Réforme de la protection de l’enfance
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Madame la Rapporteure,
Mes chers Collègues,
Tardif, contradictoire, aléatoire, insuffisant, tels sont les adjectifs qui viennent spontanément à l’esprit pour qualifier un projet de loi que l’Assemblée nationale commence enfin à examiner.
Une texte tardif, tout d’abord : en effet, après la rapporteure du projet de loi, qui fut également celle de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants, créée à l’initiative du président Jean-Louis Debré – de nombreux collègues ici présents en ont fait partie -, je tiens à rappeler que c’est dès juin 2005 – il y a donc déjà un an et demi – que nous avons présenté à l’unanimité près d’une cinquantaine de propositions de réforme du système de la protection de l’enfance.
L’appel des cent a, quant à lui, été lancé en septembre de la même année, à l’initiative du président du tribunal des enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczweig, et du directeur de l’aide sociale à l’enfance de Seine-Saint-Denis, Claude Roméo, en vue d’inciter les pouvoirs publics à engager un grand débat national sur la protection de l’enfance avant de présenter une réforme législative.
Par ailleurs, les conseils généraux de la région Île-de-France ont demandé l’adoption d’une grande loi-cadre réaffirmant les principes fondamentaux de la protection de l’enfance, notamment le rôle parental, le primat de l’éducatif et l’intérêt de l’enfant, tandis que le rapport de 2005 de la défenseure des enfants pointait les inégalités entre les départements et le manque de cohérence et de clarté des dispositifs.
Il convient enfin de souligner que l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de ce projet de loi a été maintes fois reportée : depuis son vote en première lecture par le Sénat en mai 2006 et son examen en commission à l’ Assemblée nationale en juillet dernier, cette discussion a malheureusement été retardée par l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.
Un texte contradictoire, ensuite : en effet comment ne pas rappeler que notre assemblée a été conduite à examiner trois textes qui se télescopent et, de fait, se contredisent sur plusieurs points en ce qui concerne la famille et les enfants : la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, qui a institué le contrat de responsabilité parentale, le projet de loi, que je viens de citer, relatif à la prévention de la délinquance et le texte en discussion.
Un texte aléatoire, aussi, très aléatoire, même, s’agissant du dispositif de financement retenu par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne la compensation des charges transférées aux départements. Si tous les moyens nécessaires ne sont pas mis en œuvre afin de permettre l’application effective de la future loi, celle-ci ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau, un simple texte d’affichage, c’est toute la faiblesse de son article 17 qui crée, en fait, un financement fictif de la réforme de la protection de l’enfance.
Étant donné le peu de temps qui m’est imparti dans le cadre de la discussion générale, j’ai pensé qu’il me revenait de restituer ce qu’avaient été tout à la fois les réflexions, le travail et le cheminement de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants.
Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, si la mission a consacré une part importante de ses travaux à la protection de l’enfance, c’est qu’il s’agit d’un sujet sensible. Les drames qui ont été portés, encore récemment, sur la place publique montrent que les dangers qui pèsent sur les enfants sont loin d’avoir disparu. Une mission parlementaire sur la famille et les droits des enfants devait s’emparer du sujet ; c’est ce que nous avons fait. Les enfants sont en effet des êtres vulnérables dans leur corps comme dans leur esprit, et ils doivent être à ce titre protégés. C’est du reste un droit garanti par la Convention internationale des droits de l’enfant, dont chaque État doit assurer le respect. La violence infligée aux mineurs, quelle qu’en soit la forme, défigure notre société.
Nous avons évoqué lors d’une table ronde – vous vous en souvenez sans doute, mes chers collègues – l’affaire de Drancy. Le 4 août 2004, quatre enfants pieds nus, sales et mal vêtus ont été repérés dans la rue. Après deux heures de négociation avec les parents, la police nationale est parvenue à entrer dans le domicile, pour découvrir un enfant âgé de treize mois qui ne pesait que quatre kilos et vivait au milieu de détritus sur une banquette éventrée. Cette famille était pourtant connue des services sociaux, notamment de la protection maternelle et infantile, dont les bureaux étaient à moins de cinquante mètres du domicile. Toutefois, aucune visite n’avait jamais été rendue à cette famille et les différents signalements n’avaient pas permis de donner l’alerte.
Ensemble, nous avons tenté de comprendre pourquoi, en dépit des quelque 5,5 milliards d’euros dépensés chaque année pour protéger les enfants, des situations comme celle de Drancy existent encore. Il y en a beaucoup d’autres comme en témoigne la tragédie d’Angers. Nous nous sommes alors attachés à mettre à plat l’ensemble du dispositif, depuis les mesures de prévention et de détection jusqu’à la manière dont les mineurs sont pris en charge.
S’agissant de la prévention et de la détection des enfants en danger, nous avons tenté de répondre à trois questions. Première question : à partir de quel âge et selon quelles modalités faut-il commencer les mesures de prévention et de détection ? Deuxième question : comment faire partager les informations entre les différentes professions chargées de suivre les enfants ? Troisième et dernière question : comment mieux suivre les familles, notamment celles qui, en développant une stratégie d’évitement des services sociaux, échappent aux dispositifs prévus ?
Ces différentes questions nous ont conduits à proposer des mesures visant à anticiper et à renforcer le signalement. Il convient notamment de mieux impliquer les enseignants, lesquels, en dehors des parents, sont les adultes le plus en contact avec les enfants. Notre avons également conclu à la nécessité de mieux faire respecter les visites médicales obligatoires, lesquelles sont un moyen sûr de détecter les mineurs maltraités ou en danger. Nous espérons aller un peu plus loin en ce sens à la faveur de l’examen des articles du projet de loi.
En ce qui concerne la manière dont les enfants, une fois qu’ils sont détectés, sont pris en charge, nous avons recherché les moyens de mieux articuler l’intervention du juge et celle des conseils généraux – deux des principaux acteurs dans la protection de l’enfance -, afin de mettre fin à la prééminence des signalements judiciaires.
En outre, lorsque l’enfant ne peut pas rester dans sa famille, il est essentiel pour lui d’être accueilli dans des conditions permettant d’assurer son développement. Nous avons dénoncé avec raison ce qu’on appelle l’idéologie du lien familial, sur laquelle repose encore notre conception de la protection de l’enfance, et nous avons préconisé, dans l’intérêt même de l’enfant, un recours plus fréquent à une famille d’accueil. Ainsi que Patricia Adam l’a rappelé à l’instant, la dimension biologique de la filiation ne saurait être en effet privilégiée de manière disproportionnée, car elle n’est pas, en tant que telle, une garantie de sécurité pour l’enfant et l’existence de liens biologiques entre l’enfant et les adultes qui l’élèvent n’a jamais été l’assurance d’une bonne éducation. Nous avons donc examiné la manière dont le dispositif de placement des enfants organise une suppléance parentale, afin de vérifier si la stabilité affective du mineur est assurée.
Le cloisonnement entre les différentes administrations compétentes semble la principale faille du système. En superposant différents niveaux de compétence, l’organisation issue de la décentralisation est particulièrement complexe, ce qui nuit à la sûreté du dispositif, notamment à la continuité du suivi des enfants. Nous avons donc cherché les moyens de clarifier l’organisation de la protection de l’enfance, afin d’en améliorer l’efficacité, en visant notamment la responsabilité particulière des présidents des conseils généraux en la matière.
Nous nous sommes également attachés à vérifier que notre pays respecte la Convention internationale des droits de l’enfant. C’est un point dont s’était déjà saisie la commission d’enquête présidée par Laurent Fabius en 1998, et qui demeure d’actualité. Cette convention comprend en effet des dispositions essentielles à la protection des mineurs dont l’application par la France mériterait d’être améliorée. Cette question nous a donc conduits à examiner la place que notre droit réserve à la parole de l’enfant devant le juge, ainsi que la situation particulière des mineurs étrangers isolés.
Alors que la dernière grande loi sur la protection de l’enfance a été promulguée en 1989, aujourd’hui, en France – comme l’a rappelé Valérie Pecresse -, près de deux enfants décèdent encore chaque semaine de maltraitance et les cas d’enfants en situation de danger augmentent. Nous sommes conscients que la réforme de la protection de l’enfance soulève des questions difficiles, parce qu’elle met en jeu des principes fondamentaux de notre droit, notamment la défense des libertés individuelles et le respect du secret professionnel – lequel doit être mieux partagé pour permettre une véritable réforme de la protection de l’enfance.
Nous avons donc tenté de trouver un équilibre entre le droit des familles à l’intimité et la nécessité de prendre en considération l’intérêt de l’enfant. Il faut mettre en place un dispositif qui permette de contrôler la famille sans la stigmatiser, d’accueillir les enfants dans une stabilité affective et psychique, tout en organisant des allers et retours chez leurs parents, et de les protéger tout en aidant les parents à exercer leurs compétences propres. C’est le sens des propositions que notre mission a unanimement adoptées il y a un an et demi : il était temps, en effet, de donner aux familles et aux acteurs de la protection de l’enfance un signal fort. C’est pourquoi les députés du groupe socialiste regrettent qu’un grand nombre des propositions de la mission n’aient pas été reprises dans le cadre du présent projet de loi.
Alors qu’il fait suite aux travaux de la mission, à la publication de plusieurs rapports et à la mobilisation des professionnels, force est de constater, monsieur le ministre, que ce texte n’est pas à la hauteur des attentes qu’il a suscitées. Il s’apparente plus en effet à une réponse d’urgence à la médiatisation de plusieurs affaires récentes qu’à une véritable loi-cadre pour la protection de l’enfance en danger et le soutien aux familles.
Je précise « aux familles », car je pense, et ce sera ma conclusion, à toutes les familles, mêmes celles que certains, ici, se refusent à reconnaître comme telles. En effet, le bien être de l’enfant dépend avant tout de l’attention et de l’amour qu’il reçoit, quelle que soit l’orientation sexuelle des adultes qui l’élèvent et quelle que soit la façon dont a été conçu l’enfant. C’est cet environnement stable qui favorise peu à peu son épanouissement, lui permet de trouver ses repères et, finalement, de prendre sa place dans la société.
Espérons que l’examen des articles donnera, grâce au vote de nombreux amendements, tout son sens à ce qui est présenté comme une réforme de la protection de l’enfance. Dans le cas contraire, au printemps prochain, une alternance politique le permettra sans doute.