Motion de rejet – Projet de loi dit Hadopi 2

Monsieur le Président,

Madame la Ministre d’Etat, Monsieur le Ministre,

Monsieur le Rapporteur,

Mes chers Collègues,

Le 10 juin dernier, le Conseil constitutionnel infligeait un désaveu cinglant au gouvernement en censurant le coeur même du dispositif porté dans Hadopi. Il n’est pas inutile, au terme de ce débat parlementaire, de rappeler ce qui a motivé les sages de la rue Montpensier dans leur censure dont la portée historique a été soulignée par plusieurs constitutionnalistes.

L’un d’entre eux, Dominique Rousseau considérait que cette censure, je le cite, « est nette, sans appel, claire et particulièrement motivée. C’est la plus sévère depuis une bonne dizaine d’années » ajoutant que, « le Conseil constitutionnel offre une motivation particulièrement sévère, puisqu’il accuse le gouvernement, à l’origine de cette loi, d’avoir méconnu à la fois la liberté d’expression, le principe de la séparation des pouvoirs et la présomption d’innocence ». Rien de moins!

Compte tenu de la sévérité du jugement porté par le Conseil constitutionnel sur Hadopi I, on aurait pu penser que vous en restiez là.

Or, il n’en a rien été, vous avez préféré récidiver et persévérer dans votre erreur. Sous pression élyséenne, Hadopi 2 a donc succédé à Hadopi 1. Et nous avons débattu, dans cet hémicycle jusqu’à la fin de la session extraordinaire du mois de juillet, d’une nouvelle usine à gaz, créant sur le plan juridique, un véritable régime d’exception.

De fait, ce qui nous apparaît particulièrement grave, au regard de ce qu’est un Etat de droit, c’est que Hadopi II ne doit son existence qu’à votre détermination à contourner la décision du Conseil constitutionnel qui a  estimé que seule l’intervention du juge permettait de garantir la liberté d’expression et de communication. C’est ainsi en responsabilité que vous avez délibérément fait le choix d’une justice expéditive.

Nous avons, une fois encore, essayé de faire valoir nos arguments le 16 septembre dernier lors de la réunion de la Commission Mixte Paritaire. Mais, rien n’y a fait, le texte voté en juillet n’a pas évolué d’un pouce.

Nous avons ainsi défendu un amendement visant à supprimer les alinéas 3 à 5 de l’article 1er concernant le recours aux ordonnances pénales pour le délit de contrefaçon commis au moyen d’un service de communication public en ligne : rejeté.

Nous avons défendu un amendement indiquant qu’aucune décision de  que  suspension de l’accès à internet ne pouvait être prononcée si elle provoquait une dégradation du service de téléphonie ou de télévision : rejeté.

Nous avons défendu un amendement contre la double peine et visant  à dégager les abonnés dont l’accès à internet aura été suspendu, de l’obligation de verser le prix de  leur abonnement au fournisseur de service avec, à la clé, la résiliation sans frais de leur abonnement: rejeté.

Nous avons défendu un amendement prévoyant qu’aucune sanction ne pourra être prise à l’égard du titulaire de l’accès internet si l’infraction est le fait d’une personne ayant frauduleusement utilisé cet accès : rejeté.

Nous avons défendu un amendement tendant à exonérer les personnes morales de toute responsabilité pénale en cas d’infraction commise à partir de leur adresse IP  : rejeté.

Nous avons défendu un amendement tendant à exonérer les abonnés qui auraient téléchargé illégalement des oeuvres ne faisant plus l’objet d’aucune exploitation depuis une durée manifestement conforme aux usages de la profession : rejeté.

Cette Commission Mixte Paritaire n’aura finalement eu qu’un seul objectif : en finir avec Hadopi! A tel point d’ailleurs, que les membres de la majorité ont été amenés à refuser notre septième amendement visant tout simplement à revenir a ce qui avait été voté, il y a si peu de temps, dans Hadopi 1, et ce par les deux assemblées, à savoir donner aux Fournisseurs d’Accès à Internet, de 45 jours à deux mois pour rendre effective la suspension de l’accès.  Désormais, ils n’auront que 15 jours.

A cet égard, il n’est pas inutile de rappeler  que les nombreux obstacles techniques maintes fois soulignés n’ont pas été levés et que l’opacité règne toujours sur la prise en charge financière des coûts de mise en oeuvre de ces suspensions d’accès évalués à 70 millions d’euros par le Conseil Général des Technologies de l’Information, organisme qui pourtant dépend de Bercy.

Tant que nous pourrons le faire, nous contesterons cette loi. Et, dans cette ultime lecture, je vais vous rappeler, une fois encore, les raisons de l’ opposition de notre groupe à Hadopi 2.

Nous contestons totalement le recours aux ordonnances pénales tant les  droits de la défense y sont réduits à portion congrue : rappelons qu’une ordonnance pénale est rendue par un juge unique (ce qui constitue une atteinte au principe de collégialité garant de l’impartialité), sans débat (ce qui constitue une atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense) et sans obligation de motivation (ce qui constitue une atteinte au principe de transparence.) Nous contestons d’autant plus  cette procédure qu’elle concernait jusqu’à présent la sanction d’infractions difficilement contestables, ce qui est tout le contraire lorsqu’il s’agit de téléchargements sur Internet.

Nous contestons vivement la modification soudaine du régime des ordonnances pénales,  permettant ainsi au juge- pour les seules infractions du droit d’auteur- de statuer en même temps au pénal et au civil. Cette disposition est contraire à l’égalité des débats, car la personne incriminée n’aura pas le droit d’accéder au juge tandis que la partie civile pourra le faire afin de réclamer des dommages et intérêts.

Nous contestons fortement le fait que le juge sera pris en tenaille par l’ Hadopi, en amont, puisqu’elle constituera le dossier visant à l’incrimination; en aval, puisque -exception notable- elle fera exécuter les peines prononcées. Alors que le considérant 28 de la décision du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2009 définissait le rôle de l’Hadopi comme purement préparatoire à l’instance, plusieurs articles du texte enlèvent des prérogatives au juge de l’application des peines pour les confier à cette autorité qui notifiera aux FAI les suspensions, tiendra un fichier de suivi des suspendus et s’assurera que les peines ont bien été effectuées.

Nous contestons vigoureusement la création d’une sanction pour négligence caractérisée au seul motif de contourner la difficulté matérielle de prouver le délit de contrefaçon.

En recourant à nouveau à un dispositif qui permet de sanctionner un internaute qui n’est pas l’auteur du téléchargement contesté, vous violez de manière flagrante le principe selon lequel « Nul ne peut être puni que de son propre fait ».

Nous contestons la création d’une sanction supplémentaire, à savoir une amende de 3750 euros pour l’internaute qui contournera l’interdiction de souscrire un nouveau contrat d’abonnement à internet.

Nous ne pouvons donc que constater combien le dispositif que vous voulez mettre en place crée une disproportion des peines intolérable .

Ainsi,  pour le délit de contrefaçon, auxquels sont assimilés, de manière insensée, de simples échanges de fichiers non commerciaux et donc sans but lucratif, l’internaute risquera, si cette loi est votée : une amende jusqu’à 300 000 euros, de la prison jusqu’à 3 ans, la suspension de son accès internet jusqu’à un an, le paiement – ce qui reste scandaleux- de son abonnement durant la suspension alors que rien ne le justifie dans la mesure où il ne bénéficiera plus de la prestation, et le paiement de dommages et intérêts. Ces peines seront par ailleurs inscrites dans son casier judiciaire.

De manière plus profonde, votre obsession à vouloir à tout prix couper l’accès à Internet, y compris dans le cas d’une négligence caractérisée, ne peut que nous interpeller sur les objectifs réels que vous poursuivez. Mettre ainsi le nouveau média qu’est Internet et qui a d’ores et déjà pris une telle place dans la vie de nos concitoyens, au bans des accusés est, à cet égard, inquiétant. Nulle candeur dans notre propos car nous considérons qu’Internet n’est que le reflet d’une société où le meilleur côtoie le pire.

Maus lorsque Jean-François Copé déclare, je le cite, qu’ « Internet est un danger pour la démocratie » et quand Henri Guaino parle, je le cite, de « transparence absolue » qui est « le début du totalitarisme », il y a -comme le souligne très justement le journaliste du « Monde » Xavier Ternisien- « une diabolisation d’Internet (qui) n’est peut-re que le symptôme d’un sentiment plus profond : la peur primaire d’un média qui contourne les hiérarchies, glisse entre les mailles de la communication institutionnelles, et révèle parfois au grand jour ce qu’on voudrait taire ».

Mais revenons au sujet du jour, c’est à dire Hadopi 2.

Nous nous insurgeons également contre ce texte parce que nous considérons qu’il faut être irresponsable pour bloquer ainsi stérilement  la nécessaire adaptation du droit d’auteur à la révolution Internet en cours.  DADVSI en 2006, Hadopi 1 et 2 aujourd’hui ne sont, à cet égard, que des lois de retardement. Et durant tout ce temps perdu, les créateurs ne toucheront pas un euro de plus puisque vous avez constamment rejeté notre proposition de contribution créative . Là est le vrai scandale!

Mais, d’une manière générale désormais et comme pour les tests ADN, seul l’effet d’annonce compte ! Vous vous préoccupez si peu de l’application des lois ou alors vous croyez si peu aux effets des dispositions que vous nous faites voter, qu’avant même l’adoption définitive d’Hadopi 2, vous avez lancé une mission confiée à un trio Zelnik-Cerutti-Toubon aussi exotique que dépendant et masculin.

Cherchez l’erreur ! En l’occurrence, elle saute aux yeux puisque vous avez, une nouvelle fois, écarté tout représentant des internautes et des consommateurs qui avaient été les grands oubliés de la signature des accords de l’Elysée, après la remise du rapport Olivennes, il y a bientôt deux ans.

Au delà, la démarche qui vous a amené à Hadopi 1 puis Hadopi 2 condamne par avance ce que vous appelez Hadopi 3, dont on ne sait si il s’agit d’une réflexion visant à aboutir à une nouvelle loi ou simplement un écran de fumée supplémentaire.

Vous ne pouvez, en effet, envisager, sans vous poser la moindre question, que la rémunération s’ajoute in fine à la sanction des échanges non commerciaux. Pour nos concitoyens ce serait inacceptable et encore plus incompréhensible que soient ainsi accordés le beurre et l’argent du beurre…

Comme le disait récemment Jacques Attali, je le cite, « le chemin a été très largement miné par des accords entre majors et fournisseurs d’accès pour verrouiller leurs propres catalogues. Et par la loi Hadopi, sans aucune réalité matérielle, qui est venue se mettre au milieu. Les choses doivent donc être mises complètement à plat. »

Jacques Attali ajoute même dans cet interview à Libération du 18 août dernier, je le cite toujours : «Je pense qu’il y aura progressivement la mise en place de licence globale avec un système de répartition des droits qui tiendra compte des véritables usages. Au lieu de savoir ce que monsieur X télécharge, on saura combien de fois tel artiste aura été téléchargé. Ce qui est une totale inversion des choses. Il existe déjà des logiciels qui permettent de le savoir. Il n’est pas plus difficile de connaître le nombre de fois où un film a été téléchargé, que de faire le tour de tous les bals populaires pour savoir quelles musiques ont été jouées par les orchestres amateurs, comme le fait la Sacem depuis un siècle ».

En cela, il rejoint les réflexions du prix Nobel Joseph Stiglitz qui estimait, toujours dans Libération le 15 septembre dernier que, je cite, « le principe d’une contribution raisonnable par utilisateur , à laquelle s’ajouterait une aide du gouvernement au titre de la recherche, est un bon système. Je me montre optimiste sur l’hypothèse d’un nouveau modèle. Nous avons besoin d’un système pour inciter à la création de ce bien public qu’est le savoir. »

C’est ce que nous vainement tenté de défendre, depuis des mois, sur les dans cet hémicycle.

Car, nous considérons qu’en révolutionnant les modes de production et de diffusion, Internet permet d’atteindre ce qui est  l’objectif central que vous avez visiblement oublié de toute politique culturelle : l’accès du plus grand nombre aux contenus du savoir, de la connaissance et des loisirs.

Nous voulons sortir de la logique actuelle perdant-perdant : perdant pour les internautes considérés comme des suspects en puissance ; perdant pour les artistes qui voient le temps passer, les lignes Maginot contournées les unes après les autres et aucune rémunération nouvelle émerger.

Nous avons l’ambition d’inventer un nouveau modèle de régulation assurant à l’offre culturelle les financements dont elle a besoin pour se développer. Laurent Petitgirard, ancien président du Conseil d’administration de la Sacem a lui-même évoqué l’instauration d’une Licence Musique. Même si ce n’est pas la modèle que nous portons mais nous y voyons une avancée. Nous proposons, en effet, un modèle de régulation qui permettra enfin aux artistes de recevoir une rémunération nouvelle adaptée à l’ère numérique.

A défaut, c’est la loi de la jungle assurée, qui permet déjà aux plus puissants de négocier, dans leur coin, des licences privées dont sont exclus les auteurs et les artistes. Or, c’est justement pour les protéger que le droit d’auteur a été créé.

En un mot, avec Hadopi 2 comme avec Hadopi 1, vous avez tout faux et c’est la raison pour laquelle je vous invite à voter cette motion de rejet de ce projet de loi qui fera l’objet, de toute façon, dans les jours à venir,d’un recours devant le Conseil constitutionnel.