Intervention sur le projet de loi Mariage pour tous

Le 13 octobre 1999, ici même, le Pacs était définitivement voté à l’issue d’un rude débat parlementaire d’une année. Treize ans plus tard, notre Assemblée est réunie pour légiférer enfin sur le mariage pour tous et permettre ainsi à la France, pionnière pourtant à la fin des années 90, de rattraper un retard dont la seule cause – la seule !- est une décennie de pouvoir de la droite.

L’élection de François Hollande, le 6 mai dernier, a rendu enfin possible ce qui ne l’était pas, le 9 juin 2011, lorsque notre Assemblée a débattu une première fois de l’ouverture du mariage à tous les couples à l’initiative de Jean-Marc Ayrault, alors président d’un groupe minoritaire.

Rappelons également qu’en 2004, à la suite de la célébration du mariage de Bègles par notre collègue Noël Mamère, Jean-Louis Debré, alors président de l’Assemblée nationale, avait pris l’initiative de créer une mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant qui a remis ses conclusions en janvier 2006. C’est dire que ceux qui prétendent qu’il n’y a pas eu de débat sur le mariage pour tous sont d’une mauvaise foi évidente.

Hier comme aujourd’hui, force est de constater la permanence des clivages entre ceux qui veulent faire vivre la belle promesse républicaine de l’égalité et ceux pour qui il est insupportable de donner les mêmes droits à tous les couples. Je veux témoigner, ici même, de la sollicitation pressante dont j’avais déjà fait l’objet en 1998, pour fermer le Pacs aux couples hétérosexuels et en faire un statut spécifique réservé aux seuls couples homosexuels. C’est la même logique qui est à l’œuvre en 2013, tant les ennemis du Pacs hier sont les ennemis du mariage pour tous aujourd’hui. Ce sont les mêmes, avec les mêmes arguments. Et si –ironie de l’histoire- ils parent maintenant le Pacs, qu’ils ont combattu souvent si violemment, de toutes les vertus, leur problème est toujours le même : la place du couple homosexuel dans la société française.

Comment arriver à leur ouvrir les yeux justement sur les réalités de cette société qui aspire à toujours plus d’égalité, de reconnaissance et d’intégration ; cette société qui sait s’enrichir de toutes les différences et notamment d’orientation sexuelle ; cette société positive, avide d’avenir partagé et de vivre ensemble.

En 2013, comment ne pas se réjouir ainsi que des enfants ne soient plus amenés à cacher leur homosexualité à leurs parents et que ceux-ci ne soient plus conduits à considérer que l’avenir de leur enfant est -pour cette raison- définitivement compromis ?

Comment refuser aujourd’hui de donner des droits nouveaux à certains, sans réduire les droits des autres ?

Comment ne pas constater que les nouvelles formes de parentalité ont explosé, que le progrès scientifique, justement, permet maintenant de répondre à un désir d’enfant si facilement stigmatisé et trop rapidement opposé à l’intérêt supérieur de l’enfant par ceux-là mêmes qui utilisent régulièrement les droits de l’enfant pour réduire les droits des femmes ?

Comment ne pas prendre la pleine mesure des évolutions des modes de vie familiaux provoquées par l’explosion du nombre des naissances hors mariage, désormais majoritaires, par la multiplication des recompositions familiales, par le choix d’élever un enfant seul ou avec un compagnon ou une compagne du même sexe?

Comment continuer à privilégier de manière disproportionnée la dimension biologique de la filiation en la considérant comme une garantie de sécurité et de bonne éducation pour l’enfant ?

Cette primauté donnée au biologique conduit, d’ailleurs, à justifier les conditions restrictives actuellement requises pour adopter conjointement – former un couple de sexe différent, de plus marié – par la vraisemblance biologique qu’elles offrent. Peut-on toujours fonder une règle de droit sur un faux-semblant au moment même où la société aspire à davantage de transparence ?

L’intérêt de l’enfant est sans conteste le critère le plus pertinent pour faire évoluer notre droit de la famille. Il y a un demi-siècle, on imposait à des futurs parents la naissance d’enfants non désirés ; aujourd’hui, on veut continuer à interdire à des parents la naissance d’enfants désirés au prétexte que la procréation devrait rester pour l’éternité le fruit de la rencontre d’un homme et d’une femme.

C’est la raison pour laquelle, après avoir ouvert le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, il nous reviendra, je l’espère très prochainement, d’ouvrir l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes.

Mes chers collègues,

C’est parce qu’une majorité d’entre nous a reçu mandat de nos concitoyens de ne plus conserver dans notre droit des discriminations d’un autre temps ; c’est parce que nous considérons, comme Irène Théry, que « le mariage est une institution vivante et (qu’) une institution vivante ne se défend pas de façon négative et apeurée, comme une citadelle assiégée » ; c’est parce que nous sommes citoyens européens, qu’il ne saurait y avoir d’exception française et que sept pays de l’Union si semblables au nôtre nous ont déjà montré l’exemple, que nous disons à cette tribune notre fierté et notre émotion, avec ce projet de loi républicain, laïque et universaliste, de faire franchir à la France, une nouvelle étape décisive sur le long chemin de l’égalité des droits.