Proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias
Il me revient aujourd’hui de rapporter sur la proposition de loi déposée par le groupe socialiste, radical et citoyen, et visant à réguler la concentration dans les médias. Ce n’est pas la première fois que, dans cet hémicycle, nous abordons cette question. Je rappelle pour mémoire que les deux lois fondatrices, si j’ose ainsi m’exprimer, de 1986 – audiovisuel et presse – ont été modifiées en vingt-trois ans soixante fois pour l’audiovisuel et neuf fois pour la presse.
Que recherchons-nous lorsque nous voulons réguler le secteur de l’audiovisuel ou de la presse écrite, sinon garantir la liberté de communication à laquelle nous sommes tous attachés puisqu’elle fonde notre État de droit et la démocratie dans notre pays ? Encore faut-il que cette liberté d’expression et de communication soit effective.
Nous savons, les uns et les autres, qu’elle est portée par le bel article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, repris par nombre de textes à valeur constitutionnelle et par des conventions internationales. Encore récemment, le Conseil constitutionnel y faisait explicitement référence pour censurer la loi HADOPI dans une décision considérée par les constitutionnalistes comme historique, celle du 10 juin dernier.
Qui dit liberté de communication dit, en corollaire, indépendance des médias et pluralisme de l’expression politique comme de l’information.
L’indépendance des médias ne saurait être un vain mot, d’autant qu’ils sont véritablement devenus un quatrième pouvoir. Or, depuis deux ans et demi, la gouvernance de l’actuel Président de la République permet de moins en moins de garantir la séparation des pouvoirs qui protège l’indépendance et l’autonomie de notre assemblée. Nous l’avons encore constaté ce matin lorsque le Gouvernement, sur des propositions de loi déposées et défendues par l’opposition, a usé de la procédure des votes bloqués. L’indépendance de la justice, celle des médias sont tout autant mises à mal.
Le pluralisme de l’information, de l’expression politique, est en cause. J’en profite, puisque le groupe SRC en avait pris l’initiative, pour me réjouir à nouveau de la décision du Conseil d’État, reprise, par obligation, par le conseil supérieur de l’audiovisuel, et visant à décompter le temps de parole du Président de la République lorsqu’il s’exprime sur des sujets nationaux, dans le temps de parole des représentants des différents courants politiques concourant à l’expression de la démocratie dans notre pays.
De même, je pense que la proposition de loi que je suis amené à rapporter est avant tout le fruit de ce qui caractérise essentiellement le paysage audiovisuel français, dit « PAF » à une certaine époque, mais aussi la presse écrite dans notre pays. La France présente cette particularité, que l’on retrouve d’ailleurs en Italie, de ne pas avoir de « Murdoch », c’est-à-dire de grand groupe multimédias dont le seul métier serait la communication. Nous avons en revanche de grands groupes industriels et financiers dont le cœur de métier est souvent éloigné des métiers de la communication et qui possèdent les grands titres de la presse écrite, mais aussi les grands médias, qu’il s’agisse de la radio ou de la télévision.
Malheureusement, certains de ces groupes, pas tous, dont le cœur de métier, je le répète, n’est pas la communication – vous les connaissez : Arnault, Bolloré, Bouygues, Lagardère, Dassault, Pinault –, sont amenés à vivre des commandes de l’État, donc des marchés publics. Du coup, une relation, un lien coupable, si j’ose dire, s’établit entre eux et le pouvoir exécutif, disons plutôt la puissance publique car le problème ne saurait concerner uniquement l’État.
Les états généraux de la presse s’en étaient d’ailleurs inquiétés. Les journalistes avaient ainsi, le 24 novembre 2008, il y a à peine un an, lancé un appel au théâtre de la Colline, dans le 20e arrondissement de Paris, pour que les législateurs jouent leur rôle de régulateur.
Évidemment, parler d’indépendance des médias, d’indépendance des journalistes, ne saurait se résumer à la question dont nous allons traiter cet après-midi. L’indépendance des équipes rédactionnelles, par exemple, est un sujet essentiel qui nécessitera sans doute que nous tenions notre rôle.
Il reste que, aujourd’hui, s’agissant de la concentration des médias dans notre pays, il ne s’agit pas de revenir sur les seuils définis voici quelques années, les fameux 49 % pour l’audiovisuel et 30 % pour la presse écrite, peut-être parce que TF1 n’occupe plus aujourd’hui la position dominante en termes d’audience qui était la sienne il y a une dizaine d’années, l’arrivée d’internet, la concurrence des chaînes de la TNT conduisant à une répartition plus équilibrée de l’audience, faisant ainsi vivre la diversité. Qui pourrait s’en plaindre ?
De ce fait, nous nous trouvons dans une situation très franco-italienne, en présence de groupes industriels et financiers vivant des commandes de l’État et possédant de grands médias.
Sans doute, ailleurs qu’en France – je pense aux pays anglo-saxons –, parlerait-on spontanément de conflit d’intérêts.
Le problème est également la manière dont le pouvoir est exercé depuis deux ans et demi. Le décompte du temps de parole, tel qu’il résulte des décisions du Conseil d’État et mis en œuvre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, est bien une question d’actualité tant les interventions du Président de la République Nicolas Sarkozy dans les médias sont sans commune mesure avec celles de ses prédécesseurs.
Avant d’être élu, Nicolas Sarkozy, plus et mieux que d’autres, a su se constituer un réseau étroit d’amis. Certes, ce ne sont pas ses amitiés qu’on lui reproche, même s’il a su, de manière assez honnête et visible, les mettre en avant le soir de son élection, le 6 mai 2007. C’est la fameuse liste des invités de Mme Cécilia Sarkozy au Fouquet’s, que j’ai annexée au rapport que j’ai l’honneur de vous présenter.
Ainsi, le directeur de Paris Match se fait « vider » à cause de la parution d’une photo ayant déplu à l’Élysée. Le directeur du Journal du dimanche se fait lui aussi évincer pour une indiscrétion dont la révélation n’a pas plu à l’Élysée. M. Laurent Solly, après avoir été directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, occupe désormais une responsabilité essentielle à la tête de TF1. Je pourrai citer d’autres exemples de ce type.
Rappelez-vous cet incident, lorsque nous avons examiné le projet de loi HADOPI : M. Bourreau-Guggenheim, un grand cadre de TF1 chargé des questions relatives à internet s’est adressé, en tant que citoyen, à Mme Françoise de Panafieu, députée du 17e arrondissement où il habite, pour lui exprimer son hostilité à ce texte. Mme de Panafieu a transmis ce courriel à Mme Albanel, alors ministre de la culture et de la communication et, bien que le courriel soit considéré comme une correspondance privée, ledit message peu amène à l’égard du projet HADOPI a été transmis à la direction de TF1 qui a licencié sur le champ M. Bourreau-Guggenheim !
Le temps passe et je ne saurai trop solliciter votre patience, chers collègues, mais laissez-moi encore vous demander si l’on peut contester le fait que le Livre blanc de TF1, paru à la fin de 2007, soit à l’origine de l’annonce par le Président de la République, le 8 janvier 2008 à l’occasion de ses vœux à la presse, de la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public !
De la même manière, au mois de septembre, sans doute après un coup de fil de M. Martin Bouygues, le Président de la République, tout à coup, alors que le processus était lancé, s’interrogeait sur la réelle nécessité d’avoir un quatrième opérateur de téléphonie mobile – l’opérateur Free est a priori le mieux placé. Tout cela parce que cela déplaisait aux opérateurs en place et à Bouygues Télécom en premier lieu !
Il convient, en outre, de relier très directement la présente discussion à la demande par le groupe SRC de la constitution d’une commission d’enquête, demande déjà examinée par la conférence des présidents et prochainement par le bureau de l’Assemblée et par la commission des lois mardi prochain. Au-delà de la quantité des sondages commandés par la Présidence de la République – plus de trois par semaine –, au-delà des suspicions de surfacturation dont Jean Launay, rapporteur spécial de la commission des finances, reprenant les travaux de la Cour des comptes, s’est largement fait l’écho, ce qui nous interpelle, c’est que ces sondages aient été complaisamment publiés dans des médias amis – LCI et TF1 pour ne pas les citer –, l’un appartenant au groupe Dassault, l’autre au groupe Bouygues.
On ne manquera pas de souligner que l’organisation Reporters sans frontières a publié récemment un classement mondial des pays en fonction de leur respect de la liberté de la presse. Que nous siégions à gauche de l’hémicycle ou bien à droite…même si aujourd’hui il n’y a personne a gauche ,parce que nous nous trouvons dans la situation où les élus du groupe SRC, plus à l’aise que vous en la matière, essaient tout simplement de faire en sorte que le Parlement existe face à un hyperprésident qui, dans le domaine que nous évoquons en ce moment tout comme en ce qui concerne l’activité législative, viole délibérément le principe de séparation des pouvoirs.
On nous a vendu une révision constitutionnelle, on a réformé le règlement de l’Assemblée nationale. Alors qu’une journée est intégralement consacrée à l’examen de trois propositions de loi socialistes, la seule réponse du Gouvernement, dès ce matin, par la voix de Mme Bachelot, a été celle du vote bloqué. Comprenez que nous ayons décidé de boycotter cette séance ! Pour ma part, si je me trouve à cette tribune, c’est parce que je remplis ma mission de rapporteur de la commission.
Je reviens à mon propos. Pouvons-nous nous satisfaire du fait que la France qui, en matière de liberté de la presse, occupait la onzième place dans le monde en 2002, ait rétrogradé en 2009 à la quarante-troisième place ? Songez que l’Italie de Berlusconi ne se situe pas loin derrière, à la quarante-neuvième position…
Cette proposition de loi vise tout simplement à assurer l’indépendance des médias, le pluralisme de l’information et de l’expression politique ; à garantir la possibilité pour les journalistes de faire leur travail avec un minimum d’indépendance ; à mettre un terme à des conflits d’intérêts inacceptables. Il s’agit tout simplement, dans le domaine si sensible de la liberté d’expression, que l’Italie de Nicolas Sarkozy (Sourires), pardon, la France de Nicolas Sarkozy ne ressemble pas à l’Italie de Silvio Berlusconi.
Vous avez une chance à saisir et j’espère que vous la saisirez.
Malgré mes tentatives pour convaincre mes collègues de la majorité au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je me dois, en tant que son rapporteur, de vous indiquer qu’elle a rejeté les deux articles de cette proposition.