Proposition de loi – Délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse

Madame la présidente,

Monsieur le ministre,

Mes chers collègues,

 

je souhaite inscrire mon intervention, faite au nom du groupe SRC, dans la perspective historique dans laquelle nous devons placer l’excellente proposition de loi dont Catherine Quéré a pris l’initiative. Qu’elle en soit remerciée.

Nous cheminons à nouveau, ce matin, au sein de cet hémicycle, sur le long, et malheureusement lent, chemin qui mène vers l’égalité des droits. Une à une, nous franchissons les étapes pour faire tomber les discriminations. Avec la proposition de loi en discussion ce matin, nous nous attachons à en traiter trois : l’homophobie, l’handiphobie et le sexisme.

En la matière, rien n’est jamais simple. Souvenons-nous que l’homosexualité a été dépénalisée en France depuis trente ans à peine et qu’il a fallu attendre le milieu des années 1980 et l’initiative d’un excellent collègue aujourd’hui sénateur, Jean-Pierre Michel, pour que soit inscrite, dans l’essentiel article 225-1 du code pénal, la discrimination en fonction de l’orientation sexuelle – de l’orientation des mœurs, disait-on à l’époque. À cet égard, les années 1980 ont connu un foisonnement d’initiatives législatives ou réglementaires tendant à donner une égalité de droits aux individus homosexuels.

Puis, dans les années 1990, eu lieu le débat fondateur sur le pacte civil de solidarité, dit PACS, qui a permis, enfin, de reconnaître le couple homosexuel dans le code civil. De mon point de vue, et du vôtre aussi j’espère, il a été fondateur en ce qu’il a bouleversé le regard que la société française portait sur l’homosexualité.

Dans les années 2000, il a fallu continuer le travail. Je me souviens d’avoir rapporté, en 2003, devant l’Assemblée une proposition de loi visant à modifier la loi sur la liberté de la presse de 1881 pour sanctionner les propos et écrits à caractère discriminatoire en fonction du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. À l’époque, ce texte avait été rejeté. Toutefois, il avait ouvert un débat qui avait éclairé, en quelque sorte, le Gouvernement d’alors. Celui-ci avait souhaité bouger sur cette question en intégrant les dispositions que j’avais portées en 2003 dans le projet de loi créant la HALDE. Depuis 2004, nous pouvons nous enorgueillir que les propos et écrits à caractère discriminatoire en fonction du sexe, de l’orientation sexuelle et du handicap sont sanctionnés, quand il s’agit de provocation, de diffamation ou d’injures publiques.

Ce matin, il s’agit d’aller encore plus loin en modifiant à nouveau la loi sur la liberté de la presse de 1881, de terminer le travail, si je puis dire. Bien sûr, cette loi sur la liberté de la presse, loi républicaine par excellence, le législateur doit la modifier d’une main tremblante. Je me souviens des débats de 2003 et de 2004. Toutes celles et tous ceux, nous les premiers, qui étaient attachés à la liberté de la presse, notamment ceux qui font les journaux, s’inquiétaient que cette modification puisse limiter la liberté d’expression dans notre pays. Car la loi de 1881 concerne la presse certes, les médias, mais plus généralement les propos et écrits à caractère public.

La loi a été modifiée. Sept ans après, force est de constater que la liberté d’expression et la liberté de la presse dans notre pays n’ont en aucun cas été remises en cause. Par ce rappel j’entends sécuriser ceux que notre démarche d’aujourd’hui pourrait inquiéter.

La loi de 1881 a cette vertu à la fois de garantir la liberté d’expression des médias et d’en sanctionner les excès. La France n’a pas, comme les États-Unis, une Constitution qui garantit, avec son premier amendement, une liberté d’expression si totale que des sites nazis peuvent être hébergés sur le territoire américain sans rencontrer le moindre problème.

S’agissant de la proposition de loi, j’ai noté les propos positifs du garde des sceaux concernant l’article 2, mais je regrette que le Gouvernement n’aille pas jusqu’au bout et n’approuve pas la globalité du texte, notamment l’article 1er, qui a une valeur avant tout symbolique.

Aujourd’hui, un délai de prescription d’un an vise les discriminations en fonction de l’origine, de l’ethnie, de la nation, de la race et de la religion. Il s’agit – en fixant un même délai de prescription quelles que soient les discriminations – de l’appliquer également aux discriminations en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. Si l’on peut dire que c’est une mise à niveau, elle est essentielle : elle n’est pas seulement symbolique et n’a pas pour seul souci de répondre à une égalité des droits parfaite. Elle tend à permettre aux individus – et aux associations qui les soutiennent –, lorsqu’ils sont attaqués en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap, d’avoir le temps et les moyens d’engager les poursuites nécessaires pour que les écrits et propos à caractère discriminatoire soient sanctionnés.

À l’heure de la révolution numérique, trois mois c’est beaucoup trop court pour lancer une action contre des sites ou des blogs à caractère discriminatoire. C’est la raison pour laquelle les associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme avaient souhaité, en 2004, que le délai de prescription soit porté à un an. Il s’agit de faire de même pour défendre avec plus d’efficacité les victimes du sexisme, de l’homophobie et de l’handiphobie.

Notre assemblée s’honorerait à voter cette proposition de loi, tant son article 1er que son article 2. Des amendements ont été déposés qui visent l’identité de genre, et je rappelle à cette tribune que le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche approuve toute initiative visant à faire de la discrimination en fonction de l’identité de genre une discrimination comme les autres – excusez le raccourci. Nous voterons donc ces amendements.

En cette fin de législature, me souvenant de la proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe que j’ai rapportée ici même, au printemps dernier, je constate que les étapes sont parfois difficiles à franchir. Je regrette que nous n’ayons pas franchi celle-ci, qui était décisive. Sans doute devrons-nous attendre la décision des Françaises et des Français au printemps prochain pour ne pas rester, en ce domaine, au bord du chemin. Chers collègues, il reste encore beaucoup de travail !