Projet de loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

1) Première lecture- Séance du mardi 18 mai 1999: intervention dans la discussion générale

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Un projet pour l’audiovisuel public, tel est sans nul doute l’objectif principal poursuivi par cette réforme de la loi de 1986 et que vous avez su, Madame la Ministre, porter avec une volonté et une détermination que je ne serais pas le premier à saluer.

Comment, en effet, ne pas ressentir l’impérieuse nécessité d’arrimer l’audiovisuel public au pacte républicain afin de mettre un terme à des dérives parfaitement identifiées. Qu’il me soit permis, à cet égard, de rendre hommage au travail essentiel réalisé, durant de nombreuses années, par le sénateur Cluzel.

Des heures d’antenne progressivement colonisées par une publicité dont les ressources devenaient de plus en plus vitales pour compenser le désengagement financier de l’État actionnaire, des contenus élaborés prioritairement dans un rapport vainement concurrentiel avec le secteur privé, ont conduit l’audiovisuel public à l’enlisement.

L’audimat, cache sexe de l’absence d’interactivité des chaînes hertziennes, a empêché toute construction identitaire du secteur de l’audiovisuel public rendue pourtant indispensable dès la fin même du monopole.

Quant aux missions de service public que les chaînes publiques sont censées assumer, notamment à partir de la perception de la redevance, elles ont été à ce point diluées que leur redéfinition dans l’actuel projet de loi s’apparente moins à une actualisation qu’à une refondation.

Et le téléspectateur dans tout cela ? Il ne descend pas dans la rue pour marquer son insatisfaction, il sait prendre sur ses heures de sommeil pour satisfaire son désir d’éducation et de culture, il n’a pas cherché la voie d’une représentation associative, il subit les tunnels publicitaires heureusement éclairés par le talent de nos créateurs, il est spontanément attiré par les nouveaux supports sans néanmoins que son attrait pour les chaînes thématiques n’ait remis en cause la suprématie des généralistes.

Finalement, le téléspectateur est sage et l’écran noir étant à l’audiovisuel ce que la dissuasion nucléaire est aux relations internationales, tant qu’il y a des images animées et indépendamment des contenus véhiculés, tout drame est évité.

C’est ainsi, qu’année après année, des glissements successifs se sont produits et que soudainement l’avenir même de l’audiovisuel public se trouve menacé.

C’est parce que vous avez fait ce constat en exerçant tout simplement la responsabilité de l’État actionnaire, que vous avez choisi de façon si déterminée non d’opérer quelques corrections à la marge mais de porter une vraie réforme visant à donner au secteur public cette identité qui lui manque tant aujourd’hui.

Les interrogations de l’automne et de l’hiver ayant trouvé leur réponse au printemps, votre réussite, Madame la Ministre, est d’autant plus politique qu’elle intègre une indispensable dimension budgétaire.

Je voudrais, de fait, m’arrêter un instant sur les conséquences que ce surcroît de ressources pour les chaînes publiques (1 milliard de francs pour développer de nouveaux programmes), mais aussi pour les chaînes privées (par le transfert des investissements publicitaires) va avoir sur le financement du cinéma en augmentant logiquement la contribution de l’audiovisuel qui – développement du numérique aidant – aura besoin de plus en plus de films.

Plus encore que la chronologie des médias, la fluidité des droits est au cœur de la controverse alimentée par les accords BLOC-Canal +, d’une part, et BLIC-TPS, d’autre part.

L’enjeu de la seconde fenêtre cristallise les oppositions actuelles. Encore faut-il que la revendication de ce droit de diffusion supplémentaire ne porte pas atteinte à la diversité du cinéma français et ne réduise pas de façon substantielle le nombre de longs métrages créés chaque année.

J’ai, de fait, Madame la Ministre, particulièrement apprécié l’appel que vous avez lancé au moment de l’ouverture du Festival de Cannes visant à ce que toutes les télévisions payantes souscrivent à un même corps de droits et de devoirs.

La concurrence entre opérateurs et la diversité du cinéma français doivent ainsi se combiner avec un investissement important des chaînes dans le préfinancement des films.

Vous avez, Madame la Ministre, souhaité insister à juste titre sur la nécessité de proportionner la durée d’exclusivité pour la première diffusion payante à la nature et à l’ampleur des risques financiers pris par l’opérateur à l’égard du film concerné. Par ailleurs, doit être garantie la diversification des investissements des opérateurs afin de préserver le financement des films à petit budget, l’ARP suggèrent ainsi la fixation d’un seuil de devis à 25 millions de francs.

Parler de la diffusion des films à la télévision m’amène à évoquer d’un mot leur exploitation en salle.

Vous connaissez, Madame la Ministre, mon extrême réserve (c’est peu dire) quant au développement des multiplexes dans notre pays alors que leur nombre vient de dépasser la cinquantaine. Je réfute les argumentaires complaisamment relayés des trois grands distributeurs et suis au regret de constater la diffusion exponentielle dans notre pays des superproductions hollywoodiennes.

Les récentes déclarations du PDG de la Gaumont sur le fait que les subventions devraient provenir de la collectivité et non pas du cinéma sapent les bases mêmes de l’exception culturelle. Je compte donc sur vous, Madame la Ministre, pour que votre vigilance s’exerce dans ce domaine de manière accrue.

Je voudrais maintenant m’inscrire en perspective et évoquer les enjeux de ce que l’on appelle désormais de façon usuelle la société de l’information.

En ce qui concerne le numérique hertzien terrestre, nous saisissons tous les conséquences de la multiplication des chaînes sur le développement de notre industrie de programmes et la diversification des contenus qui en découlera. On évoque la possibilité de dégager six réseaux pouvant transporter de 24 à 36 programmes. On voit ainsi toutes les potentialités de développement d’une télévision de proximité nécessairement interactive, pluraliste et prenant en compte la diversité de nos modes de vie. Le service public audiovisuel devra être, à cet égard, une référence.

Il reste qu’on ne peut apporter des réponses aux problématiques actuelles dans la précipitation. Avant de fixer le calendrier et les modalités de la numérisation et d’inscrire dans la loi les dispositions juridiques appropriées, il est indispensable qu’un débat associant tous les acteurs concernés ait lieu. C’est le choix que le Gouvernement a fait, et c’est un bon choix.

La deuxième lecture du présent projet de loi nous offrira, je l’espère, sans doute l’opportunité de transférer ce débat au Parlement, et ainsi d’éviter que notre pays prenne le moindre retard.

Il nous reviendra également à terme de porter un autre débat, celui d’une redéfinition du champ de la communication audiovisuelle. Il était sans doute trop tôt pour toucher aux deux piliers du Temple que constituent les deux premiers articles de la loi du 30 septembre 1986. La communication par réseau, qu’il s’agisse du réseau ouvert des sites web accessibles sur l’internet ou des réseaux fermés désignés intranets, se développe -comme vous le savez – de manière forte, et le programme d’action gouvernemental pour la société de l’information y contribue puissamment.

Tôt ou tard nous serons amenés à poser l’existence spécifique de cette nouvelle forme de communication, pour laquelle la régulation de la communication audiovisuelle s’avère de plus en plus inadaptée et qui permet l’exercice de nouvelles libertés qu’il nous faudra garantir mais aussi accompagner.

En effet, la communication par réseau, quel que soit le procédé de télécommunication qu’elle emprunte (fil, câble, satellite), ne constitue pas une ressource rare susceptible d’une régulation économique assurant l’égalité de traitement et la libre concurrence.

Par ailleurs, l’atteinte à la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels n’est pas susceptible d’être portée par un mode de communication dont l’influence est considérable, celui-ci ne résultant pas d’une diffusion par l’intermédiaire d’une ressource rare, mais d’un accès ouvert aux utilisateurs à des signes, des signaux, des écrits, des images ou des messages de toute nature, mis à disposition.

Le débat sur les articles permettra, je l’espère, d’avancer dans cette direction, d’une part en abandonnant le régime de déclaration préalable des services en ligne et des services télématiques et, d’autre part, en clarifiant la responsabilité des intermédiaires techniques de la communication par réseau.

A cet égard, le développement des nouveaux services est une vraie chance pour l’audiovisuel public, non seulement parce qu’il pourra ainsi mieux remplir les missions qui sont les siennes, mais aussi parce qu’il trouvera là, sans doute, une troisième ressource permettant de dépasser l’habituelle dualité financière entre redevance et ressource publicitaire.

Ainsi, ne laissons pas d’autres débats, somme toute mineurs, occulter les enjeux véritables pour l’audiovisuel public : être une référence en matière de qualité, un espace de citoyenneté mais aussi l’élément central et essentiel du vaste espace numérique public alliant l’ensemble des technologies disponibles au service de l’intérêt général.

2) Première lecture – séance du 19 mai 1999 – Motion de renvoi en commission (explication de vote) Résumé

M. le Président – Nous en venons aux explications de vote.

M. Patrick Bloche – Je suis toujours très surpris de la façon dont est utilisé le Règlement de notre assemblée. A écouter M. Rudy Salles, il était évident que la demande de renvoi en commission était le prétexte à une intervention qui aurait eu sa place dans la discussion générale ; mais c’est vrai que pour les motions, le temps n’est pas limité, ce qui permet d’égrener toutes les considérations.

Les raisons mineures avancées pour le renvoi en commission sont en contradiction avec le travail préparatoire important effectué à la fois par le Gouvernement, qui a su trouver un consensus avec les opérateurs, et par notre commission, qui a procédé à de nombreuses auditions et constitué un groupe de travail de dix collègues. Nos rapporteurs, M. Mathus et M. Cochet, ont apporté toute leur connaissance et leur expérience.

Ce qui m’a frappé dans votre intervention, Monsieur Salles, c’est votre dénonciation des carences actuelles du service public : nous vous rejoignons là-dessus, qu’il s’agisse des missions de service public non remplies ou des conséquences dommageables de la publicité sur la qualité des programmes.

Le problème, c’est que vous oubliez les raisons de cette dérive. S’il y a trop de publicité aujourd’hui, c’est parce que le désengagement financier de l’Etat actionnaire quand vous étiez au pouvoir a obligé les chaînes à faire davantage appel aux ressources publicitaires.

Sur d’autres points, vous exprimez des divergences. Vous êtes pour l’intégration de RFO, nous sommes plutôt réticents parce que RFO a des missions spécifiques et parce qu’il ne faut pas trop charger la barque (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) de la holding au début. En ce qui concerne le problème de la fin de l’exclusivité de TPS, notre commission s’est prononcée en majorité pour l’amendement de notre rapporteur.

Vous souhaitez que le texte soit renvoyé en commission, mais en même temps vous jugez que nous n’allons pas assez vite et que nous devrions prendre en compte un certain nombre d’autres sujets. Mais nous pouvons utiliser la procédure des navettes pour aborder ces enjeux essentiels que sont le numérique terrestre et les télévisions locales. Les opérateurs, vous le savez, ont des avis divergents là-dessus. Il faut donc un débat public.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste souhaite que l’on passe à la discussion du texte et votera contre cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

3) Deuxième lecture – Séance du 21 mars 2000 : réponse à la motion d’exception d’irrecevabilité.

M. Patrick Bloche – J’ai vainement tenté de comprendre la logique du raisonnement de M. Dominati tendant à nous démontrer que notre texte comportait plusieurs éléments majeurs d’inconstitutionnalité. Il s’est en effet attardé sur un rappel historique pour nous rappeler ce que nous savions déjà : oui, ce texte a évolué et heureusement car, ainsi, il ne nous sera pas fait reproche de voter un texte en décalage par rapport aux réalités du secteur qu’il entend réglementer. Nous avons assez entendu, en première lecture, que ce texte se contentait de solder les problèmes de l’analogique sans prendre en compte les enjeux de la nouvelle télévision. M. Dominati fait ensuite valoir que les évolutions du texte n’ont pas été soumises au Conseil d’Etat. Mais appartient-il au législateur, investi de la légitimité que confère le suffrage universel, de s’en remettre aux compétences du Conseil d’Etat ?

M. Laurent Dominati – Alors, supprimez le !

M. Patrick Bloche – Il a également fait référence à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui affirme la liberté de la presse et de la communication et rappelé que ce projet vise à conforter le principe selon lequel  » la communication est libre « . Partant, je ne vois pas comment il arrive à la conclusion qu’organiser la liberté serait inconstitutionnel. Ce qui vous préoccupe, Monsieur Dominati, et cela ne m’étonne pas de votre part, c’est de savoir quelle doit être la part de la régulation publique et ce qui doit être laissé au libre jeu du marché. Votre position politique est bien entendu de laisser la plus large part de la régulation au marché…

M. Laurent Dominati – Non, à une autorité administrative indépendante, le CSA.

M. Patrick Bloche – Vous considérez que le marché doit pouvoir s’auto-réguler en toute liberté. Vous mettez ainsi en exergue un clivage de nature politique car votre conception de la régulation n’est pas la nôtre. Nous considérons qu’en matière audiovisuelle, la régulation publique est indispensable et qu’il appartient au législateur d’organiser la liberté de communication, d’autant que le numérique offre de nouveaux champs d’expression audiovisuelle. Certes, avec trente-six canaux et six multiplexes, l’offre n’est pas encore très abondante, d’où l’opportunité de s’en tenir à un régime d’autorisation préalable et non de simple déclaration. Notre rôle est de fixer des règles d’attribution des canaux que le CSA sera chargé d’appliquer. Pour structurer le secteur, il nous semble essentiel de donner la priorité au secteur public car, comme l’a justement rappelé notre rapporteur, le passage au numérique fait courir un risque de segmentation, voire de  » communautarisation  » du paysage audiovisuel.

Si je peux comprendre l’idéal  » libéral-libertaire  » qui anime M. Dominati, je ne peux le suivre lorsqu’il avance que seule l’autorégulation par le marché est conforme à la Constitution. Si tel était le cas, il n’y aurait plus qu’à changer la norme constitutionnelle !