Crise de l’hébergement d’urgence et prise en charge des sans abri

Monsieur le Maire,
Mes chers collègues,

La question que nous abordons aujourd’hui est une question aussi grave que fondamentale. La réponse que l’on y apporte dit ce qu’est notre société, ce que sont nos valeurs et notre ambition collective. Cette question est simple : pouvons-nous laisser des personnes à la rue ? A cette question, il n’y a qu’une réponse possible ; elle est catégorique. Cette réponse est : non !

Non, nous ne pouvons pas laisser des femmes et leurs enfants, des adultes vieillissants, des personnes désocialisées, d’autres en souffrance psychique, des jeunes en errance, des migrants (majeurs et mineurs) ou encore des demandeurs d’asile dormir dans la rue en tentant de survivre avec le minimum. Non, cela Paris ne peut l’accepter !

Ce « non » catégorique de Paris que vous exprimez avec force et conviction, Monsieur le Maire, avec à vos côtés Olga TROSTIANSKY, est pourtant bien solitaire quand la règle  du  « moins en moins » guide – hélas  –  les choix du gouvernement. Il arrive toujours un moment où les choses doivent être dites clairement : il y a dans notre pays deux visions de la société qui s’affrontent. Une vision où la solidarité est une priorité (c’est le premier poste budgétaire de notre collectivité) et une autre, où la solidarité n’est finalement que l’accompagnement compassionnel et résigné de la souffrance sociale.
Prendre conscience de ces deux visions c’est simplement prendre connaissance des faits. Depuis quelques mois, nous assistons, de manière incontestable, à un désengagement terrible et dangereux de l’Etat du domaine de l’aide aux personnes sans abri et mal logées.

Ainsi, la diminution draconienne des moyens alloués aux associations accueillant des sans-abri et au Samu social conduisant à une perte nette de 5000 places d’hébergement d’urgence sur toute l’Ile de France et ce alors même qu’un besoin supplémentaire est estimé à 13 500 places.

De même, la politique du « logement d’abord », présentée par le gouvernement comme LA solution pérenne à l’hébergement d’urgence est un slogan purement médiatique qui oublie simplement que « faire du logement » sans l’accompagnement social pour y accéder n’est qu’un exercice comptable qui ignore la réalité du terrain et la souffrance des personnes.

Enfin, la baisse de 35 % des budgets alloués aux associations d’aide  alimentaire est peut-être la traduction la plus terrible de ce qui se joue aujourd’hui. Nourrir celui qui a faim, je dirais même nourrir celui qui a faim en respectant sa dignité, n’est-ce pas, dans nos sociétés d’abondance, une exigence morale à laquelle on ne peut se dérober ? Comment le gouvernement peut-il à ce point l’ignorer ?

Si les crédits s’en vont, l’urgence, elle demeure. Paris entend ainsi assumer, non pas sa responsabilité  – elle est celle de l’Etat –, mais bien son devoir. Paris est ainsi mobilisé tout le temps et sur tous les fronts. La mission est de taille car le spectre de l’urgence est très large : ceux qui n’ont en tête que l’image d’une personne sans domicile fixe, nécessairement un homme, de cinquante ans, désocialisé après une perte d’emploi, sont très loin des réalités du terrain.

Comme beaucoup de Maires d’arrondissement et d’élus agissant au plus près de ces questions, j’en connais les difficultés. Pour autant, loin de fuir devant cette réalité, nous l’assumons.

A ce titre, je veux revenir sur les propos qui ont été tenus par le Maire du 15e arrondissement  lors de la fermeture et du déménagement provisoire du Centre d’hébergement d’urgence Yves Garel, situé boulevard Richard Lenoir.  Utilisant la provocation, comme à son habitude, Monsieur GOUJON a déclaré : « vous ne voulez plus accueillir sur votre territoire des personnes en situation de grande exclusion. Vous voulez vous en débarrasser ».
La réalité s’avère bien différente. Le déménagement provisoire du CHU Yves Garel dans le 15e arrondissement était nécessaire car respecter la dignité humaine signifie accueillir les hommes et les femmes dans des conditions dignes, ce qui n’était plus le cas. Ce déménagement est provisoire, j’insiste, et, depuis plus d’un mois, une partie des femmes qui étaient hébergées au centre Yves Garel vivent dans un centre d’hébergement et de stabilisation, situé dans le 11e arrondissement au 52, rue Servan. Et, demain, à nouveau dans le 11e arrondissement, grâce à la réhabilitation d’un ancien hôtel meublé, acquis par la Ville de Paris, un nouveau CHU ouvrira et des hommes sans domicile fixe, orientés en urgence par le Samu social, pourront échapper à la rue.

Vivre à la rue : certains savent le caractère insupportable, inacceptable de cette réalité et la combattent, chaque jour, chaque nuit. Il s’agit des bénévoles et des professionnels qui sillonnent les rues pour aller au-devant des personnes sans domicile fixe. Ces équipes de rue, ces maraudes ne bénéficient souvent d’aucun soutien de l’Etat. Et pourtant, sans elles, comment établir un contact, une relation de confiance avec les personnes à la rue ? Comment entamer, avec elles, un travail de réinsertion sociale ?

Grâce à ces bénévoles, l’hiver dernier, la Mairie du 11e, comme  celles d’autres arrondissements a ouvert dans le cadre du plan grand froid, une salle municipale. Néanmoins, ces bénévoles ne peuvent pas tout face à des situations d’urgence qui, nécessairement, parfois, les dépassent. C’est pourquoi nous nous sommes acharnés pour obtenir non sans mal de l’Etat le financement de deux postes de travailleurs sociaux destinés à renforcer l’association Charonne. Et pour que cela se fasse il a fallu que la Ville de Paris apporte une contribution équivalente.
Ces actions illustrent, de la manière la plus concrète qui soit ce qu’est la mobilisation continue de la collectivité parisienne. Pour autant, seule, elle ne pourra faire face longtemps à une situation d’urgence qui réclame une solidarité nationale pour qu’enfin les moyens soient à la hauteur de l’idée de société que nous entendons défendre.