Présentation du rapport de la mission sur la création architecturale
Patrick Bloche a présenté devant la commission des Affaires culturelles et de l’Education le rapport (Lien vers le rapport sur la création architecturale ) issu de la mission sur la création architecturale dont il a été durant plus de six mois président-rapporteur.
Cette mission a procédé à une cinquantaine d’heures d’auditions et de tables rondes qui ont permis d’entendre de nombreux acteurs de l’architecture : des représentants des services des ministères, des maisons de l’architecture, de la Cité de l’architecture, des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), du conseil de l’ordre et des syndicats d’architectes, mais également les professionnels directement impliqués dans la création architecturale et la construction du cadre bâti – architectes, ingénieurs, bâtisseurs, etc. La mission a également effectué plusieurs déplacements : en Loire-Atlantique d’abord, à Nantes et Saint-Nazaire, puis à Lyon, sur le site de Confluence, et enfin, à Rotterdam. Ainsi, la mission a pu constater qu’une création architecturale libérée permettait de dessiner des paysages urbains nouveaux, affirmant puissamment l’identité d’une ville que les habitants pouvaient s’approprier et dont ils pouvaient être fiers.
Elle a pu analyser l’architecture française, ses réalisations, son évolution, les multiples freins auxquels elle est confrontée, mais aussi les attentes de toute une profession et celles des citoyens. Elle s’est aussi interrogée sur la pertinence et l’intégrité du cadre juridique de la création architecturale en France, qui résulte principalement de la loi du 3 janvier 1977 relative à l’architecture et de celle du 2 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique, la loi MOP. En faisant émerger les bonnes pratiques, passées comme actuelles, la mission s’est donné pour tâche d’ouvrir la voie à une évolution essentielle : remettre l’architecte au centre du projet architectural et urbain pour assurer la qualité du cadre de vie de chacun.
Après six mois de travaux, trois constats principaux peuvent être tirés, qui constituent autant de leviers pour libérer la création architecturale.
Tout d’abord, il apparaît nécessaire de provoquer, au sein de la population, un désir d’architecture. En effet, l’intervention des architectes sur le cadre bâti est aujourd’hui très limitée, les deux tiers des constructions étant réalisées sans leur concours. La création architecturale semble aujourd’hui circonscrite à la commande publique, en particulier aux grands équipements culturels et au logement social des grandes villes ; les constructions privées, en particulier individuelles, échappent très largement aux architectes ou ne leur permettent pas d’exercer dans des conditions propices à la création. Cette situation a des conséquences sur la qualité globale du bâti français, comme en témoignent les zones pavillonnaires, les entrées de villes, les zones d’activités, qui sont le plus souvent la marque d’une absence d’ambition architecturale.
Dès que le recours à un architecte n’est pas obligatoire, il est clair que la plupart des maîtres d’ouvrage, publics ou privés, institutionnels ou particuliers, préfèrent s’en dispenser, pour des raisons principalement financières ou par déficit d’information. Pourtant, dans d’autres pays européens, le recours à l’architecte relève d’un réflexe culturel profondément ancré. Dès lors, pour remédier à une situation extrêmement dommageable pour la qualité du cadre de vie et l’attractivité des territoires, il est apparu nécessaire de trouver les moyens de susciter, au sein de la population, une véritable envie d’architecture.
En deuxième lieu, les travaux de la mission ont révélé que l’architecte avait perdu une partie de la maîtrise du projet architectural. Si, dans le cadre de la commande publique, l’architecte dispose de missions complètes, allant de la conception à la réception de l’ouvrage achevé, tel n’est pas le cas de la commande privée, qui prend une part de plus en plus importante dans la construction, ou de la commande publique dérogatoire qui s’est développée au cours des dernières décennies.
Enfin, il ne fait pas de doute que les nombreuses normes qui entourent la construction freinent la création architecturale. Pléthoriques, complexes et parfois contradictoires, les normes sont, en pratique, difficilement applicables dans leur totalité. Si la création architecturale peut certes naître de la contrainte, l’excès normatif combiné à l’application rigide de règles diverses étouffe aujourd’hui la création architecturale, comme en témoigne la standardisation croissante du bâti français.
Pour redonner à l’architecture française la capacité de créer et d’innover, il importe aujourd’hui de changer de paradigme normatif, en fixant des objectifs à atteindre plutôt que les moyens d’y parvenir. Au final, c’est la recherche de la plus grande valeur d’usage possible qui doit aiguiller le travail de l’architecte, non le seul respect des normes.
L’architecte doit être replacé au centre de la construction du quotidien. Au-delà de l’architecture extraordinaire des bâtiments iconiques, il doit être en mesure de proposer de « l’ordinaire extra ». Figure de l’universalité, il doit avoir les compétences pour agréger toutes les autres autour du projet. Il doit se faire urbaniste et aménageur, créateur et ingénieur, porte-parole des citoyens, conseiller du responsable politique et pilote de chantier. C’est à cette condition que la création architecturale pourra retrouver un rôle déterminant, à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui : un aménagement durable du territoire, un urbanisme ambitieux, une ville intelligente.
Voici la liste des propositions :
Proposition n° 1 : abaisser le seuil de recours à l’architecte à 150 mètres carrés de surface de plancher.
Proposition n° 2 : inciter la profession à mettre en avant le coût global du projet, afin que les particuliers puissent faire leur choix sur la base d’une information réelle.
Proposition n° 3 : mettre en oeuvre des mesures pour inciter les particuliers à recourir à un architecte : permis simplifié et prêts bonifiés.
Proposition n° 4 : créer une délégation interministérielle à l’architecture placée auprès du Premier ministre.
Proposition n° 5 : engager rapidement des actions durables sur l’ensemble du territoire pour sensibiliser les écoliers à l’architecture.
Proposition n° 6 : conforter les actions conduites par les maisons de l’architecture, notamment l’implantation de résidences d’architectes, par le biais de subventions publiques.
Proposition n° 7 : organiser une meilleure communication, recourant à des média innovants et participatifs, autour des réalisations, des concours d’architecture et des prix qui portent sur l’architecture du quotidien.
Proposition n° 8 : rééquilibrer la répartition des écoles nationales supérieures d’architecture – facteurs importants de la diffusion architecturale – sur tout le territoire.
Proposition n° 9 : assurer, par des cours de langue obligatoires au sein des écoles d’architecture, la maîtrise d’au moins une langue étrangère au niveau professionnel.
Proposition n° 10 : renforcer l’habilitation à la maîtrise d’oeuvre en son nom propre (HMONP) en allongeant la durée de la mise en situation professionnelle au sein d’une agence d’architecture.
Proposition n° 11 : entreprendre dès la prochaine rentrée universitaire la mise en oeuvre des actions prioritaires formulées dans le rapport de M. Vincent Feltesse.
Proposition n° 12 : inciter le réseau culturel français à l’étranger à faire connaître la production architecturale française dans sa diversité et le réseau économique à en soutenir l’exportation.
Proposition n° 13 : sélectionner les candidats à partir de dossiers simplifiés.
Proposition n° 14 : faciliter l’accès au concours de candidats sans références soit parce qu’ils débutent, soit parce qu’ils n’en ont pas encore dans le domaine considéré.
Proposition n° 15 : lever partiellement l’anonymat pour permettre le dialogue entre le jury et les candidats.
Proposition n° 16 : supprimer le troisième critère d’évaluation alternatif déterminant le recours à un partenariat public-privé, fondé sur un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique, et ajouté par l’article 2 de la loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat aux critères initialement fixés par l’ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat.
Proposition n° 17 : dans le cas d’un partenariat public-privé, réintroduire l’architecte dans la phase de conception en imposant le retour du concours pour le choix du maître d’oeuvre, le partenariat public-privé n’intervenant que dans la phase de construction, après l’attribution du permis de construire.
Proposition n° 18 : dans le cas d’un partenariat public-privé, prévoir le choix de deux architectes lors du concours de maîtrise d’oeuvre : l’un chargé de conseiller la maîtrise d’ouvrage publique, une fois conclu le contrat de partenariat, l’autre poursuivant sa mission auprès du groupement privé.
Proposition n° 19 : limiter le nombre de dispositifs dérogatoires apportés à la loi MOP afin de revenir à une loi MOP revitalisée capable de susciter et de stimuler la création architecturale.
Proposition n° 20 : renforcer la présence des architectes-conseils au niveau régional, en augmentant leurs vacations et/ou leur nombre.
Proposition n° 21 : intégrer un enseignement d’architecture et d’urbanisme dans la formation des responsables administratifs locaux.
Proposition n° 22 : recueillir obligatoirement le conseil du CAUE lors de l’élaboration des documents d’urbanisme et généraliser les structures de conseil pluridisciplinaires.
Proposition n° 23 : développer des actions de formation spécifiques à destination des agents publics en charge de l’instruction des permis de construire et favoriser la formation des élus en charge de l’urbanisme en délivrant un agrément à un plus grand nombre de CAUE.
Proposition n° 24 : intégrer le « 1 % artistique » dès la définition du projet.
Proposition n° 25 : retrouver la mission complète de l’architecte, de la conception à la conduite du chantier et à la conformité de la réalisation.
Proposition n° 26 : rémunérer systématiquement le travail préparatoire de l’architecte à la demande de permis de construire.
Proposition n° 27 : prendre appui sur les expériences des commissions préalables aux permis de construire associant pouvoirs publics, maître d’ouvrage, maître d’oeuvre et maîtrise d’usage pour l’application du III bis de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme.
Proposition n° 28 : pour le respect des normes, passer d’une logique prescriptive à une obligation de résultat, en fixant des objectifs à atteindre plutôt que des moyens.
Proposition n° 29 : créer sur l’ensemble du territoire des zones franches architecturales bénéficiant de règles d’urbanisme simplifiées et promouvant la création architecturale.
Proposition n° 30 : systématiser les dispositifs dérogatoires aux règles d’urbanisme relatives au gabarit, à la densité et à l’aspect extérieur du bâtiment lorsque celui-ci fait preuve d’une qualité architecturale avérée.
Proposition n° 31 : prévoir que tous les logements d’un immeuble neuf soient rapidement adaptables, grâce à des travaux simples et peu coûteux, aux situations de handicap que peuvent rencontrer les personnes qui l’habitent.
Proposition n° 32 : donner aux enseignants des écoles d’architecture un statut semblable à celui des enseignants-chercheurs et promouvoir le regroupement des laboratoires de recherche et le développement d’équipements mutualisés de recherche sur le territoire.
Proposition n° 33 : relancer les réalisations expérimentales (REX).
Proposition n° 34 : développer l’offre de formation initiale et continue des écoles d’architecture en matière de réhabilitation et de transformation du bâti existant.
Proposition n° 35 : intégrer les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement aux plateformes de la rénovation énergétique pour faciliter l’orientation des particuliers vers un architecte.
Proposition n° 36 : élaborer une stratégie nationale de la commande publique.
Vous pouvez aussi cliquer sur le lien qui suit pour accéder à l’interview de Patrick Bloche consacrée à ce rapport par Anne-Marie Fèvre et Clément Ghys : Interview Libération