Projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions
1) Article 1- séance du 6 mai 1998
Monsieur le Président,
Mesdames les Ministres,
Mes chers Collègues,
L’article 1er fait de la lutte contre les exclusions un « impératif national ». Cette affirmation est en elle-même essentielle et ce sont ses conséquences concrètes dont nous devons prendre aujourd’hui toute la mesure.
La puissance publique n’a certes pas vocation à assurer le bonheur des individus. En revanche, il est de sa responsabilité de donner à chaque citoyen les conditions d’un exercice plein de ses droits. Cela nécessite que soit préalablement remplie une condition déterminante : l’intégration dans le corps social.
L’évolution, dans les termes, de la « pauvreté » vers « l’exclusion » est secondairement de nature sémantique. L’exclusion signifie, en effet, que les groupes concernés sont en rupture avec la collectivité. L’exclusion signifie, aussi, qu’à l’insuffisance des ressources matérielles et financières, se greffe une absence de tissu relationnel. C’est, ainsi, une réalité ancrée dans la durée et qui, paradoxalement, exige l’urgence. Aujourd’hui, la réponse ne peut plus être celle d’actions conjoncturelles ou cloisonnées. La lutte contre les exclusions s’inscrit durablement dans toute politique publique et doit s’inspirer pour cela d’une philosophie clairement définie.
A cet égard, le principe d’égalité reste un principe fondamental de notre République. L’égalité a vocation à demeurer un vecteur et une finalité de l’action publique. Est-elle, pour autant, l’unique réponse à l’interpellation de ceux de nos concitoyens qui survivent avec des minima sociaux ? L’exclusion ne peut être traitée de façon abstraite et c’est la raison d’être du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui. L’exclusion a un visage, ou plutôt des visages. C’est le chômeur en fin de droits, c’est le jeune sans qualification qui n’a plus foi en l’avenir, c’est la personne sans domicile, c’est celui ou celle qui a subi le choc simultané ou l’accumulation de ruptures familiales et sociales.
L’ampleur qu’ont prise les exclusions exige de faire la distinction entre, d’une part, les inégalités subies, existant de fait, qui doivent être vigoureusement combattues, et, d’autre part, les inégalités voulues et instituées en faveur des plus défavorisés, dans le but d’une plus grande justice sociale. Les inégalités subies conduisent aux exclusions. Les inégalités justement instituées permettent, au contraire, de prévenir ou de combattre les exclusions. Le choix des discriminations positives s’impose ainsi pour qui veut réellement assurer la présence de tous au sein de la collectivité nationale. Il n’en demeure pas moins que c’est la solution ultime, tant son effet stigmatisant ne doit jamais l’emporter sur son efficacité en termes de justice sociale.
Ce risque doit être d’autant plus évité qu’il renforcerait, précisément, une des causes, ou, du moins, des manifestations, de l’exclusion. Je veux parler du développement des phénomènes communautaires. Qu’il s’appuie sur des bases culturelles, cultuelles ou territoriales, le communautarisme est lié à l’exclusion. Si la société n’offre plus de repères, la communauté devient alors un refuge et un bouclier. En milieu urbain, tout particulièrement, le problème n’est plus de l’ordre de l’épiphénomène.
Je pense qu’il faut considérer comme durable le fait que des femmes et des hommes retrouvent ou se réinventent des références dans un cadre communautaire distinct du modèle républicain d’intégration qui est la base habituelle des politiques publiques en France.
De fait, ce projet de loi doit avoir l’ambition de relever ce défi en rendant effectifs et, plus encore, efficaces les moyens d’accès » de tous aux droits individuels et collectifs fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de l’éducation, de la formation et de la culture et de la vie familiale « , pour reprendre les termes mêmes de l’article 1er.
L’action publique globale est d’autant plus essentielle que c’est bien souvent son absence ou sa faiblesse qui sont à l’origine du développement du fait communautaire qui progresse un peu plus à chaque fois que l’Etat, garant de l’intérêt général, recule. La redynamisation de l’action publique dans le champ social est, ainsi, de première importance pour lutter contre les exclusions. Avec les emplois-jeunes et les 35 heures, et dans un contexte de reprise de la croissance, le Gouvernement a pris toute la mesure de sa responsabilité en considérant, y compris dans ce projet de loi, que le travail demeure une valeur centrale de notre société.
C’est en relégitimant l’ » Etat social de droit » que l’action publique doit pleinement se développer. A côté des » droits-liberté « , par lesquels l’Etat définit la sphère d’autonomie de l’individu, ce sont ici les » droits-créance » qui sont réaffirmés, c’est-à-dire ceux en vertu desquels l’Etat se doit d’intervenir afin d’assurer l’égalité effective des individus.
Ces deux catégories de droits ne sont évidemment pas contradictoires.
Reconnaître des droits sociaux, d’une part, en faire une réalité, d’autre part, constituent, finalement, les deux exigences de l’Etat social de droit, de cet Etat qui fait de la lutte contre les exclusions un impératif national.
2) Articles 36 et 38- séance du 14 mai 1998 (Accès aux soins)
Monsieur le Secrétaire d’Etat, mes chers collègues, j’aurais pu tout aussi bien m’inscrire sur l’article 36, mais j’ai préféré regrouper l’exposé de mes remarques et de mes préoccupations dans mon intervention sur l’article 38.
Comme cela a été souligné à plusieurs reprises, ce projet de loi ne vise pas à proclamer des droits nouveaux, mais à » donner une réalité à ceux qui existent déjà « . Aussi, souhaiterais-je me référer aux diverses mesures annoncées concernant la prise en charge des dépenses de santé.
Ce qui est visé, c’est l’universalité, par la création de la Couverture Maladie Universelle.
C’est la gratuité, par l’absence de ticket modérateur ou du forfait hospitalier pour les personnes les plus démunies.
C’est l’effectivité du droit d’accès aux soins, par la dispense d’avance de frais.
Universalité, gratuité et effectivité montrent ainsi que lutter contre les exclusions exige que chaque personne trouve sa place dans notre système de protection sociale.
En ce qui concerne l’universalité, je me permettrai d’ailleurs de rappeler qu’une disposition législative votée à la fin de 1992 et qui avait étendu la qualité d’ayant droit pour l’ouverture du droit aux prestations en nature des assurances maladie et maternité à la personne vivant depuis un an avec un assuré social et se trouvant à sa charge effective, totale et permanente. Il y a un peu plus de cinq ans, le SIDA créait toujours plus de situations de grande précarisation et d’exclusion qui appelaient une réponse urgente.
Celle-ci était opportunément prévue dans un projet qui s’appelait » Contrat d’Union Civile » et pas encore » Contrat d’Union Sociale « . Je tenais, ce soir, à faire ce lien entre le réflexe de solidarité d’hier et l’actualité d’aujourd’hui.
Je souligne également que l’accès à la prévention et aux soins est un problème lié à la fois à la demande et à l’offre de soins.
Le projet de loi a, d’ailleurs, pris en compte cette préoccupation en insistant, dans son chapitre 3, sur la nécessaire implication des professionnels de la santé dans l’amélioration de la santé des plus démunis. L’article 38 ajoute, ainsi, pour le service public hospitalier, une nouvelle mission à celles d’ores et déjà définies dans le Code de la Santé publique. De la même façon qu’il assure les actions d’enseignement universitaire, de recherche ou d’aide médicale urgente, l’hôpital doit ainsi concourir directement à la lutte contre l’exclusion sociale. C’est une mission essentielle.
La médecine de ville participe elle aussi directement à la lutte contre l’exclusion sociale et doit, de ce fait, être également associée aux objectifs poursuivis par le projet de loi. La médecine de ville remplit, en effet, un rôle spécifique et déterminant pour certaines catégories de population, qu’il s’agisse des personnes âgées ou isolées, des personnes à très faibles revenus, ou des personnes invalides, toutes directement touchées par les exclusions. Leur état de santé ne nécessite pas une hospitalisation, mais qui voient leur qualité de vie quotidienne améliorée de façon décisive par des soins à domicile qui, outre le soulagement physique qu’ils représentent, constituent souvent la seule relation humaine d’une journée, le seul lien social avec l’extérieur.
A l’automne, lors de la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 1998, j’avais exprimé au Gouvernement, et en particulier à Madame AUBRY, mon souci de ne pas voir pénaliser la profession infirmière dans le cas où les dépassements des seuils annuels d’efficience sont directement liés à la délivrance de soins aux personnes les plus démunies ou en situation de grande précarité. Est-il envisageable de susciter un nouveau mode de calcul qui comprendrait une modulation dans le cas où l’infirmier ou l’infirmière a accepté de s’occuper de malades pris en charge par des dispositifs spécifiques, comme l’AMG ? La prise en compte du type de patients auxquels les soins sont apportés devrait permettre de favoriser le développement de l’offre médicale dans des zones qui souffrent actuellement d’une véritable carence.
Cette considération sera, je l’espère, abordée dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il me semblait, cependant, important de souligner, dès aujourd’hui, que l’hôpital ne concourt pas seul à la lutte contre l’exclusion sociale par l’accès aux soins des plus démunis, mais que ces impératifs font également appel, quotidiennement, au rôle spécifique joué par la médecine de ville.
3) Article 74- séance du 20 mai 1998 (Accès à la Culture)
Monsieur le Président, Mesdames les Ministres, Mes chers Collègues,
L’article 74 fait de l’accès à la culture un objectif national. C’est aussi un droit.
Le paradoxe veut, en effet, que les dépenses culturelles des ménages augmentent de 15 % en moyenne annuelle alors que, comme je l’ai déjà indiqué en ce lieu, 55 % des Français ne sont encore jamais allés au théâtre, 12 % au cinéma, que 82 % n’ont jamais assisté à un concert de jazz et 71 % à un concert de musique classique.
L’accès aux pratiques artistiques et culturelles est une exigence démocratique que rappelle avec force le projet de loi. Leur participation à la reconstitution du lien social est souvent invoquée au risque d’ailleurs d’une certaine banalisation.
Lorsqu’elle a présenté, le 26 février dernier, les réformes engagées pour une démocratisation de la culture, Madame Catherine TRAUTMANN a souhaité mettre l’accent avec raison sur l’insuffisante prise en compte dans les politiques culturelles de l’Etat des pratiques artistiques en amateur bien qu’elles concernent 4 Français sur 10. Leur valorisation doit naturellement se faire dans un rapport dynamique avec les professions de la culture.
Dans cet effort de diffusion culturelle, je souhaiterais ainsi évoquer les actions remarquables portées par ATD Quart Monde ou le réseau national » Droit de Cité « .
La démocratisation culturelle est souvent abordée par le biais d’une meilleure implantation des équipements culturels prenant en compte la nécessité de la proximité, alors même que leur fréquentation reste marquée par de profondes disparités à la fois sociales et géographiques. A une exception, il est vrai : le succès croissant rencontré par les bibliothèques et les médiathèques. La lecture publique est plus que jamais une pratique culturelle qui se développe et qui contribue fortement à l’accès d’un plus grand nombre à la culture.
Je souhaiterais également évoquer la question des tarifs, notamment parce que l’article 78 permet leur modulation en fonction des ressources des usagers et de la composition des foyers.
Nombre d’établissements culturels ont déjà anticipé cette baisse tarifaire, comme – par exemple – Stanislas NORDEY à Saint Denis. Et j’ai pu noter avec plaisir et intérêt, samedi dernier à l’occasion du Parlement des Enfants, que cet enjeu des tarifs était ainsi au cœur de la proposition de loi élaborée par la classe de CM2 de ma circonscription et portée jusqu’ici par le député junior qui la représentait.
Il reste qu’une politique tarifaire visant à lutter contre l’exclusion culturelle doit comporter des mesures d’accompagnement afin qu’il n’y ait pas confusion entre démocratisation culturelle et consommation culturelle. J’ai ainsi l’exemple à Paris de la mobilisation sur le budget municipal de presque 20 MF, chaque année, pour des opérations (18h/18F ; achetez une place, allez à deux au théâtre ou au concert) qui ont pour effet premier d’augmenter la fréquentation de ceux qui ont déjà l’habitude de prendre le chemin des lieux de diffusion culturelle.
Or, l’habitude c’est justement ce que nous devons proposer à celles et ceux qui sont aujourd’hui tenus à l’écart des circuits de diffusion culturelle et qui doivent être les nouveaux publics de demain.
Je terminerai cette intervention en passant de la demande à l’offre, du terrain de la diffusion à celui de la création.
Il m’apparaît, en effet important d’évoquer les difficultés matérielles et quotidiennes rencontrées par certains artistes. Je pense, en particulier, aux difficultés liées à l’obtention et au maintien d’une couverture sociale. Me permettrez-vous de citer ici l’exemple d’un certain nombre d’artistes – notamment d’artistes plasticiens – et d’auteurs affiliés à l’AGESSA et qui sont confrontés à des problèmes réels concernant leur couverture sociale ? Il arrive, ainsi, relativement fréquemment, qu’un artiste ait un arriéré de cotisations, correspondant à une période sans revenus. La caisse de Sécurité sociale lui réclame alors cet arriéré, tout en refusant de lui délivrer l’attestation correspondant aux derniers règlements de cotisations. Le risque devient celui de la perte des droits à une couverture maladie et, le cas échéant, de l’interruption de soins en cours.
Il conviendra, je l’espère, de rééxaminer cette question dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale et du projet de loi sur le droit à un égal accès à la prévention et aux soins, qui sera présenté en même temps. La création d’une couverture maladie universelle permettra, je pense, de prendre ces situations en compte. Ne serait-il pas envisageable, par ailleurs, de faire en sorte que les droits soient ouverts pour une année entière et non pour un semestre, ce qui aurait le grand avantage d’une souplesse accrue dans le règlement de retards de cotisations ?
Je tenais à souligner ces différents points, tant il m’apparaît clair que la démocratisation culturelle passe aussi par la prise en compte des difficultés réelles et sérieuses auxquelles sont confrontés régulièrement certains artistes et créateurs. C’est là un enjeu important, car, comme le dit Marin KARMITZ : » Une société sans créations, sans créateurs, est une société sans mémoire, sans identité, sans cohésion sociale – sinon celle de regarder les mêmes émissions de » loisirs » à la même heure, et d’avoir ainsi une paix sociale qui est celle des cimetières. « .