Proposition de loi relative à l’équipement numérique des établissements de spectacle cinématographiques

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Chers collègues,

 

Le monde du cinéma est en pleine révolution : une révolution numérique.

Sachons donc être pleinement conscients de ce qui est devant nous. Une révolution, en effet, n’est pas une simple évolution qui touche quelques uns, souvent ceux les plus au fait des choses. Elle consiste en un changement immédiat et général. Qui en est écarté se trouve donc, de fait, en retrait du monde.

Les avantages de ce passage au numérique sont connus : une meilleure qualité des images et du son, une souplesse dans la programmation grâce à une meilleure répartition des copies et enfin, une plus grande facilité logistique pour les exploitants qui, du fait de la dématérialisation des supports, se libèrent des contraintes de transport et de gestion des bobines.

La technologie de projection numérique présente cependant un inconvénient immédiat et de taille : celui du coût de sa mise en place. Si pour les distributeurs, la dématérialisation se traduit par des gains instantanés du fait du moindre coût des supports et des économies d’échelle, elle implique, en revanche, pour les exploitants de salles, des coûts d’équipement importants, qu’ils ne sont pas tous en mesure de supporter équitablement.

En visant à faciliter l’équipement numérique des salles, cette proposition de loi constitue donc une avancée. Il existe cependant des risques que nous ne saurions ignorer et qui concernent ainsi les conditions d’exposition des films qui peuvent se dégrader si nous n’y prenons garde. Je pense notamment à la rotation accélérée des copies, à la multiprogrammation, à l’explosion du nombre des copies, aux écrans partagés.

La France bénéficie d’un parc de salles de cinéma unique au monde caractérisé par la diversité et le nombre des établissements ; en tout plus de 2 070 totalisant 5 400 écrans. A ce titre, il est crucial de ne pas bouleverser les équilibres de la profession qui assurent notamment une richesse dans la programmation des œuvres.

Le projet de financement proposé, en octobre 2009, par le CNC, basé sur la mutualisation des redevances des copies virtuelles et des coûts d’équipement des salles apparaissait comme un système efficace permettant un accès non discriminatoire de l’ensemble des établissements cinématographiques et des distributeurs à la technologie numérique.

La remise en cause, le 2 février 2010, par l’Autorité de la concurrence de ce projet, qui faisait pourtant l’objet d’un consensus entre les différentes branches de la profession, réclame que nous inventions d’autres solutions permettant d’atteindre – ce que rappelle d’ailleurs l’Autorité – cet « objectif d’intérêt général » que constitue la numérisation des salles de cinéma.

La contribution obligatoire contenue dans cette proposition de loi visant à faire participer les distributeurs qui, du fait du passage de la copie argentique à la copie numérique, réduisent leurs charges d’exploitation, semble répondre pour une part – mais pour une part seulement ! – à l’enjeu que constitue la numérisation des salles.

A ce jour, près du tiers des salles – très majoritairement celles des grands groupes – sont déjà équipées. La contribution obligatoire, par les transferts générés, permettra à un second tiers d’accéder au numérique. En revanche, le problème se pose pour le dernier tiers que constituent les salles les plus petites, les salles d’art et d’essai et les salles associatives qui, pourtant, sont des acteurs essentiels au maintien de la diversité de l’offre cinématographique.

Le système de contribution obligatoire tel que le prévoit cette proposition de loi ne bénéficiera, en effet, qu’aux salles ayant accès aux films dès leur sortie nationale et pouvant également programmer simultanément plusieurs films nouveaux. Les salles  de continuation ou les salles ayant peu d’écrans ne bénéficieront pas de contributions numériques leur permettant de s’équiper. Dès lors, ne pouvant s’intégrer pleinement dans cette révolution numérique, elles courent le risque d’être, progressivement, mises à l’écart . A cela, il convient de remédier résolument.

Chers collègues, nous ne doutons pas que la contribution obligatoire permettra à une partie du parc des salles de cinéma de s’équiper en numérique. Croire, en revanche, qu’elle bénéficiera à l’ensemble du parc et notamment aux salles qui n’existeraient pas sans le soutien des collectivités territoriales que, par ailleurs, on étrangle financièrement, serait faire preuve d’un excès de confiance.

Le travail en commission, suite au rapport de Michel HERBILLON, dont je veux après d’autres souligner la connaissance fine du sujet qui nous intéresse aujourd’hui, a déjà permis d’amender de manière conséquente le texte initial. Je citerai, entre autres, l’article 5 qui vise à fixer les loyers des salles de cinéma de centre ville en fonction des usages de la profession, afin de protéger ces dernières de la pression foncière qui les y font disparaître. Le groupe Socialiste, Radical, et Citoyen (qui votera ce texte) soumettra à votre approbation plusieurs amendements visant notamment à encourager la mutualisation et à garantir la diversité de la programmation. Il s’agira par ce biais de s’assurer de la pérennité des acteurs les plus fragiles de la filière.

Si elle devait faire disparaître ces mêmes acteurs, la révolution numérique ne serait pas seulement un formidable progrès ; elle serait également une terrible régression. Nous nous devons, de fait, mes chers collègues, de ne pas considérer notre travail terminé une fois cette proposition de loi votée. Après le temps législatif, s’imposera à nous un devoir de vigilance.