Colloque de l’Atelier international du Grand Paris : « Un grand Paris hors normes? »
Mesdames, Messieurs,
C’est avec un vrai plaisir que j’interviens aujourd’hui dans le cadre de cette soirée-débat sur le thème : « Un grand Paris hors normes ? ». Ici, au sein de la maison de l’architecture d’Île-de-France, lieu que je fréquente désormais régulièrement… la nécessité de soutenir et promouvoir la création architecturale prend tout son sens. C’est une question qui a animé la commission des Affaires culturelles et de l’éducation que je préside, au cours des derniers mois : d’abord avec la mission d’information sur la création architecturale, puis dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la liberté de la création, l’architecture et le patrimoine.
Ce projet de loi, qui associe des dispositions relatives à la création artistique, à l’architecture et au patrimoine, le fait à raison : si le mot « architecture » est placé au centre, c’est bien parce qu’il fait le lien entre la création d’aujourd’hui et le patrimoine de demain. Ce sont bien des œuvres de l’esprit qui dessinent les villes et soulignent les paysages, et qui seront à l’origine du Grand Paris de demain.
Ainsi, tout ce qui contribue à brider la création architecturale peut avoir des répercussions directes, concrètes et palpables sur la façon dont nous vivons et appréhendons l’espace urbain mais aussi les espaces privés.
Dans le cadre de la mission d’information, nous nous sommes ainsi longuement interrogés sur le rôle et la place des normes en matière de création architecturale.
Et le constat que la mission a fait est simple : un socle normatif minimal est indispensable, chacun en conviendra, mais des normes trop précises tuent l’élan créatif. Là où la norme est trop descriptive, trop prescriptive, l’œuvre de l’esprit qu’est la création architecturale trouve difficilement à s’exprimer. Il n’y a qu’à constater la standardisation de nos logements, de leur organisation et de leurs volumes, extrêmement contraints par les normes qui existent en matière d’accessibilité, de sécurité ou de consommation énergétique.
Les règles nées du droit de l’urbanisme limitent aussi, dans les faits, l’innovation et la création architecturales. C’est très frappant lorsque l’on visite Rotterdam, comme j’ai pu le faire avec les membres de la mission d’information.
Certaines rues de la « Manhattan sur la Meuse » font ainsi l’objet de règles d’urbanisme allégées, qui laissent libre cours à la créativité des architectes. Un certain enthousiasme vis-à-vis de cette liberté de proposition laissée aux maîtres d’œuvre nous a d’ailleurs conduits à souhaiter, dans le rapport qui a conclu les travaux de la mission en juillet 2014, à ce que de telles « zones franches architecturales » puissent être créées en France.
J’avais du reste rédigé un amendement allant dans ce sens dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, mais il n’a malheureusement pas pu être défendu, du fait de son irrecevabilité financière : il permettait au plan local d’urbanisme de définir des secteurs où les règles d’urbanisme auraient été volontairement minimales, à la façon des règles inspirées par Alexandre Chemetoff pour l’île de Nantes ; mais l’amendement instaurait aussi un avis systématique de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture préalablement à la délivrance du permis de construire par la collectivité, ce qui aurait coûté à l’État. Raison pour laquelle il a été déclaré irrecevable.
En dépit de cette limitation de l’initiative parlementaire qui résulte de l’article 40 de la Constitution – on voit bien ici comment la norme peut aussi brider la créativité des députés… –, le projet de loi comprend aujourd’hui plusieurs dispositions qui intéressent très directement le débat qui nous réunit ce soir.
L’Assemblée nationale a notamment adopté un article 26 undecies qui prévoit une expérimentation, pour une durée de sept ans, concernant les équipements publics. Il sera ainsi possible de déroger à certaines règles applicables en matière de construction et de fixer, à la place, des résultats à atteindre.
L’innovation technique architecturale pourra ainsi être à nouveau explorée, et l’imagination des architectes sera stimulée : la contrainte existera toujours – il sera toujours nécessaire de permettre aux usagers de sortir du bâtiment en cas d’incendie en un temps donné ou de rendre tous les espaces accessibles à tous les types de handicap –, mais elle sera créatrice, car les moyens d’atteindre ces objectifs ne seront plus prédéterminés. Il s’agit, en un mot, de substituer à une logique de moyens, une logique de résultats.
Le délai de sept ans que nous avons fixé peut paraître arbitraire et trop long à certains, mais c’est un temps cohérent avec celui des projets d’équipements publics et avec la nécessité d’évaluer correctement les résultats de l’expérimentation avant d’envisager une généralisation. Si l’expérimentation porte ses fruits, alors nous pourrons envisager un dispositif plus général ou réfléchir à une nouvelle forme de production des normes en matière de construction, réflexion qui devrait d’ailleurs être conduite à mon sens dans tous les domaines.
Un autre article du projet de loi ouvre également de nombreuses possibilités de déroger aux règles d’urbanisme pour favoriser la qualité, la création et l’innovation architecturales.
Il sera ainsi possible, dans les zones sous tensions, dans les secteurs en déficit de logements sociaux ou de logements intermédiaires et pour les constructions faisant preuve d’une exemplarité environnementale, de bénéficier d’une majoration de 5 % du gabarit, du volume ou de la surface constructible qui vient s’ajouter à celle qui est déjà possible en application du code de l’urbanisme. Sous réserve, bien sûr, que le projet de construction fasse montre d’une qualité architecturale avérée, mais aussi de création ou d’innovation.
L’Assemblée nationale a souhaité, d’ores et déjà, plaider en faveur d’un assouplissement du dispositif, et je n’exclus pas qu’à l’avenir, si celui-ci trouve son public, nous puissions relever le taux de la majoration et, à terme, s’abstraire des dispositifs dérogatoires sur lesquels cette possibilité repose aujourd’hui dans le texte.
Le Grand Paris fournira bien sûr un cadre remarquable à la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions.
Déjà, la Ville de Paris, avec l’initiative « Réinventer Paris », entreprend, dans une démarche particulièrement innovante, de rendre la ville à tous ceux qui ont des idées – les architectes au premier titre, mais aussi d’autres professions : artistes, philosophes, distributeurs de cinéma ou opérateurs de crèches, etc.
L’innovation est au cœur de cette initiative : dans les bâtiments, bien sûr, mais aussi dans les usages, qu’il s’agisse d’espaces de travail ou de vente partagés, comme dans le processus d’élaboration du projet lui-même, qui réunit des équipes multi-disciplinaires.
C’est une initiative originale, extrêmement favorable à la création et à l’innovation architecturales, dont j’espère qu’elle pourra essaimer ailleurs en France et éventuellement être associée à l’expérimentation normative que nous avons votée.
Le Grand Paris est d’ores et déjà en mouvement et l’innovation architecturale faire partie, indéniablement, de son ADN !
La Caisse des dépôts et consignations a également lancé en septembre dernier un appel à projet pour favoriser l’innovation dans la construction de logements sociaux. Ceux-ci ont toujours été en France une grande source de création architecturale. J’ai pu amplement le constater comme maire du 11ème arrondissement. Il faut absolument qu’ils le restent. L’intérêt de cet appel à projet réside dans son choix de mettre l’innovation au service de la mutabilité et de l’adaptabilité des logements, qui est aujourd’hui une donnée fondamentale pour répondre aux nouveaux usages.
Là encore, la méthode elle-même est innovante : des écoles d’architecture, de design, des sociologues seront mobilisés autour des projets, et l’accent est mis sur la réplicabilité technique et économique des innovations en question. Dans la perspective d’un partage toujours plus grand des données, l’objectif est notamment de fournir aux bailleurs sociaux des documents génériques leur permettant de s’approprier ces innovations.
Les transports, qui sont indispensables à la réussite du Grand Paris, sont également au cœur des préoccupations architecturales. La Société du Grand Paris a ainsi établi une charte d’architecture des gares qui doit permettre de les ancrer chacune, individuellement, dans leur environnement géographique, urbain, social et économique, tout en conservant une cohérence d’ensemble pour faciliter, notamment, le repérage des voyageurs et établir un standard de services et une identité commune, notamment par le biais du mobilier, de l’éclairage, de l’acoustique, des couleurs et des matériaux.
Mais, à l’inverse de villes comme Washington, où toutes les gares ont été confiées à un même architecte et se ressemblent volontairement, le choix a été fait ici d’une vraie diversité propice à la création et à l’innovation architecturales.
Dans le projet du Grand Paris, ce qui importe également, c’est de favoriser la continuité urbaine. C’est notamment l’ambition portée au nord de Paris par le projet de requalification de l’ancienne gare à charbon Mines‑Fillettes. Là, la Ville de Paris et Plaine commune œuvrent ensemble à la création d’un nouvel espace de vie, constitué de logements, de bureaux, d’équipement de proximité et de commerces, et construit autour de circulations « douces ». Avec, en plus, la capacité commune de s’affranchir des limites communales pour nommer une seule équipe.
Le Grand Paris doit aussi faire face aux évolutions démographiques. Là encore, l’innovation tient une place primordiale, comme l’a montré le séminaire de l’Atelier consacré à la qualité et aux innovations architecturales et urbaines qui s’est tenu en mars dernier et dont nous allons parler ce soir. Surélever les immeubles haussmanniens, sous-élever pour gagner du terrain, conquérir des nouveaux espaces, par exemple sur la Seine, remplir le moindre interstice urbain, couvrir les espaces extérieurs de logements comme cela a été fait à Rotterdam avec le nouveau marché, envelopper les infrastructures existantes de nouveaux espaces de vie : les stratégies innovantes ne manquent pas pour densifier la ville.
Mais l’innovation est également mise au service du développement durable et de la qualité de vie dans les projets qui sont engagés aujourd’hui. Énergie solaire et éolienne, végétalisation des toits et récupération des eaux de pluie, éclairage et aération naturels dans les logements et les bureaux sont autant de nécessités auxquelles doivent répondre les nouvelles constructions. Par ailleurs, dans des habitats très denses, il faut réfléchir au confort des usagers, rendre les logements modulables, limiter l’impact sonore de la ville, créer des espaces extérieurs privatifs également. Tous ces nouveaux usages stimulent considérablement l’innovation architecturale.
Et l’aventure du Grand Paris ne fait que commencer : des pans entiers de villes restent encore à penser et à construire. La métropole connectée, durable, ingénieuse en est encore à ses prémices. C’est là une magnifique opportunité, pour les architectes, les urbanistes, les paysagistes, de faire montre de leurs talents et d’une créativité sans borne. Il faut, à mon sens, profiter de cet élan pour faire évoluer durablement la façon dont on conçoit et façonne les villes. L’envie d’innover est bel et bien présente : à charge pour le législateur de lever toutes les entraves !