Proposition de résolution européenne relative au respect de l’exception culturelle présentée par Danielle AUROI et Patrick BLOCHE

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Commission européenne a adopté le 12 mars dernier un projet de mandat autorisant l’ouverture de négociations concernant un accord global sur le commerce et l’investissement, intitulé « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique » qui inclurait les services culturels et audiovisuels.

C’est la première fois, en vingt ans, que la Commission ne respecte pas le principe de l’exception culturelle, en n’excluant pas expressément le secteur audiovisuel d’un accord de commerce international, a fortiori avec les États-Unis. Il s’agit là d’une offensive libérale sans précédent qui ne saurait laisser la représentation nationale indifférente.

La culture ne peut être considérée comme une marchandise comme les autres, sauf à accepter la disparition de la diversité culturelle. Le caractère d’universalité qui s’attache aux biens culturels ne saurait, dès lors, être remis en cause. La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture du 20 octobre 2005 s’attache à le démontrer. Il importe, d’ailleurs, de souligner que contrairement à l’Union européenne, les États-Unis ont refusé d’être parties à cette Convention.

Le traité de Lisbonne a introduit une novation dans la rédaction de l’article 207 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux négociations commerciales. Il est possible de déroger au principe de la majorité qualifiée, lors du vote au Conseil qui entérinera le mandat de négociation de la Commission, si les accords commerciaux risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union européenne. Cette disposition revient à donner un droit de veto à un État membre, à condition qu’il soit en mesure de prouver cette atteinte.

Afin de se garder de cette interprétation, la Commission a introduit dans le texte de son projet de mandat une mention selon laquelle la diversité culturelle serait préservée. Peut-on sérieusement croire que cette affirmation platonique permettra aux nouveaux supports numériques agrégateurs de contenu, principalement détenus par des sociétés américaines, de respecter la diversité culturelle une fois l’accord de libre-échange agréé ?

Peut-on sérieusement accréditer l’idée qu’une libéralisation des échanges avec les États-Unis dans le domaine des services audiovisuels ne serait pas dommageable pour les industries cinématographiques et la diversité linguistique européennes ?

Peut-on, enfin, réellement soutenir la thèse selon laquelle les services audiovisuels seront protégés alors que les États-Unis sont particulièrement à l’offensive sur ce secteur important de leur politique commerciale ?

La France – comme l’Union européenne – est attachée au principe de la neutralité technologique en vertu duquel le support technique ne saurait modifier le contenu de l’œuvre. Elle reste dès lors attentive à ce que l’environnement numérique ne soit pas propice à remettre en cause la diversité des expressions culturelles que le traité de Lisbonne protège juridiquement.

Aussi cette proposition de résolution relative au respect de l’exception culturelle et de la diversité des expressions culturelles dans les négociations commerciales a-t-elle pour objet d’inviter le gouvernement à demander l’exclusion explicite des services audiovisuels du mandat de négociation de la Commission, en l’engageant, si nécessaire, à utiliser le droit de veto dont il dispose en vertu de l’article 207 paragraphe 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 22 de la Charte des droits fondamentaux,

Vu l’article 3 du Traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 167 et 207, paragraphe 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture du 20 octobre 2005,

Vu la recommandation du 13 mars 2013 de la Commission européenne au Conseil d’adopter la décision autorisant l’ouverture de négociations concernant un accord global sur le commerce et l’investissement, intitulé « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement,
entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique » [COM (2013) 136 final],

Considérant que la Charte des droits fondamentaux précise que « l’Union européenne respecte la diversité culturelle (…) et linguistique »,

Considérant que le Traité de l’Union européenne promeut et défend la diversité culturelle au sein de l’Union européenne, notamment dans le cadre de la négociation d’accords commerciaux entre l’Union européenne et des pays tiers,

Considérant que le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne exige un vote à l’unanimité au sein du Conseil de l’Union européenne pour la négociation et la conclusion d’accords avec un ou des pays tiers « dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union »,

Considérant que l’Union européenne est, comme la France, partie à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture du 20 octobre 2005,

Considérant que les États-Unis ont refusé, à l’inverse, d’être partie à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture du 20 octobre 2005,

Considérant que les biens et services culturels ne sauraient être assimilés à des marchandises comme les autres,

1. Regrette que le vote, lors de la réunion du collège des commissaires du 12 mars 2013, portant sur le projet de mandat de négociation de la Commission concernant un accord global sur le commerce et l’investissement, intitulé « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique », n’ait pas permis de prendre pleinement en compte la protection et la promotion de la diversité culturelle, notamment en excluant explicitement les services culturels et audiovisuels de ce mandat de négociation,

2. Demande, par conséquent, que les services audiovisuels soient expressément exclus du mandat de négociation de la Commission concernant le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique, afin d’assurer la pérennité de l’industrie cinématographique et audiovisuelle européenne, ce notamment dans le monde numérique,

3. Précise son attachement au principe de la neutralité technologique, en vertu duquel la nature du support ne modifie pas le contenu de l’œuvre, et souligne que l’insertion des technologies de l’information et de la communication dans l’accord de libre-échange ne saurait être un moyen de contourner la protection de la diversité culturelle, attachée en particulier aux contenus audiovisuels et cinématographiques,

4. Considère que la mention expresse de la protection de la diversité culturelle dans le texte de la recommandation de décision du Conseil, du 13 mars 2013 autorisant l’ouverture de négociations concernant un accord global sur le commerce et l’investissement, intitulé « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, entre l’Union européenne et les États-Unis », ne saurait ni suffire à garantir la protection effective de la diversité culturelle ni à faire obstacle à ce que le Conseil puisse exiger un vote à l’unanimité en son sein afin de garantir le respect de la diversité culturelle,

5. Demande à ce que le gouvernement s’oppose, en utilisant son droit de veto si nécessaire, au titre de la protection de la diversité culturelle, en vertu de l’article 207 paragraphe 4 a) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lors de l’examen par le Conseil de l’Union européenne prévu le 14 juin 2013.