Journée nationale du souvenir de la déportation

Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Président de l’Union des Associations d’Anciens Combattants et Victimes de Guerre du 11e arrondissement,
Monsieur le Président de l’Association des Déportés Internés Résistants et Patriotes du 11e arrondissement,
Mesdames et Messieurs les déportés et résistants et anciens combattants,
Mesdames et Messieurs,

Mettre des mots sur des événements ou des choses, c’est nécessairement s’assurer de leur existence, de leur permanence. Aussi, alors que 65 années se sont écoulées depuis la libération des camps, est-il de notre devoir, en ce jour – et encore plus qu’hier –, de mettre des mots sur l’indicible, sur l’incompréhensible.

« Ils ne peuvent pas vraiment comprendre ». Voilà quelle était la certitude du jeune rescapé Jorge SEMPRUN, faisant face aux trois officiers, dont un français, à qui il essayait, le 12 avril 1945 au matin, aux portes du camp de Buchenwald à peine libéré, de raconter ce qui s’était déroulé ici.

Ces trois officiers en uniforme britannique, les yeux remplis de l’horreur qu’ils pouvaient lire dans ceux du jeune résistant espagnol, au « corps dérisoire », au « corps amenuisé», ne pouvaient prononcer aucun mot. Ils étaient submergés par ce qu’ils découvraient.

Depuis, le temps a passé. L’horreur, pour autant, doit rester présente. Et les mots aujourd’hui ne doivent plus nous manquer.

Il est ainsi de notre devoir de raconter sans relâche ces heures les plus sombres de notre histoire. En reprenant notamment ces mots de Jorge SEMPRUN, il est de notre devoir de raconter « la fumée du crématoire, la chair brûlée (…), les appels sous la neige, les corvées meurtrières, (…), l’espoir inépuisable, la sauvagerie de l’animal humain, (…) et la nudité fraternelle et dévastée du regard des copains ».

Voilà décrit en quelques mots simples – qui ont la force saisissante de la vérité –, ce que fut l’enfer des camps de concentration et d’extermination ; ce que fut la folie meurtrière du régime nazi qui, de mars 1933 et l’ouverture d’un camp à Dachau jusqu’à mai 1945 et la libération du dernier camp à Mauthausen, a commis l’irréparable et mis nos consciences face à l’horreur que représentent ces millions de morts.

Se souvenir de tous ces morts, leur donner une place déterminante dans notre mémoire collective c’est éviter qu’ils ne meurent complètement. Aussi, si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est pour ramener dans notre présent, ces enfants, ces femmes et ces hommes qui ont été emportés par la barbarie d’un régime et les complicités  – ô combien coupables ! – de certains, et notamment de l’Etat français.

Depuis la France, au cours de la guerre, à la demande des autorités nazies, 140 000 personnes ont été déportées. 76 000 étaient des Juifs de nationalités française ou étrangère, dont 11 000 enfants. Le bilan de cette extermination programmée, de cet anéantissement voulu des Juifs, de tous les Juifs est effroyable : seuls 2 000 reviendront de l’enfer des camps.

Depuis la France également, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes furent déportés au titre de la répression de la lutte contre l’occupant. Moins de la moitié rentrèrent. C’était pour la plupart des résistants qui luttaient contre la barbarie d’un régime qui ne tolérait pas ce qui n’entrait pas dans sa conception de l’Homme et de la société.

Oui, nous devons nous souvenir que le régime nazi contestait la condition d’Homme en fonction de critères qui justement sont les fondements mêmes de l’individu : ses origines ou encore ses choix les plus intimes comme ses préférences sexuelles ou ses choix spirituels. Au cœur de l’idéologie nazie, les plus fragiles, ceux que le handicap frappait perdaient également leur condition d’Hommes.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour nous souvenir du supplice de celles et ceux, jeunes et moins jeunes qui, emportés par la barbarie nazie, furent déportés vers les camps de concentration et d’extermination et n’en revinrent jamais.

Nous voulons également honorer toutes celles et tous ceux qui ont connu la déportation et rendre hommage à leur courage face aux souffrances effroyables qu’ils ont traversées.

Il y a 65 ans je le disais, les camps étaient libérés. Etrange adjectif toutefois que celui de « libéré » car, en effet, peut-on vraiment dire que l’on se libère des camps ?

Non, on ne le peut pas ! On ne le doit pas !