« Forum de la SCAM » – L’harmonisation du droit d’auteur : une nécessité ou un prétexte ?
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d’avoir été sollicité pour introduire la deuxième table ronde de cette journée de réflexion consacrée aux enjeux européens de la culture et de ses industries. Ce forum, organisé par la SCAM – dont je salue sa présidente, Mme Julie BERTUCCELLI et son directeur général, M. Hervé RONY – se propose de « prendre le pouls de l’Europe » au travers de plusieurs débats. Ce matin vous avez ainsi pu faire avancer la réflexion sur la création à l’échelle de l’Europe, la diversité culturelle et les politiques à mener au niveau de l’Union.
Vous allez aborder maintenant, la question brûlante de l’harmonisation du droit d’auteur dans l’Union européenne, question dont le président JUNCKER a annoncé qu’elle constituait l’une des priorités de la nouvelle Commission européenne.
Cette harmonisation est-elle une nécessité, de nature à libérer la création artistique dans le cadre plus global du marché unique et des échanges transfrontaliers entre États de l’Union, ou un prétexte pour remettre en cause certains dispositifs nationaux plus protecteurs des auteurs, dont le nôtre ? Le doute existe car, derrière la volonté affichée par certains d’abolir les barrières pour faciliter la circulation et l’accès aux oeuvres, peut aussi se cacher celle de favoriser les producteurs – ou les fournisseurs d’accès – , au détriment des auteurs et donc, in fine, de la création…
Nécessité ou prétexte ? Il vous reviendra d’essayer de répondre à cette question.
De fait, je me concentrerai, dans ce propos introductif, sur quelques éléments permettant de replacer la question dans son contexte, tant européen que national.
Rappelons d’abord que les initiatives de la Commission européenne en matière de droit d’auteur ne datent pas de l’arrivée de la Commission Juncker : la Commission Barroso, s’était déjà attaquée au cadre européen du droit d’auteur en organisant plusieurs consultations, dont la dernière en juillet 2014 avait permis à la Commission de compiler près de 9 500 réponses. Le Livre blanc qui aurait dû être publié par la suite n’a, cependant, finalement pu aboutir avant l’entrée en fonction de la nouvelle Commission.
Le nouveau Commissaire européen chargé de l’économie et de la société numérique, Günther OETTINGER, qui-rappelons-le-a aimablement traité la France, en novembre dernier, de « pays déficitaire récidiviste », a récemment annoncé qu’une proposition législative communautaire – règlement ou directive, ce point n’est, semble‑t‑il, pas encore tranché – serait présentée à l’été ou à l’automne 2015, dans le but je cite, de « libérer la créativité » en Europe et de casser les barrières nationales.
La Commission européenne affiche ainsi une volonté : de remettre en cause ce qu’elle appelle la « fragmentation du cadre réglementaire » imposé aux industries culturelles, fragmentation à laquelle participeraient des législations nationales différentes sur les droits d’auteur.
Certes, il existe, une grande disparité dans les règles nationales applicables en matière de droits d’auteur, qu’il s’agisse de droits sur les écrits, la musique ou les œuvres d’art. Ainsi, des structures de perception des droits sont organisées de longue date dans certains pays – comme la France –, alors que certains autres États membres privilégient, dans une vision plus anglo-saxonne, la cession intégrale des droits dès le début de la vie de l’œuvre.
Mais, lorsque l’objectif de la Commission vise à décloisonner le domaine d’intervention des fournisseurs et distributeurs de contenus afin de leur permettre de déployer leur activité sur un plus large périmètre, assiste-t-on à une harmonisation par le haut ou par le bas ? Trop tôt sans doute pour s’en assurer ou pour se rassurer quand, parmi les pistes concrètes déjà avancées, figure ainsi l’idée de permettre aux diffuseurs de contenu musical ou audiovisuel de lancer des abonnements transfrontaliers.
Et quand l’ambition affichée de cette réforme est de créer, je cite, un « marché unique du numérique connecté », à même de créer de la croissance supplémentaire en Europe, il n’est pas inutile de rappeler que les auteurs sont des travailleurs indépendants qui représentent autant d’emplois seulement rémunérés par le versement des droits.
Parallèlement aux initiatives de la Commission européenne, le Parlement européen s’est également saisi du sujet. Sa Commission des Affaires juridiques (JURI) a mis en place, en novembre dernier, un groupe de travail sur la réforme du droit d’auteur et la propriété intellectuelle, conduit par le député Jean‑Marie Cavada.
Cette même commission, par souci d’équilibre sans doute, a par ailleurs confié à la députée du Parti pirate Julia REDA un rapport d’évaluation de la directive de 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, rapport d’ores et déjà particulièrement commenté et dont l’objectif assigné est d’aboutir à une proposition de résolution du Parlement européen exprimant une position sur la future initiative législative de la Commission européenne.
Nous devons, j’en suis convaincu, nous saisir et relayer ces débats européens dans notre cadre national et porter la vision de la France, dont la législation est historiquement très protectrice du droit d’auteur. La journée d’aujourd’hui participe opportunément de cette démarche.
La ministre de la Culture et de la communication, Fleur PELLERIN, est d’ores et déjà mobilisée pour que la Commission européenne ne se trompe pas de cible, en faisant porter sur le droit d’auteur une responsabilité qui n’est pas la sienne, là où la question fiscale est le cœur du problème. En effet, les stratégies d’optimisation fiscale et sociale bien connues des géants du Net créent de telles distorsions de concurrence dans l’Union européenne qu’elles interdisent toute redistribution, tout partage équitable de la valeur.
Ce sera le sujet de la dernière table ronde de la journée, je ne veux donc pas m’y attarder, si ce n’est pour vous dire que bien entendu, comme vous, je considère les deux thèmes comme étant intimement liés.
A l’Assemblée nationale d’ailleurs, et tout particulièrement au sein de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation que je préside, nous nous sommes – à diverses reprises – saisis de ces questions. Et, depuis peu, dans un cadre nouveau auquel je tiens. En effet, j’ai pris l’initiative, avec mon homologue du Bundestag, Siegmund EHRMANN, d’organiser à intervalles réguliers des réunions de travail communes. Une des principales questions sur lesquelles nous avons décidé de travailler est justement celle « du droit d’auteur à l’ère numérique ». Ce point a été ainsi abordé lors de notre dernière réunion commune qui s’est tenue à Berlin en décembre 2014 et alimentera également nos débats à Paris au mois de juin prochain.
Cet axe franco-allemand parlementaire sera, je l’espère, utile comme force d’entraînement et de mobilisation au sein de l’Union, afin de contribuer à l’émergence de dynamiques vertueuses. Nous y travaillons, en tout cas, activement. Car, je suis persuadé qu’une réforme européenne du droit d’auteur ne pourra renforcer la création européenne qu’en confortant l’apport essentiel des créateurs.
Je crois aussi fondamentalement que la protection des auteurs est totalement compatible avec le développement des industries culturelles européennes. C’est la raison pour laquelle nous devons collectivement porter une belle ambition : promouvoir la diversité culturelle comme nous l’avons si souvent fait ; permettre l’accès aux œuvres et assurer la juste rémunération de la création.
Je l’ai souvent rappelé, dans tant de débats, le droit d’auteur a toujours su s’adapter aux innovations technologiques.
C’est la raison pour laquelle nous devons porter une aspiration globale et collective à trouver les voies de l’adaptation de nos dispositifs vertueux de financement et d’aide à la création à l’ère numérique sans renoncer à ce qui fait sa spécificité et son succès. C’est le message que je voulais porter devant vous aujourd’hui, avec conviction et détermination.
Je vous remercie.