Prix du livre numérique
Chers collègues,
la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a, initialement, suscité un réel intérêt de toute la filière du livre. Elle a même levé un espoir chez les auteurs dont certains dénonçaient, en décembre dernier, « les inéquitables droits du livre numérique ». D’ailleurs, plusieurs d’entre eux nous ont collectivement interpellés en créant le collectif du 4 février, comme le rappelait Marcel Rogemont. Or force est de constater que le risque est grand de les décevoir si le texte de la commission est adopté en l’état.
De quoi s’agit-il aujourd’hui exactement ? Il est question de proposer, et c’est ce qui nous rassemble dans cet hémicycle, un prix unique pour le livre numérique. Nous partageons naturellement le souci majeur visant à réguler ce marché naissant en imposant un prix unique pour tous les revendeurs et détaillants. Dans notre esprit, il s’agit de prolonger les objectifs de la loi Lang afin de maintenir la diversité de l’offre et des points d’achats ; en bref, de continuer à préserver le cercle vertueux mis en oeuvre en 1981 pour toute la chaîne du livre en France.
À l’évidence, le numérique bouleverse les usages et les modèles économiques. Nous sommes dans une réelle mutation et il est d’ailleurs très difficile de définir aujourd’hui ce que sera le livre numérique au sens large du terme. En effet, nous nous attachons aujourd’hui aux livres dits « homothétiques », livres publiés sous format numérique présentant un contenu intellectuel et répondant à un principe de réversibilité – c’est-à-dire également imprimés ou imprimables sans perte significative d’information –, ce qui correspond à un segment seulement de ce que peut recouvrir la dénomination du livre numérique.
À cet égard, est renvoyé à un décret le soin de préciser les caractéristiques des livres entrant dans le périmètre d’application de la proposition de loi. Dans cette attente, et en l’absence de précisions, nous avons déposé un amendement visant à ce qu’il soit, à ce stade, clairement indiqué dans le texte qu’il ne s’applique pas à une œuvre dont la diffusion commerciale autorise, sans limitation quantitative, la copie et la redistribution du livre par tout acquéreur, c’est-à-dire les œuvres sous licences libres comme les licences copyleft du type Creative Commons, Art Libre, etc. Une certaine inquiétude a pu naître à laquelle il nous a semblé utile de répondre.
De la même manière, nous jugeons important d’exclure explicitement les bibliothèques publiques et les offres destinées à d’autres niveaux que l’enseignement supérieur, comme les collèges et les lycées.
Au-delà, il sera nécessaire de bien évaluer les contours de l’application de cette loi. Nous avons, à cet égard, entendu la préoccupation d’acteurs du secteur tels que la coopérative publie.net. Dans le même état d’esprit, je crois qu’il faudra veiller à ce que le livre numérique soit, après son achat, « interopérable », condition nécessaire à son réel développement.
Revenons à la question de la rémunération des auteurs, essentielle pour nous. Le modèle n’est pas consolidé, nous dit-on. Il faut laisser aux professionnels du secteur du temps pour se mettre autour de la table, et donc attendre. Mais c’est justement parce que le modèle est en train de se mettre en place sous nos yeux que notre rôle de législateur est aujourd’hui de lui donner un cadre et de rappeler la nécessité de rémunérer les auteurs autrement, alors même que les coûts de fabrication changent.
Par ailleurs, nous regrettons vivement la rédaction issue de la commission visant à exclure du champ d’application de cette loi, les plates-formes de vente de livres numériques établies hors de France et vendant à des acheteurs français. Car, par définition, la concurrence en la matière est aussi extraterritoriale et il serait contreproductif de fixer un cadre contraignant pour les libraires nationaux quand les grandes plates-formes étrangères en seraient exclues.
Alors que nous voyons, en ce moment même, les effets des méthodes d’Apple concernant la vente de la presse en ligne, nous ne pouvons pas ne pas tenter de leur imposer le cadre législatif que nous sommes en train d’élaborer. Nous souhaitons ainsi, et nous espérons vivement être entendus, que le prix de vente qui sera fixé s’impose à toutes les personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France et établis ou non dans notre pays.
Comment capituler avant d’avoir livré bataille ? Nous considérons que la France doit défendre à Bruxelles cette disposition en la fondant sur l’objectif de promotion de la diversité culturelle et linguistique prévu par le droit communautaire. Et nous rejoignons nos collègues sénateurs qui ont vu dans cette disposition une occasion de vérifier que la Commission européenne fait bien de cette clause de la diversité culturelle l’interprétation positive que la totalité des États, ou presque, a souhaitée. Et puisqu’une réunion aura lieu à la Commission européenne avec les ministères de la culture des vingt-sept États membres le 24 février prochain, il nous semble plus que jamais opportun de voter aujourd’hui ces dispositions pour vous aider, monsieur le ministre, à brandir l’exception de diversité culturelle, à nos yeux, fondamentale.
Nous saisissons cette occasion car nombre d’acteurs culturels de notre pays regrettent trop souvent l’absence d’une voix forte pour les défendre au niveau européen.
J’en veux pour preuve le vote récent de notre assemblée, au mois de janvier dernier – j’y étais, comme on dit ! – à l’occasion d’un texte visant à l’adaptation de notre législation au droit européen en matière de santé, de travail et de communications électroniques. La majorité a été amenée à adopter une disposition qui a créé une distorsion entre les entrepreneurs de spectacles établis en France, qui sont soumis à un régime d’autorisation, et les entrepreneurs de spectacle européens établis hors de France, qui sont désormais seulement soumis à un régime déclaratif. Il me semble, mais peut être cela a-t-il été fait dans la plus grande discrétion, que le ministère aurait pu faire valoir quelques solides arguments pour écarter cette inégalité de traitement caractérisée.
Alors, plutôt que d’élargir les missions de la HADOPI en permettant au Syndicat national de l’édition de faire appel à un prestataire pour relever des infractions sur internet concernant le livre numérique – dispositif qui, de notre point de vue, sera bien coûteux pour le SNE au regard des bénéfices escomptés –, il serait plus judicieux, comme nous en avons toujours été convaincus, de créer les conditions d’un développement d’une offre légale et d’une meilleure rémunération des auteurs à l’ère numérique.
Une fois de plus, cette question, pourtant essentielle, est renvoyée à un « plus tard » dont on devine qu’il veut dire jamais ou, tout au moins, trop tard.
Inévitablement, nous allons être amenés à légiférer à nouveau en raison des évolutions numériques. Les occasions reviendront donc, mais nous sommes de ceux qui pensent qu’il faut rapidement faire évoluer le cadre contractuel collectif des contrats d’édition et que le législateur doit être garant de nouvelles règles équilibrées. C’est de notre responsabilité. C’est ainsi que nous réussirons cette nécessaire adaptation, tout en maintenant la pluralité de la production et de la diffusion éditoriales, et en ayant toujours à l’esprit d’en faire bénéficier tous les acteurs de la chaîne du livre.
Oui, au prix unique du livre numérique. Mais pas pour chacun : pour tous !