Indépendance des rédactions – Explication de vote

 

 

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,

 

Lorsqu’un pouvoir ne supporte pas les contre-pouvoirs et qu’il n’a pour objectif que de les réduire, il devient progressivement un pouvoir absolu. C’est pour se prémunir de ces possibles dérives qui visent indifféremment le Parlement, la Justice, les Médias ou les Syndicats que la représentation nationale ne peut rester inactive.

 

S’agissant plus particulièrement des médias, comment ne pas rappeler que la liberté d’informer et que la liberté de communiquer sont désormais garanties par l’Article 34 de la Constitution. Et pourtant, comment ne pas constater qu’entre surveillance malsaine et interventionnisme à tout-va, l’air devient peu à peu irrespirable dans notre démocratie.

 

La réforme de l’audiovisuel de 2009 qui montre d’ores et déjà ses limites, en plaçant les sociétés de radio et de télévision publiques dans une double dépendance politique et budgétaire à l’égard du pouvoir exécutif, a, à cet égard, été un bien mauvais signe donné par le Président de la République lui-même.

 

Que dire de la loi censée renforcer la protection des sources des journalistes que votre gouvernement a fait voter ici même au début de cette année et qu’il est pourtant amené à bafouer régulièrement en entravant le travail d’investigation qui est le fondement même de la liberté de la presse. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre groupe a pris l’initiative de demander la création d’une commission d’enquête visant à faire toute la lumière sur les soupçons répétés qui pèsent sur certains services de l’Etat.

 

La proposition de loi relative à l’indépendance des rédactions qui est soumise aujourd’hui au vote de notre Assemblée s’inscrit dans ce contexte où la liberté d’informer est régulièrement remise en cause dans notre pays. Elle est naturellement en cohérence avec celle que notre groupe avait vainement défendue, il y a un an, pour lutter contre la concentration dans les médias en privant les grands groupes industriels et financiers qui vivent des commandes de l’Etat, de la possibilité de posséder des titres de presse écrite ou audiovisuelle.

 

De quoi s’agit-il aujourd’hui? Avant tout, de rééquilibrer les rapports entre les rédactions, c’est à dire les journalistes, et ceux qui possèdent les médias, à savoir les actionnaires.

 

Pour cela, nous sommes convaincus de la nécessité que chaque entreprise de presse se dote soit d’une équipe rédactionnelle autonome et permanente, soit d’une société de journalistes et que celles ci aient des pouvoirs, notamment en cas de changement d’actionnaire, de nomination d’un nouveau directeur de rédaction ou, tout aussi concrètement, pour faire respecter la charte de déontologie.

 

Qu’il s’agisse des syndicats ou du Forum des Sociétés de Journalistes, tous ceux qui font les journaux parce qu’ils les écrivent, portent le même volonté de refuser le mélange des genres et de réaffirmer clairement le cloisonnement entre l’éditorial et l’économique. Cet impératif vient d’être rappelé avec force lors des Assises internationales du journalisme qui se sont tenues, la semaine dernière, à Strasbourg.

 

De fait, il n’est que temps d’agir. L’indépendance des rédactions est aujourd’hui d’autant plus menacée que la crise de la presse entraîne précarisation des rédactions, baisse des rémunérations, recours croissant aux piges et aux contrats à durée déterminée…

 

Une entreprise de presse, faut il le rappeler, n’est pas une entreprise comme les autres : y est en jeu la liberté constitutionnelle d’informer qui doit, à ce titre, être protégée et nous ne pouvons accepter la diabolisation de notre texte qui, selon le gouvernement et sa majorité, ferait fuir les investisseurs.

 

Bien au contraire, notre initiative, en rétablissant la confiance perdue par nos concitoyens dans les médias représente une opportunité économique pour la recherche ou la reconquête d’un  lectorat.

 

Chers Collègues, compte tenu de notre attachement à l’histoire de notre pays, patrie des droits de l’homme et des libertés, nous regrettons tous – je l’imagine – que la France, qui occupait en 2002 la onzième place dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse dans le monde, occupe aujourd’hui la quarante-quatrième place. Le vote de cette proposition de loi permettrait sans aucun doute à notre pays de faire un grand bond en avant, et de remonter dans ce classement dès 2011.

 

Vous l’avez compris, de la même manière que les ondes ont été libérées en 1981, il s’agit aujourd’hui de libérer les rédactions.