Bioéthique – Discussion Générale

Occasion manquée : tel est incontestablement le désolant constat que l’on peut d’ores et déjà dresser de cette révision, pourtant programmée, des lois bioéthiques. On est même passé, au fil de l’examen du projet en commission spéciale, de l’ambition certes très limitée qu’affichait le texte du Gouvernement, à un statu quo que la frange la plus ultra, la plus conservatrice, la plus intégriste de cet hémicycle a jugé cependant insuffisant au regard des objectifs proprement réactionnaires qu’elle s’est fixés.

En témoigne son offensive, pour l’instant couronnée de succès en commission, qui vise à limiter dramatiquement à trois – pourquoi trois, d’ailleurs, quel est le fondement scientifique de ce chiffre ? – le nombre d’ovocytes fécondés dans un processus de fécondation in vitro.

Les députés socialistes doivent non seulement regretter cette révision pour rien, mais également résister au scandaleux retour en arrière qu’on veut nous imposer.

Finalement, et comme il est ici beaucoup question de filiation sociale, de filiation biologique, force est de constater la filiation politique de cette droite ringarde qui, au milieu des années 70, s’opposait – et avec quels mots ! – à la légalisation de l’IVG, qui, il y a une douzaine d’années, tentait, toujours avec les mêmes mots de haine et d’intolérance, d’empêcher l’adoption du PACS et qui, aujourd’hui, est une nouvelle fois à la manœuvre au sein de notre assemblée pour tout simplement réfuter l’idée même de progrès.

Et pourtant, entre 2004 et 2011, en sept ans, la recherche scientifique, et plus particulièrement la recherche médicale, a progressé et la société a bougé. Ainsi, comment ne pas constater que les nouvelles formes de parentalité ont explosé, que le progrès scientifique, justement, permet maintenant de répondre à un désir d’enfant si facilement stigmatisé et trop rapidement opposé à l’intérêt supérieur de l’enfant par ceux-là mêmes qui utilisent régulièrement les droits de l’enfant pour réduire les droits des femmes ?

Il y a un demi-siècle, on imposait aux futurs parents la naissance d’enfants non désirés ; aujourd’hui, on veut continuer à interdire à des parents la naissance d’enfants désirés au prétexte que la procréation devrait rester pour l’éternité le fruit de la rencontre d’un homme et d’une femme.

Comment ne pas constater, à l’heure de la mondialisation et des sociétés ouvertes, que des pays proches culturellement ou géographiquement de la France font preuve d’une grande capacité d’innovation dans leur droit de la famille et d’une attention à la lutte contre les discriminations, sans que les fondements de la société s’en trouvent pour autant ébranlés ? Comment justifier, en ce domaine, une sorte d’exception française ?

Comment ne pas prendre la pleine mesure des évolutions des modes de vie familiaux provoquées par l’explosion du nombre des naissances hors mariage, désormais majoritaires, par la multiplication des recompositions familiales, par le choix d’élever un enfant seul ou avec un compagnon ou une compagne du même sexe, par le succès du pacte civil de solidarité, lequel a déjà répondu à l’attente d’un million de nos concitoyens ?

Comment continuer à privilégier de manière disproportionnée la dimension biologique de la filiation en la considérant comme une garantie de sécurité pour l’enfant ? L’existence de liens biologiques entre l’enfant et les adultes qui l’élèvent n’a pourtant jamais été l’assurance d’une bonne éducation.

Comment ne pas regretter, d’ailleurs, que notre conception de la protection de l’enfance repose encore aujourd’hui sur une idéologie du lien familial, et ne pas préconiser, dans l’intérêt de l’enfant, un recours plus fréquent à une famille d’accueil ?

Fonder la famille sur le lien biologique, c’est faire peu de cas de la souffrance des couples touchés par l’infertilité et avoir peu de considération pour leurs capacités à élever un enfant. C’est oublier trop rapidement toute une dimension de notre droit civil qui, par la possession d’état et la présomption de paternité, permet d’ancrer la filiation en dehors de liens biologiques, en confiant l’enfant à la personne qui l’élève et pas nécessairement à celle qui l’a conçu.

Cette primauté donnée au biologique conduit à justifier les conditions restrictives actuellement requises pour adopter conjointement – former un couple de sexe différent, de plus marié – par la vraisemblance biologique qu’elles offrent. Il faudrait réserver l’adoption aux parents qui pourront faire croire à l’enfant adopté qu’il a été conçu par eux… Peut-on toujours fonder une règle de droit sur un faux-semblant au moment où la société aspire à davantage de transparence ?

L’intérêt de l’enfant est sans aucun doute le critère le plus pertinent pour faire évoluer notre droit de la famille. Faut-il pour autant opposer d’emblée les droits de l’enfant aux aspirations des adultes – assimilées rapidement à une revendication d’un droit à l’enfant –, sans vérifier s’ils peuvent être compatibles ? Pourtant, en offrant à certains couples infertiles la possibilité de procréer grâce à l’aide de la médecine, la loi permet déjà de satisfaire un désir d’enfant que la nature empêche, et reconnaît ainsi une forme de droit à l’enfant, sans que le législateur y ait vu une atteinte aux droits de l’enfant.

C’est la raison pour laquelle, après avoir pris position, en 2004, pour l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, les socialistes revendiquent aujourd’hui l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux femmes sans conditions de situation de couple ou d’infertilité : autrement dit, l’AMP doit devenir, de notre point de vue, accessible à toute femme, stérile ou non, qu’elle soit célibataire, en couple avec un homme ou en couple avec une femme.

Au-delà de l’application couperet de l’article 40 à bon nombre de nos amendements, nous regrettons que l’on n’ait pas saisi l’opportunité de cette révision des lois de bioéthique pour répondre aux coups de boutoir de la jurisprudence. Dans nombre d’affaires, en effet, plaidées tant au sein de nos juridictions nationales qu’au niveau européen, le juge a interpellé le législateur pour lui demander de prendre ses responsabilités.

Mais il est une autre occasion manquée : il ne nous a pas été permis de débattre dans cet hémicycle de la maternité pour autrui.

N’est-il pas paradoxal que ce sujet soit débattu dans la société, mais pas dans notre assemblée ? Au-delà de nos divergences, nous aurions pu échanger sur les valeurs respectables que sont l’éthique du don, l’altruisme, la valeur du consentement. J’ai encore à l’oreille la voix de notre collègue Jacques Domergue citant Emmanuel Vitria qui, chaque année, recevait la mère de l’enfant qui lui avait donné un nouveau cœur, afin qu’elle puisse l’entendre battre encore. C’est cela, l’éthique du don.

C’est cela, l’altruisme. C’est cela, la valeur du consentement.

Ce sont des valeurs respectables, elles sont au cœur de notre débat.

Un débat sur la maternité pour autrui nous aurait peut-être permis d’évacuer les faux procès. Je suis convaincu que nous poursuivons tous ici le même objectif : bannir toute instrumentalisation, toute marchandisation du corps de la femme ; mais nous divergeons sur les moyens de l’atteindre. Faut-il maintenir une interdiction qui n’a été instituée qu’il y a vingt ans ou aller vers une légalisation évidemment encadrée ?

J’espère au moins que notre assemblée réservera un accueil favorable à l’amendement qui tend à assurer une filiation aux enfants nés par GPA à l’étranger. C’est en effet au nom même de l’intérêt de l’enfant, aux termes de la convention internationale de New York de 1989 dont la France est signataire, que nous espérons que sera autorisée cette inscription à l’état civil qui permettra à ces enfants de ne plus être des orphelins juridiques.

Reste, peut-être, un ultime regret : nous sommes nombreux dans cet hémicycle à appeler de nos vœux le vrai rendez-vous législatif qui permettra d’adapter la loi au progrès scientifique, au progrès médical, à l’évolution de la société. Mais, en ce domaine – et c’est un défaut supplémentaire du projet de loi qui nous est soumis –, nous avancerons désormais sans calendrier ni rendez-vous programmé.