Exception d’irrecevabilité – Audiovisuel public

Monsieur le Président,
Madame la Ministre ,
Chers collègues,

L’exception d’irrecevabilité que je suis amené à défendre, au nom du groupe socialiste, radical et citoyen, vise à vous convaincre – une ultime fois – que le texte issu de la CMP que vous nous présentez reste, plus que jamais, un mauvais texte.

Mauvais texte parce qu’il n’est, finalement, qu’un retour à la case départ. Après une première lecture à l’Assemblée nationale qui aura vu tous nos amendements rejetés; après un passage au Sénat qui aura montré, au delà des modifications apportées, combien votre projet divise  jusque dans les rangs de votre majorité, la CMP n’aura visé qu’à un seul objectif : revenir à la version adoptée en Conseil des ministres.

Nous retiendrons, de fait, du débat dans les deux assemblées que l’unique boussole qui s’impose désormais à tout ministre, député ou responsable de l’UMP, c’est la  parole sarkozienne, en l’espèce le fait du prince. En ce qui concerne l’audiovisuel (car, hélas, nous le savons désormais tous les domaines sont un jour touchés par une déclaration présidentielle impromptue), il faut donc revenir un an en arrière.

Depuis l’annonce brutale de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques par Nicolas Sarkozy jusqu’au vote que nous allons émettre aujourd’hui, l’année a été rude pour le paysage audiovisuel français.

A l’inquiétude légitime des salariés de l’audiovisuel public et aux interrogations de nos concitoyens-téléspectateurs, le Président de la République a d’abord répondu par la mise en place d’une commission. Non pas une commission de réflexion sur les missions et les besoins de France Télévisions et le financement pour les assurer,  mais une commission ayant pour seul objet d’assurer le service après-vente de la parole élyséenne, avec Jean François Copé comme chef de rayon.

Il fallait travailler vite mais, las…, quelques semaines, c’est toujours trop long pour le Chef de l’État. Alors, ne tenant plus, le 27 mai dernier, soit avant la remise officielle du rapport, Nicolas Sarkozy a craqué et a rendu ses premiers  arbitrages, un beau matin, sur une radio périphérique comme on dit. Pour les députés et sénateurs de gauche membres de la Commission Copé, la mascarade n’avait que trop duré et nous avons alors quitté la commission.

Nous avions alors bien compris que nous participions, aux côtés de professionnels reconnus, à un jeu de dupes amenant, d’un côté à formuler des préconisations inévitablement coûteuses en terme de contenus et de diversification et, de l’autre, à supprimer des ressources.

Nous ne pouvions décemment plus continuer à participer à une commission alibi, si révélatrice du mode de gouvernance du Chef de l’État que nous dénonçons avec force aujourd’hui sur bien d’autres sujets. Nicolas Sarkozy est, en effet, le premier Président de la République à considérer que sa seule parole, dès qu’elle est prononcée, doit avoir force loi, d’où son mépris du Parlement uniquement considéré comme une enceinte qui fait perdre du temps. On connait la suite avec le projet de loi organique et l’article 13.

Oui, nous l’assumons, nous nous sommes fortement opposés, durant près de quatre semaines dans cet hémicycle, quitte à appeler Casimir à la rescousse; oui, nous nous sommes opposés à un texte pour lequel l’urgence avait été déclarée et qui vise à mettre l’audiovisuel public sous une double tutelle budgétaire et politique.

Mise sous tutelle budgétaire, d’abord, dans la mesure où, pour l’année 2009, la suppression de la publicité après 20 h devrait être compensée à hauteur de 450 millions d’euros. A budget équivalent, France Télévisions doit donc dégager, en journée, des revenus publicitaires de l’ordre de 350 millions d’euros. Ce qui, compte-tenu du dumping tarifaire des chaînes privées, est d’ores et déjà un objectif parfaitement inatteignable.

Les ressources de France Télévisions vont donc baisser  cette année, alors même que le groupe doit faire face à des dépenses supplémentaires. Le budget 2009 doit notamment prendre en compte le financement des nouveaux programmes destinés à occuper les créneaux libérés par la publicité. Il a dû intégrer les coûts consécutifs au renforcement de la stratégie éditoriale visant à proposer un nombre croissant de programmes à vocation culturelle à des heures de grande écoute. Parallèlement, France Télévisions doit poursuivre son effort d’investissement en faveur de la création audiovisuelle française et européenne. A ces investissements s’ajoutent ceux nécessaires à la diffusion des contenus sur les différents supports numériques, ce qu’on appelle communément la diversification.

Conséquence logique, le déficit prévu pour le budget de France Télévisions en 2009 s’élève d’ores et déjà à 135 millions d’euros.

Car, pour notre groupe, la question essentielle est là. Nous rejetons, en effet, la vision binaire et simpliste que vous avez voulu nous imposer en opposant ceux qui seraient pour et ceux qui seraient contre la publicité sur les chaînes publiques. Nous la rejetons d’autant plus que votre entêtement à vouloir faire croire qu’une bonne télévision doit nécessairement se faire sans publicité n’a aucun fondement. Il y a, nous le savons, de très bonnes télévisions qui se font avec de la publicité, et de très mauvaises télévisions qui se font sans publicité. La suppression de la publicité n’est, en aucun cas en matière de programmes, une garantie automatique de qualité.

Le débat doit plus que jamais, pour nous, s’articuler autour de la seule question qui vaille : voulons nous ou non un audiovisuel public réellement financé à la hauteur de ses missions?

C’est sur cet objectif prioritaire que les députés de notre groupe se sont mobilisés avec autant de détermination. Car, à l’arrivée et vous le savez, le compte n’y est pas! Et de loin! Les taxes compensatoires qui sont prévues, si elles ne sont pas invalidées par le juge constitutionnel, sont par nature aléatoires puisque basées pour certaines sur les chiffres d’affaires des opérateurs télécoms et internet. Or, dès maintenant, le secteur de la haute technologie est confronté à une vague de plans sociaux sans précédent depuis l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000. Rien que, le 26 janvier dernier, une dizaine de sociétés ont annoncé quelques 75 000 licenciements aux États-Unis et dans le reste du monde. Et tout au long de l’année 2009, la tendance va s’amplifier.

Nous nous sommes aussi élevés, évidemment, contre la mise sous tutelle politique de l’audiovisuel public avec la nomination – et, pire encore, la révocation! – des présidents de France Télévisions, de Radio France et d’Audiovisuel Extérieur de la France par le Président de la République, bafouant ainsi les principes d’indépendance des médias et de pluralisme de l’information qui sont désormais inscrits dans la Constitution.

Alors, oui, nous avons défendu nos positions et nos propositions, durant près de quatre semaines, dans cet hémicycle. Quatre semaines, rendez-vous compte ! Le Président ne l’a pas supporté.

Le Parlement n’entérine pas assez vite, qu’à cela ne tienne, on va faire appel au Président de France Télévisions pour qu’il supprime lui-même la publicité à partir de 20 heures sur les chaînes du service public à compter du 5 janvier puisque tel est le bon vouloir du Président de la République.

Il faut du vice, chers collègues, pour que celui qui n’avait pas montré un enthousiasme fou pour cette réforme – c’est un euphémisme…-, soit contraint de se l’appliquer, en un mot de se faire hara-kiri. Combiné avec le légitime mécontentement des sénateurs de voir un texte mis en oeuvre avant même qu’ils en soient saisis, le doublé est tellement révélateur de la manière dont nous sommes gouvernés depuis le printemps 2007.

In fine, une loi n’était donc manifestement pas nécessaire pour supprimer la publicité sur France Télévisions. Par contre, l’urgence de détenir le pouvoir de nommer et de révoquer à sa guise et sans contrôle réel, l’urgence d’offrir nombre de cadeaux de fin d’année à ceux qui ont cheminé si allègrement aux côtés de Nicolas Sarkozy du Fouquet’s à l’Elysée, oui, ces urgences-là, elles, étaient bien réelles.

Le 7 janvier, les sénateurs ont commencé l’examen du texte. Le 15 janvier, ils ont notamment adopté, contre l’avis du gouvernement, la pose d’un verrou parlementaire pour la révocation des Présidents des sociétés de l’audiovisuel public, l’exclusion de RFO de la suppression de la publicité, une hausse de 116 euros à 120 euros de la redevance et ce, malgré les conséquences annoncées (et, semble-t-il, alors assumées) de ce choix sur la personne même du président du groupe UMP à l’Assemblée nationale qui avait bien imprudemment  déclaré «  moi vivant, il n’y aura pas d’augmentation de la redevance ». La vie ne tient parfois, chers collègues, qu’à un amendement sénatorial… Le 16 janvier, le Sénat a adopté le projet de loi après un scrutin très serré. Adopté certes, mais dans une version modifié.

Il n’a pas été possible de convaincre les sénateurs, soit, il faudra les contraindre! Et là encore, comment ne pas s’alarmer de la façon dont le Parlement est désormais appelé à légiférer, non seulement dans l’urgence, mais la main, celle-là même qui écrit les lois, tenue fermement   par l’exécutif. Tous les arbitrages ont été ainsi rendus la veille de la Commission Mixte Paritaire, lors d’une rencontre à Matignon, en suivant pas à pas les instructions de l’Elysée.

Dès lors, la CMP n’a été qu’une formalité, un habillage un peu laborieux, une étape supplémentaire, en tout cas, du passage du rouleau compresseur présidentiel.

Évacué le maintien de la publicité sur RFO; supprimé,  l’encadrement plus strict du pouvoir de révocation des présidents des sociétés de l’audiovisuel public ; éliminée l’obligation pour France Télévisions de maintenir des rédactions propres dans ses chaînes diffusant des journaux télévisés; écartée, la demande d’un rapport sur l’opportunité de supprimer la publicité destinée aux enfants durant la diffusion des programmes qui leur sont consacrés; laissée de côté, la reprise de la convention collective garantissant aux journalistes le droit de ne pas céder aux pressions et de protéger leurs sources. Une seule proposition sénatoriale aura finalement été retenue au plus haut sommet de l’État, celle de l’augmentation de la redevance, celle qui fait de M. Copé un mort vivant aujourd’hui.

Une nouvelle étape va s’ouvrir, dans les prochaines semaines, au Conseil constitutionnel pour garantir tout simplement l’indépendance des médias et le pluralisme de l’information apportés par l’élection de François Mitterrand en 1981 et que les lois que nous avons voté depuis, n’ont pu que renforcer.

Mes chers collègues, durant l’examen de ce texte, le gouvernement a dressé jusqu’à l’ivresse une liste de belles intentions en se payant le luxe, jusqu’à présent tout du moins, de ne pas sortir un centime d’euro de sa poche! Mais qu’en sera-t-il demain lorsqu’il s’agira de garantir, et seulement pour les trois ans qui viennent, les 450 millions de perte de recettes publicitaires, à l’euro près? Quelles certitudes avons nous dans le contexte de récession qui frappe aujourd’hui notre pays, que cet engagement ne sera pas remis en cause pour répondre à des demandes sociales jugées plus prioritaires?

Pour que l’audiovisuel public remplisse pleinement les missions que la loi lui fixe, il faut le doter d’un financement pérenne. Nous en sommes loin.

Depuis 25 ans, le paysage audiovisuel français s’est structuré autour de deux pôles: l’un public et l’autre privé, luttant, plus ou moins, à armes égales. En imposant le fait du prince, Nicolas SARKOZY a choisi de dynamiter cet équilibre, en rendant les groupes audiovisuels privés toujours plus puissants, et en affaiblissant dangereusement l’audiovisuel public, fragilisant ainsi un peu plus la création en France alors que le cinéma et la production audiovisuelle dépendent en grande partie des obligations de production imposées aux opérateurs audiovisuels.

Quant à l’audiovisuel extérieur de la France, on comprend mal le choix qui est fait de remettre en cause le caractère public de Radio France Internationale. Nous dénonçons toujours le fait que l’intégration de R.F.I. au sein de la société Audiovisuel Extérieure de la France, ouverte aux capitaux privés, s’accompagne de la fermeture programmée de nombre de stations à l’étranger ou de leur basculement sur internet, comme, par exemple, dans la Russie de Poutine où les réseaux sont filtrés.

Vous étiez alors restée vague, Madame la Ministre, dans vos réponses, tout en minimisant a dessein les conséquences d’un tel choix. Et puis, le 15 janvier dernier, la direction de RFI a annoncé, sous couvert d’un plan dit « de modernisation », la suppression de 20% de ses effectifs, confirmant hélas combien les craintes que nous avions exprimées, étaient fondées.

Nous redoutons dès lors, pour les 11 000 salariés de France Télévisions, que les appels à la modernisation sociale de France Télévisions lancés de façon provocatrice par certains membres de la majorité ne produisent les mêmes effets. Ce serait ainsi la démonstration implacable que le maintien de l’actuel périmètre de France-Télévisions est une digue bien fragile face à l’étouffement budgétaire de la télévision publique que vous avez programmé. Il est à craindre qu’il faille donc de nouveau la réformer. Profondément cette fois.

Comment ne pas redouter, en effet, des restructurations internes successives qui auraient pour conséquence la disparition progressive de certaines de nos chaînes publiques. Voilà cette vérité que le gouvernement n’arrive pas à nous dire avec ce projet de loi, comme on l’a vu avec RFI. Oui, nous nourrissons les plus vives inquiétudes pour un avenir qui verrait l’État s’alléger d’une partie de sa télévision publique afin, comme le veut la formule, de la « recentrer sur ses missions », formule pudique pour dire justement que des missions, elle en aura de moins en moins.

Voilà ce que le gouvernement n’a jamais voulu nous dire.

Mais l’arbre de la suppression de la publicité ne cache plus aujourd’hui la forêt des mauvais coups portés à la télévision publique, à la culture et à la démocratie. Cela aura été toute l’utilité et le mérite d’un débat parlementaire qui a permis d’ouvrir les yeux de nos concitoyens qui sont autant de téléspectateurs, sur les noirs desseins de l’actuelle majorité à l’égard de l’audiovisuel public dans notre pays.

C’est la raison pour laquelle je vous demande, mes Chers Collègues, de voter cette exception d’irrecevabilité.