Intervention sur le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel
C’est un vrai plaisir politique, ne le boudons pas, que de se retrouver en cet avant-dernier jour de la présente session parlementaire. Plus que de plaisir, madame la ministre, vous avez parlé de fierté. Oui, nous partageons la fierté d’abroger par le présent projet de loi une loi de 2009 attentatoire aux bonnes mœurs démocratiques.
Comme cela a déjà été dit, cette loi qui n’aurait jamais dû être, que ne préconisaient même pas les conclusions de la commission présidée par Jean-François Copé, et qui a conduit le Président de la République de l’époque à s’arroger le pouvoir de désignation des trois présidents de l’audiovisuel public venait à contresens de l’histoire de la liberté d’expression et de communication dans notre pays.
Cette liberté d’expression, née dans les premières heures de la IIIe République en ce qui concerne la presse écrite, s’est trouvée renforcée au début des années 1980, à la suite de l’élection de François Mitterrand, avec cette grande loi de 1982 portée par un grand ministre de la République aujourd’hui disparu, Georges Fillioud, qui a permis de libérer les ondes.
La loi de 2009 a constitué un véritable contresens historique et démocratique, alors que toute l’évolution de notre législation conduisait à garantir toujours plus de pluralisme et à permettre aux médias, notamment aux chaînes publiques, de disposer de l’indépendance nécessaire dans une démocratie.
Lorsque nous en avons débattu, entre la fin de 2008 et le début de 2009, il a parfois été difficile de ne pas revoir ces images d’un autre temps, le début de la Ve République, où chaque jour le ministre de l’information faisait l’éditorial du seul journal télévisé alors diffusé.
C’est une bonne chose que nous soyons aujourd’hui amenés à redonner au Conseil supérieur de l’audiovisuel le pouvoir qu’il n’aurait jamais dû perdre, ce pouvoir de désignation des trois présidents de l’audiovisuel public.
Parce que l’objectif initial de la loi était de tenir l’engagement no 51 du candidat François Hollande, devenu Président de la République, certains ont affirmé, de manière fort injuste, qu’il s’agissait d’une petite loi. Cette accusation pourrait être justifiée si la loi se limitait à cela, mais elle contient tant d’autres choses !
Il y a, d’abord, cette réforme fondamentale du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui n’avait jamais été entreprise jusque là et dont la nécessité était devenue criante : durant une décennie de non-alternance, jusqu’au renouvellement de janvier dernier, les neuf membres du CSA ont tous été nommés par la même majorité ! Nous fûmes nombreux à stigmatiser, dans cet hémicycle et ailleurs, ce qui a été appelé un « CSA monocolore ». C’est sans doute l’aspect le plus novateur du projet de loi que de permettre au CSA de voir la composition de son collège réformée en profondeur.
Je tiens à vous féliciter et à vous rendre hommage, madame la ministre, d’avoir emporté la conviction pour qu’au-delà du président du CSA, qui va devenir une autorité publique indépendante, les six autres membres soient nommés à terme par les commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat à la majorité des trois cinquièmes.
Ayant travaillé avec vous depuis plus d’un an, mes chers collègues de l’opposition, et sachant dans quelles conditions nous œuvrons au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, je ne peux que vous inviter à relever ce défi, qui se présente aussi bien à la majorité qu’à l’opposition et dont les enjeux ne sont rien de moins que la démocratie, l’indépendance et le pluralisme – bref, disons-le, la République.
Nous devons, tous ensemble, réussir ce pari lorsqu’il se présentera, et je vous donne pour cela rendez-vous au début de l’année 2015.
Le travail que nous avons effectué en commission a été un bon travail, en ce qu’il a renforcé les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Ainsi, grâce à un certain nombre d’amendements, plusieurs avancées ont été obtenues, notamment les études d’impact économique, l’avis public annuel sur l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens des trois entreprises de l’audiovisuel public, ou encore le pouvoir de sanction renforcé sur le plan juridique.
D’une manière générale, ce projet de loi donne au Conseil supérieur de l’audiovisuel un rôle essentiel de régulation économique qu’il n’avait pas ou n’exerçait pas jusqu’à présent. Pour garantir le pluralisme et lutter contre la concentration qui est la tendance naturelle du paysage audiovisuel français, à l’heure de la télévision connectée et alors qu’il faut relever les nombreux défis de la révolution numérique, il fallait armer le CSA, afin qu’il puisse jouer pleinement ce rôle. Le projet de loi qui vous est soumis le fait et, en cela, ne peut être considéré comme une « petite loi ».
Si nous tirons le bilan du précédent quinquennat du point de vue de l’objectif majeur qu’est l’indépendance de l’audiovisuel public, il est une indépendance qu’aucune loi, malheureusement, ne saura rétablir, ni celle-ci, ni celle que vous avez annoncée, madame la ministre, visant à régler les relations entre producteurs et diffuseurs et à tirer les conclusions de la mission Lescure : aucune loi ne permettra de redonner à l’audiovisuel public, en particulier à France Télévisions, l’indépendance budgétaire, l’indépendance financière qui était la sienne jusqu’au vote de la funeste loi de 2009.
Tenez-vous bien, mes chers collègues : jusqu’au coup politique fait de manière irresponsable par Nicolas Sarkozy en 2008, lorsqu’il a annoncé la fin de la publicité en soirée, une décision dont nous mesurons aujourd’hui toutes les conséquences, France Télévisions n’était financée que par la redevance, pour une part essentielle, et 800 millions d’euros de recettes publicitaires. Pour faire un coup politique censé « prendre la gauche sur sa gauche », le Président de la République a rayé d’un trait 450 millions d’euros de recettes publicitaires ! Ce faisant, il a tué l’indépendance budgétaire de France Télévisions qui dépend aujourd’hui du budget de l’État. La taxe télécom, fort heureusement validée par la Cour de justice de l’Union européenne, ne rapportant que 250 millions d’euros au lieu des 450 millions que procurait précédemment la publicité en soirée il est évident que la différence est à la charge du budget de l’État. Mais, je le répète, ni la présente loi, ni la loi à venir ne pourront malheureusement rétablir cette indépendance budgétaire qu’il faut se résoudre à voir perdue pour longtemps, surtout dans le contexte d’un marché publicitaire à la baisse. De manière responsable et courageuse, notre majorité a donc dû décider, dans la dernière loi de finances, d’augmenter la redevance de manière exceptionnelle – six euros en tenant compte de l’inflation.
Pour conclure, je me félicite du travail que nous avons effectué collectivement. Soyons fiers de ce que nous faisons en ce 24 juillet 2013 : nous abrogeons une mauvaise loi et, au-delà, nous permettons à l’indépendance de l’audiovisuel, au pluralisme et, de fait, à la démocratie, de franchir à nouveau un pas décisif.