Intervention à la journée d’étude sur les 40 ans de la loi de 1977 sur l’architecture- Académie d’architecture
Mesdames,
Messieurs,
Merci, chère Maryvonne de SAINT-PULGENT, de me donner la possibilité de faire entendre la voix du législateur à la suite des exposés très complets que viennent de nous faire Vincent BERJOT sur le point de vue de l’administration et Catherine JACQUOT sur celui de la profession.
Il faut dire que la question de la promotion de la création architecturale a particulièrement animé la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation que je préside : d’abord, dans le cadre de la mission d’information sur la création architecturale, qui, pendant six mois au premier semestre de l’année 2014, a pu analyser l’architecture française, ses réalisations, son évolution, les multiples freins auxquels elle est confrontée, mais aussi les attentes de toute une profession et celles des citoyens. Cette mission s’est aussi interrogée sur la pertinence et l’intégrité du cadre juridique de la création architecturale en France, qui résulte principalement de la loi du 3 janvier 1977 relative à l’architecture et de celle du 2 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique, la fameuse « loi MOP ». En faisant émerger les bonnes pratiques, passées comme actuelles, la mission s’est donnée pour tâche d’ouvrir la voie à une évolution essentielle : remettre l’architecte au centre du projet architectural et urbain pour assurer la qualité du cadre de vie de chacun.
Forts de ces analyses, nous avons pu enrichir de dispositions importantes le projet de loi sur la liberté de la création, l’architecture et le patrimoine, dont le Parlement a été saisi en juillet 2015 et qui a été définitivement adopté en juillet 2016.
L’intitulé même de cette loi est révélateur de la place qu’occupe l’architecture, qui fait le lien entre la création d’aujourd’hui et le patrimoine de demain : ainsi, tout ce qui contribue à brider la création architecturale peut avoir des répercussions directes, concrètes – je dirais même palpables –sur la façon dont nous vivons et appréhendons l’espace urbain, mais aussi les espaces privés.
J’aborderai successivement, comme vous m’y avez invité chère Maryvonne de Saint-Pulgent, les relations entre collectivités et architecture (I) et citoyens et architecture (II) avant de dire quelques mots du rôle joué par le législateur (III).
I.– Les élus et l’architecture de 1977 à 2017 : quelques mots sur les nouvelles compétences des collectivités en matière d’architecture et d’urbanisme, placées entre contraintes et responsabilités
Les grandes lois de décentralisation des années quatre vingt ont donné aux collectivités territoriales, en particulier aux communes, la responsabilité première de la qualité architecturale des territoires. Mais, trop rapide et mal accompagnée, la décentralisation des compétences en matière d’urbanisme a été, dans de nombreux cas, synonyme de moins-disant architectural. Trop souvent, nos territoires se sont accommodés de réalisations architecturales peu ambitieuses, voire médiocres. Être maître d’œuvre s’apprend ; être maître d’ouvrage aussi.
Or qui, plus que l’architecte, est à même de comprendre un territoire, d’analyser ses dynamiques, de valoriser son patrimoine et de créer de nouveaux attraits ? L’architecte ne construit pas ex nihilo, ni ne plaque sur un territoire des projets imaginés pour d’autres ; toute sa démarche, esthétique et fonctionnelle, est au contraire au service des territoires et de leurs habitants.
Il faut ici reconnaître que les collectivités ont beaucoup appris des insuffisances passées et que nombre d’entre elles sont aujourd’hui dans un tout autre état d’esprit, plaçant l’architecture et l’architecte au cœur de leur projet territorial. Plus encore, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « loi NOTRe ») promeut le transfert de compétences en matière d’urbanisme à l’échelon intercommunal, mieux armé que les petites communes pour faire face aux nombreux défis, techniques, économiques, sociaux et environnementaux, soulevés par l’exercice de ces prérogatives.
Avec le réseau des conseils d’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement (CAUE), les collectivités territoriales disposent d’une aide à la prise de décision qui pourrait être sollicitée davantage, comme l’avait d’ailleurs souligné notre mission d’information. Les collectivités peuvent en outre s’appuyer sur le réseau des maisons de l’architecture pour susciter, chez leurs habitants, un désir concret d’architecture. Ces institutions demeurent, aujourd’hui encore, trop insuffisamment employées alors qu’elles savent traduire de façon subtile et éclairée l’adéquation de l’art de bâtir avec un territoire.
Revitaliser les territoires, densifier les habitats, assurer la mixité fonctionnelle du cadre bâti, accélérer la transition énergétique, construire une ville connectée et durable sont autant de missions qui incombent aujourd’hui à l’architecte. Pour que la compétence et la création irriguent l’aménagement de nos territoires, la commande publique doit se faire plus ambitieuse et plus innovante, entraînant dans son sillage la commande privée, et la qualité architecturale des projets doit constituer un atout auprès des maîtres d’ouvrage publics.
Mais il importe également d’avoir, dans ce domaine, une action publique qui avance dans une seule direction : celle de la qualité architecturale sur l’ensemble des territoires. Trop de signaux contradictoires minent encore la cohérence des politiques publiques dans ce domaine, comme ce fut le cas récemment en matière de constructions à usage agricole.
Vigilance et volonté sont donc aujourd’hui plus que jamais nécessaires pour donner aux architectes toute la place qu’ils méritent dans l’invention des territoires de demain.
II.– j’aborde ici mon deuxième point : les citoyens et l’architecture, entre désamour et regain d’intérêt
Au-delà de la relation entre collectivités et architecture, il apparaît essentiel de replacer l’architecte au centre de la « construction du quotidien » et donner un véritable « désir d’architecture » à nos concitoyens.
Les équilibres actuels sont très défavorables à la création architecturale et les architectes ont quasiment disparu du paysage de la maison individuelle. Cette situation est lourde de conséquences sur la qualité globale du bâti français, comme en témoignent les zones pavillonnaires, les entrées de villes, les zones d’activités, qui sont le plus souvent la marque d’une absence d’ambition architecturale… pour rester mesuré !
Je pense que l’amendement que nous sommes parvenus à faire adopter dans la cadre de la loi LCAP s’agissant du seuil au-delà duquel le recours à un architecte est obligatoire est susceptible de modifier les équilibres actuels. C’est un signal fort qui est envoyé aux particuliers : « au-delà de 150 mètres carrés, c’est un architecte qui doit concevoir votre projet ». Le législateur a fixé un maximum au seuil de déclenchement de l’obligation qui pèse sur les particuliers ; mais j’ai bon espoir que le pouvoir exécutif, dans les années à venir, abaisse progressivement ce seuil, et fasse toujours davantage entrer le recours à l’architecte dans les mœurs.
Cette disposition constitue aussi un signal fort envoyé aux architectes eux-mêmes, qui doit leur montrer qu’ils ont toute leur place sur ce marché. Cependant, je ne conçois pas cette mesure comme un bouleversement de la situation actuelle : il s’agit surtout de revenir à l’équilibre qui existait avant la réforme de la SHON et de corriger les effets que cette réforme a mécaniquement eus sur le seuil de recours à l’architecte.
III.– Cet exemple me donne l’occasion de glisser vers le 3e point de mon intervention : comment le législateur prend-il en compte dans l’élaboration de la loi, des nécessités souvent contradictoires ?
Faire la loi, fixer la norme se heurte toujours à la nécessité de prendre en compte des exigences contradictoires entre elles. Pour prendre l’exemple de l’architecture, comment concilier l’exigence artistique et le respect des normes de sécurité ? La créativité et les objectifs de transition énergétique ? Ce ne sont que des exemples parmi d’autres.
Dans le cadre de notre mission d’information, nous nous sommes longuement interrogés sur le rôle et la place des normes en matière de création architecturale.
Et le constat que la mission a fait est simple : un socle normatif minimal est indispensable, chacun en conviendra, mais des normes trop précises tuent l’élan créatif. Là où la norme est trop descriptive, trop prescriptive, l’œuvre de l’esprit qu’est la création architecturale trouve difficilement à s’exprimer. Il n’y a qu’à constater la standardisation de nos logements, de leur organisation et de leurs volumes, extrêmement contraints par les normes qui existent en matière d’accessibilité, de sécurité ou de consommation énergétique.
En outre, notre mission a pu constater que les difficultés rencontrées par les architectes sont moins dues au caractère pléthorique de ces normes qu’à leur mauvaise articulation, voire à leur caractère contradictoire.
D’où notre préconisation, qui s’est traduite dans la loi, de permettre de déroger, de façon encadrée et temporaire, à certaines règles du droit de la construction. L’expérimentation sera conduite pour une durée de sept ans, au terme de laquelle une évaluation sera faite. L’objectif est de passer d’une culture de la règle à une culture d’objectifs, notamment en matière de transition écologique.
Plusieurs dispositions de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine auront, je l’espère, un impact notable sur l’aménagement urbain de nos territoires, lorsque toutes ses dispositions seront effectivement entrées en vigueur. Je n’en ferai pas la liste exhaustive, elles viennent d’être présentées par le Directeur général des Patrimoines.
Je souligne néanmoins l’importance à mes yeux du recours désormais obligatoire à un architecte pour l’établissement du projet architectural, urbain et paysager qui accompagne les demandes de permis d’aménager des lotissements. Cette obligation doit permettre, je le crois, un véritable saut qualitatif dans l’aménagement de ces espaces, jusque-là tout à fait délaissés, à leur corps défendant, par les architectes.
La mise en place d’un label de qualité architecturale, s’il a vocation à protéger le patrimoine bâti de moins de cent ans, doit aussi permettre, comme d’ailleurs l’apposition du nom de l’architecte sur les bâtiments neufs, de susciter un véritable désir d’architecture au sein du public.
Pour conclure, je voudrais former un vœu, celui que l’ensemble des mesures adoptées dans le cadre de la loi LCAP, près de quarante ans après celui de la loi de 1977, puisse avoir pour effet incident de susciter un abaissement généralisé du seuil de tolérance de chacun vis-à-vis des bâtis médiocres et de cette « France moche », trop souvent illustrée par nos « entrées de ville ».
Je vous remercie.