Examen des crédits médias – Projet de loi de finances pour 2010

Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Messieurs les rapporteurs,
Mes chers collègues,

En ce jour anniversaire de la chute du Mur de Berlin, événement si déterminant dans l’histoire de l’Europe et de l’Humanité, comment – alors que nous examinons les crédits Médias pour 2010- ne pas rappeler le rôle essentiel qu’a joué et que joue encore la radio quand il s’agit de permettre à des peuples de recouvrer la liberté.

C’est ainsi l’une des missions que continue à remplir les journalistes de RFI et qui permet de ne pas oublier que la France est la patrie des Droits de l’Homme. Il y a juste un an, lors de la discussion au sein même de cet hémicycle de la réforme de l’audiovisuel public, nous dénoncions déjà la fermeture de nombre de stations de RFI à l’étranger ou leur basculement cynique sur Internet dans des pays où il est méthodiquement filtré par les autorités en place. Aujourd’hui, force est de constater que l’entreprise de démolition de cette radio centrale dans le paysage de la francophonie, se poursuit avec tout l’acharnement qu’y met un couple dirigeant contesté pour de multiples raisons.

Après d’autres et tout particulièrement notre collègue Didier Mathus, il n’est que temps, Monsieur le Ministre, d’entendre le message des personnels de RFI mobilisés depuis de longs mois pour empêcher la suppression de 206 emplois que la situation financière de RFI ne justifie en rien, et de mettre ainsi fin à un scandale d’État.

Évoquer, en ce 9 novembre, la fin du rideau de fer, c’est également faire référence à ce choix pour le moins paradoxal qui a conduit le Président de Radio-France à la diffusion d’un programme unique tout au long de cette journée, sur les sept chaines du groupe ainsi réunies en une seule et même antenne, pour -je cite- « retrouver toute la richesse et la diversité » du groupe.

Six mois après la nomination par le pouvoir exécutif de Monsieur Hees à la tête de Radio France où il a succédé à Monsieur Cluzel dont le bilan -notamment en terme d’audience- a été unanimement salué, beaucoup d’interrogations subsistent sur les contenus éditoriaux et le développement du groupe par ailleurs pénalisé financièrement par les travaux de réhabilitation de la Maison de la Radio dont le coût initial a explosé de façon inquiétante.

La récente affirmation formulée par Monsieur Hees, selon laquelle , je cite «  le service public, c’est une radio de l’offre, pas de la demande. L’auditeur paie la redevance, il a envie d’être respecté »  ne peut qu’entretenir le doute sur l’orientation stratégique d’un groupe soumis à forte concurrence comme tous les médias traditionnels.

L’examen des crédits médias pour 2010 qui nous réunit aujourd’hui, nous conduit naturellement à évoquer la situation de France Télévisions près d’un an après le long, très long débat parlementaire qui nous avait occupés à la fin de 2008.
Cet examen intervient, de plus, dans un contexte fortement hypothéqué par le passage au tout numérique qui suscite une forte inquiétude quant au risque réel d’écran noir, lors du basculement annoncé, dans plusieurs zones de réception.

L’actuelle discussion d’une proposition de loi sénatoriale au sein de notre Assemblée a révélé que, loin de la certitude avancée d’un service universel, la disparition massive de plus de la moitié des émetteurs révélait le danger d’une fracture territoriale accentuée par l’abandon de la diffusion analogique. Un comble alors que la TNT est censée représenter pour nos concitoyens un enrichissement technologique de l’offre télévisuelle !

Mais, revenons aux conséquences de la loi du 3 mars 2009 sur l’audiovisuel public. « Tout ça pour ça ! », pourrions-nous dire.

En effet, hormis l’objectif premier poursuivi par Nicolas Sarkozy de mettre sous tutelle politique et budgétaire la télévision publique, que reste-t-il aujourd’hui de ce grand soir audiovisuel annoncé alors si bruyamment?

Il n’y a pas eu, c’est le moins que l’on puisse dire, un effet d’aubaine en terme d’audience pour les chaînes de France Télévisions du fait de la suppression de la publicité en soirée. Et je ne voudrais pas, pour justifier mon propos, utiliser le fait que M6 est passé devant France 3 en terme d’audience en septembre dernier. Pour deux raisons au moins : d’abord, parce que cela n’a pas été confirmé le mois suivant et c’est heureux; ensuite, parce qu’il est regrettable que la réforme mise en place au début de cette année soit ainsi passée à côté de l’essentiel en ce qui concerne notamment France 3, chaîne de la proximité, à savoir répondre à son problème d’identité et à son besoin de créativité pour diversifier les tranches d’âge de son public.

Les parrainages et les placements de produits annihilant, pour la plupart des téléspectateurs, la perception positive qu’ils auraient pu avoir de l’absence d’écrans publicitaires après 20h, c’était un pari bien illusoire et surtout nostalgique – et la nostalgie n’est plus ce qu’elle était…- de croire que la disparition de la publicité pouvait contrer la concurrence que France Télévision, comme les autres chaines historiques, subissent de la part des chaînes de la TNT ou encore d’Internet.

S’il y a fort heureusement une différence entre l’audiovisuel public et les chaines privées, contrairement à ce qu’affirme, de manière si péremptoire, celui qui considère que France Télévisions ne diffuse pas assez d’émissions politiques, elle est indépendante de la réforme engagée. Elle tient avant tout au dynamisme des équipes des chaînes publiques qui refusent la standardisation et l’uniformisation des programmes. En témoigne ainsi le renouvellement de fond en comble de la politique de fictions de France Télévisions alors que le groupe finance à lui seul 50% de la production audiovisuelle, chiffre d’ailleurs inquiétant pour l’avenir de la filière cinéma. Mais c’est un autre débat. Cela dit, encore faut-il que les chaînes publiques aient les moyens financiers de leurs ambitions.

A cet égard, le récent rapport de la Cour des Comptes a sonné, tel un tocsin, pour nous alerter sur le fait que France Télévisions, victime des objectifs changeants et contradictoires de l’État-actionnaire, était – je cite- « une entreprise fragilisée ».

Et comment ne pas mesurer la fragilisation de l’entreprise lorsqu’on  constate qu’une des recommandations de la Cour des Comptes – je cite- « affecter tout aléa favorable sur le chiffre d’affaires publicitaire du groupe à la réduction du déficit du groupe » a été délibérément ignorée par le gouvernement. Nous avons ainsi assisté à un véritable hold-up de l’État actionnaire qui s’est offert honteusement le luxe de récupérer 35 des 105 millions d’euros de recettes publicitaires supplémentaires en journée. C’est « plus belle la vie » pour le gouvernement, Monsieur le Ministre!

Il fallait oser,  alors que le déficit de France Télévisions pour 2009 est de 137 millions d’euros et qu’il aurait pu être réduit non pas à 67 millions d’euros mais à 32 millions ! En conséquence, l’État ne versera au groupe que 415 millions d’euros au lieu des 450 millions dont on nous avait pourtant affirmé qu’ils étaient gravés dans le marbre de la loi !

Revenons d’ailleurs sur ces recettes publicitaires supplémentaires en journée qui ont été une heureuse nouvelle témoignant de l’efficacité et de la capacité d’adaptation des personnels de la « régie publicitaire de France Télévisions » qui – ironie du sort- va être cédée par le groupe en début d’année prochaine, ce qui est à déplorer. Revenons surtout sur la question centrale de la publicité à la télévision et des recettes qu’elle génère, qu’a abordée notre collègue Christian Kert dans son rapport pour avis.

Un peu à l’image du fameux « livre blanc » de TF1 qui a tout déclenché en janvier 2008, les chaînes privées ont tiré la sonnette d’alarme – c’est dans leurs habitudes – pour remettre en cause la taxe sur leur chiffre d’affaires qu’elles ont, par ailleurs, attaquée à Bruxelles.

Or, quelles ont été, mesurées en septembre dernier, les évolutions sur un an des investissements publicitaires bruts : +11,7% pour TF1, +13,1% pour M6, +16,9% pour Canal +?

Comment dès lors ne pas conseiller à nos collègues de la majorité qui, par voie d’amendements, veulent soit nous faire voter un moratoire, soit abaisser le taux de cette taxe à 0,5%, de  donner du temps au temps, surtout si l’objectif qui doit nous rassembler est le financement pérenne de l’audiovisuel public.

Pour conclure, que reste-t-il, finalement aujourd’hui de la réforme votée au début de cette année, sinon le pouvoir que s’est arrogé le Président de la République de nommer et de révoquer, selon son bon vouloir, les trois présidents de la télévision et de la radio publiques. Avec, en prime, la fragilisation financière durable de France Télévisions. En vérité, une double dépendance à l’égard du pouvoir exécutif soigneusement organisée et qui met à mal tant l’indépendance que le pluralisme des médias.

Un dernier mot pour indiquer combien notre groupe est vigilant quant à la situation de l’Agence France Presse. En effet, la récente grève des personnels de l’AFP a traduit leur inquiétude face au projet de réforme modifiant le statut de l’agence.

Nous considérons qu’il faut que le débat public s’ouvre afin que puissent s’exprimer sur la réforme en cours, toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la pérennité de l’AFP, à son indépendance et au pluralisme de l’information qu’elle assure.

C’est la raison pour laquelle notre groupe a saisi Madame Michèle Tabarot, Présidente de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, pour qu’elle organise rapidement des auditions de la Commission permettant d’éclairer la représentation nationale sur les enjeux de la réforme annoncée. Nous nous réjouissons de l’organisation prochaine de ces auditions.