons au même spectacle. Le Ministre de la Culture convoque les médias et présente son budget. Et invariablement, le ton est au triomphalisme et à l’autosatisfaction. Il faut ensuite que nous entrions dans l’année d’exécution du budget pour déchanter : pour nombre d’actions, les crédits annoncés ne sont pas au rendez-vous. A cet égard, le dernier budget de la législature que nous examinons aujourd’hui ne fait pas exception.

Une fois de plus, il faut dissiper les apparences pour cerner la vérité des chiffres et la réalité de votre budget.

Vous annoncez ainsi, Monsieur le Ministre, une hausse de 7,8% du budget de la culture en 2007 présentée dès lors comme exceptionnelle.

Qu’en est-il au juste ?

A partir du « bleu » de la Mission Ministérielle Culture, document officiel transmis au Parlement, le budget de la culture, à périmètre constant, apparaît effectivement en hausse, mais seulement de 2,2% en autorisations d’engagement et de 2,6% en crédits de paiement. Et si on tient compte de l’inflation, la conclusion est claire : le budget de la culture sera en quasi-stagnation en 2007 !

Pour faire apparaître un budget en hausse, vous avez, en fait, Monsieur le Ministre, introduit dans la présentation de celui-ci des ressources extra budgétaires : 140 millions d’euros pour les monuments historiques de l’Etat par affectation d’une partie du produit des droits de mutation à titre onéreux, et 15 millions d’euros, par l’élargissement de l’assiette de la redevance sur la reprographie aux imprimantes et télécopieurs.

Ces deux mesures sont du reste positives, mais il convient aussitôt d’ajouter que le patrimoine a été tellement sacrifié ces dernières années qu’il ne s’agit que d’un rattrapage fort partiel des crédits précédemment perdus.

En outre, le chiffre de 140 millions d’euros affiché par le gouvernement pour les monuments historiques de l’Etat n’est atteint que par le cumul de deux années : 70 millions d’euros en 2006, 70 millions d’euros en 2007. C’est une première en vérité, consistant, pour faire miroiter une hausse optiquement élevée, à cumuler des exercices budgétaires distincts! Si le gouvernement peut néanmoins plaider que cette somme sera effectivement disponible en 2007 dans les caisses du Centre des Monuments Nationaux, alors le budget 2008 sera d’emblée frappé d’une baisse de 70 millions d’euros ! Un vrai cadeau empoisonné pour le prochain Ministre de la Culture ! En outre, cette ressource nouvelle est présentée comme pérenne : en est-on si sûr?

Enfin, ces mesures, soulignons-le, n’accroissent pas d’un centime le budget des autres secteurs du ministère (spectacle vivant, développement culturel, musées, arts plastiques…) qui, en réalité, seront sacrifiés en 2007. J’y reviendrai.

Il faut aussi observer une autre évolution tout à fait grave que le budget 2007 vient confirmer et accentuer.

Malgré un budget pour le moins contraint, le ministère de la Culture poursuit ou lance de grandes opérations à caractère national et toutes situées à Paris ou en région parisienne. Et, c’est un député de Paris qui s’en émeut !

Seule exception : le musée de la civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille.

Attention, il ne s’agit pas pour nous de contester l’opportunité de telles opérations, pleinement justifiées et même indispensables du point de vue de la politique culturelle. Celles-ci, de plus, seront réalisées sur plusieurs années, permettant un relatif étalement de la dépense. Le problème est que, dès lors que le budget du ministère de la culture n’augmente pas, ou peu, de tels investissements vont inévitablement peser sur les autres interventions de l’Etat, en investissement d’abord, surtout en fonctionnement plus tard, lequel sera obligé dans ces conditions de se désengager de beaucoup d’autres actions, même s’il ne le dit pas. Ce mouvement se perçoit déjà clairement dans les choix budgétaires de 2007.

Qu’il me soit, à présent, permis d’évoquer le patrimoine monumental que vous présentez, Monsieur le Ministre, comme « la première des priorités du budget 2007 ». A dire vrai, c’est la seule, et encore peut-on ajouter que le sort qui lui est fait n’est pas aussi glorieux qu’annoncé.

Rappelons que ce secteur est dans une situation catastrophique, principalement causée par la baisse considérable des crédits de restauration que lui a fait subir l’actuel gouvernement depuis 2002, suscitant la colère des professionnels du patrimoine, notamment les entreprises spécialisées de restauration de monuments historiques. Confronté à l’évidence d’un désastre qu’il a pour partie provoqué, même s’il a tenté de le cacher pendant longtemps, le gouvernement a réagi : c’est l’annonce faite par le Premier Ministre lui-même de l’affectation d’une partie de la taxe sur les droits de mutation à la restauration des seuls monuments historiques de l’Etat.

Le gouvernement ajoute que le budget de l’Etat retrouve dès lors des marges de manœuvre pour financer la restauration des monuments des propriétaires privés ou des collectivités territoriales.

Qu’en est-il au juste ?

Le projet de budget 2007 fait, en effet, apparaître une augmentation des dépenses d’intervention destinées à ces propriétaires de 40 millions d’euros en autorisations d’engagement, soit +32%.

Mais, dans le même temps, ces mêmes dépenses d’intervention baissent en crédits de paiement de 23 millions d’euros, soit -23%. La situation des crédits de paiement est, de fait, très préoccupante puisqu’elle a pour conséquence une incapacité de paiement effectif des travaux.

Je vais maintenant me livrer, faute de temps à un inventaire budgétaire à la Prévert.

– Les crédits de l’architecture, destinés aux espaces protégés et à la promotion de la qualité architecturale, urbaine et paysagère, connaissent une régression très sensible de 23%, selon les chiffres mêmes du ministère.

– En ce qui concerne les crédits des musées, les moyens destinés aux musées nationaux étant maintenus ou augmentés, ce sont de fait, les dépenses d’intervention, destinées aux actions en région qui connaissent une chute de 30% par rapport à 2006.
Clairement, l’Etat « se replie ».

– la création avait déjà été sacrifiée l’année dernière, elle l’est à nouveau cette année, mais avec une différence de taille : le spectacle vivant est frappé comme les autres secteurs, alors que, les années précédentes, pour des raisons politiques, il avait été davantage « épargné », si l’on peut dire. En vérité, Monsieur le Ministre, vous n’avez même plus les moyens de faire semblant…

– le spectacle vivant est en danger.

Je n’en prendrai pour preuve que l’augmentation de 1,2% d’une année sur l’autre, c’est-à-dire une hausse inférieure à l’inflation, des « dépenses d’intervention » de l’action spectacle vivant, hors subventions d’investissement. Les institutions culturelles comme les compagnies et les jeunes groupes de création verront en fait le soutien de l’Etat se réduire, et non pas augmenter, eu égard aux charges croissantes qui sont les leurs et à leurs besoins de développement.

Quant aux dépenses d’investissement, consacrées aux aides aux collectivités territoriales pour les constructions de nouveaux équipements en région, elles baissent de façon notable, et ce pour la deuxième année consécutive. L’Etat se désengage ainsi, sans le dire, au détriment des collectivités territoriales. En ce domaine, les crédits, en deux ans, auront baissé de presque 50% !

– Contrairement aux annonces ministérielles, les arts plastiques n’apparaissent guère être une priorité budgétaire. Les crédits baissent à nouveau.

– Les aides, destinées aux industries culturelles dans les domaines du spectacle vivant, du livre (y compris le droit de prêt en bibliothèque) et du cinéma, baissent de 2 millions d’euros de 2006 à 2007, soit -12%.

– Pour ce qui est de la « Transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture », la présentation trompeuse du dossier de presse du Ministère cache, hélas, une vraie chute d’au moins 3% des crédits du ministère envers tout ce qui concerne le développement culturel, chute d’autant plus désolante qu’elle est continue depuis 2002. Ces actions sont en fait progressivement laminées, et cette dégradation est, hélas, encore peu connue et dénoncée, car ces actions de terrain, proches des citoyens, sont probablement moins « médiatiques » que d’autres. Il y va pourtant de l’initiative de long terme en faveur de la démocratie culturelle et de la lutte contre les inégalités.

– Pour l’éducation artistique et culturelle, les dépenses d’intervention augmentent de +1,8%, c’est-à-dire juste au niveau de l’inflation. Comme on le sait, c’est surtout le ministère de l’Education nationale qui a, depuis 2002, réduit ses interventions dans ce domaine pourtant essentiel.

– Pour le soutien à l’enseignement spécialisé, les crédits baissent en AE de -5,3%. Rappelons qu’il s’agit des subventions aux conservatoires et écoles de musique des communes. Cette baisse n’est pas fortuite : ces crédits sont en effet appelés à être décentralisés, en application de la loi, et après adoption de schémas départementaux. Tout se passe comme si l’Etat programmait à l’avance une baisse du montant de ces crédits dont il n’aura plus la responsabilité, au détriment des collectivités territoriales.

– Absentes, et pour cause…, du dossier de presse du ministère, les actions spécifiques en faveur de la diversification des publics et de la mise en œuvre des politiques territoriales voient globalement leurs crédits s’effondrer de 20% !

En conclusion, une évidence s’impose : vous ne pouvez plus agir, Monsieur le Ministre, qu’ « en prenant à Pierre pour donner à Paul ».

Il reviendra donc à une autre majorité en 2007 d’avoir une volonté politique forte, dans le domaine culturel, pour redresser vraiment la barre.