Discussion générale – Projet de loi sur le Défenseur des Droits

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Je souhaite m’attacher tout particulièrement à la situation du Défenseur des Enfants, intégré, devrais-je plutôt dire noyé au sein de cette nouvelle supra-entité appelée Défenseur des Droits, aux côtés désormais  : du contrôleur général des lieux de privation de liberté, du Médiateur de la République, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et de la Halde.

Quelles seront les conséquences immédiates si ce projet de loi est voté ? Les enfants n’auront plus de référent dûment identifié auquel faire appel.  Comme l’indique Dominique Versini, je la cite, « Les enfants nous écrivent et nous envoient des mails parce qu’on s’appelle Défenseur des enfants. Ils n’écriront pas à une superstructure qui s’appelle Défenseur des droits parce qu’ils ne comprendront pas à quoi cela correspond ». Alors vous nous parliez, Monsieur Ollier cet après-midi, de pouvoirs nouveaux, d’une place particulière octroyée en interne à celui ou celle chargé des droits des enfants, ou encore d’un rapport annuel spécifique… Quel intérêt si toute visibilité lui a préalablement été enlevée du fait de sa perte d’autonomie et même si le titre demeure.

Veiller au respect des droits de l’enfant devrait être un vrai combat, un objectif nous mobilisant sur tous les bancs de notre Assemblée. D’ailleurs, en tant qu’ancien Président d’une Mission d’information sur la Famille et les droits de l’enfant en 2006, je souhaiterais rappeler ce que notre rapporteure, Valérie Pécresse préconisait alors à ce sujet.

La Mission avait, en effet,  formulé deux propositions majeures : la première visait à ce que le Défenseur des enfants soit, comme d’autres autorités administratives indépendantes, obligatoirement consulté sur les projets de loi concernant les enfants ou leurs droits ; la seconde visait à ce que le Parlement se dote de délégations parlementaires aux droits de l’enfant.
L’objectif était clair : étendre les missions du Défenseur des enfants.  C’est d’ailleurs ce qui devrait guider nos travaux : avancer vers toujours plus de respect des droits et non porter des coups contre la protection de l’enfance en mettant brutalement un terme à la dynamique enclenchée en 2000, année de la création du défenseur des enfants.

En 2009, les observations rendues par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies concluaient au besoin, (je cite) : « de renforcer le rôle de la Défenseure des enfants (…) et de lui allouer les ressources financières et humaines suffisantes pour qu’elle puisse s’acquitter efficacement de son mandat ». La voie empruntée aujourd’hui par le Gouvernement en noyant l’institution au sein d’un magma informe, ne concourt pas, c’est un euphémisme, à cet objectif…

Professionnels, institutions et associations mobilisées pour les droits de l’enfant en appellent à notre responsabilité. Il est encore temps de les entendre.

Ainsi, Chers Collègues, Jacques Hintzy, président de l’Unicef France, nous a interpellés, le week-end dernier, en vous rappelant, je le cite, que « les enfants n’ont pas de représentation politique, pas de lobby. Le Défenseur des enfants est leur unique avocat. Si le texte est adopté en l’état, ils vont perdre leur seul représentant. Nous sommes [vous êtes] en train de démolir une institution incontournable ». C’est aussi ce qu’ont bien compris les 80% de nos concitoyens qui souhaitent le maintien d’une institution indépendante et identifiée.

Indéniablement, la mise en place du défenseur des droits tel que proposé sera, à juste titre, considéré comme un net recul en matière de défense des droits. Quel gâchis pour un enjeu tellement majeur!

Regrettons cette fusion à géométrie variable créée sans consultation préalable, sans coordination, et surtout sans vision globale des questions posées.

Le pouvoir octroyé au défenseur des droits intuitu personae au détriment de ses adjoints est d’ailleurs, en soi, un très mauvais signe alors même que la collégialité des décisions fait sens dans ces instances. Au delà, non seulement les adjoints du défenseur des droits seront cantonnés à des rôles de collaborateurs mais, de surcroît, la consultation des collèges est rendue facultative, et n’a pas (si elle a été demandée) à être suivie par le Défenseur des Droits qui, de son côté, n’aura pas à justifier en droit ses décisions. Avouez que notre inquiétude a de sérieuses raisons de s’exprimer!

Je ne reviendrai pas sur la désignation du Défenseur des Droits par le Président de la République qui, nous l’avons vu dans le domaine de l’audiovisuel public notamment, ne fera qu’entacher de suspicion ses décisions.

Or, compte tenu des pouvoirs donnés au seul Défenseur des Droits, placé au sommet d’une pyramide hyper-hierarchisée, statuant sur des sujets extrêmement sensibles touchant aux libertés individuelles mais aussi aux liens entre administration et citoyen, ses décisions doivent être incontestables. La question de son indépendance est, de fait, fondamentale. C’est d’ailleurs pourquoi cette nomination intervient dans d’autres pays à une majorité extrêmement large afin de trouver la personnalité qui non seulement fait consensus mais qui tire de cette désignation sa légitimité et sa force.

Mais il est vrai qu’en France, depuis 2007, il ne s’agit malheureusement plus dans cet hémicycle de légiférer avec le sens de l’intérêt général. Il s’agit d’éliminer, méthodiquement, tous les contre-pouvoirs qui peuvent gêner le Chef de L’Etat et son gouvernement, quitte – pour cela- à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant qui est pourtant au coeur de la CIDE dont la France est signatire, en fasse les frais.