Reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaire
Patrick BLOCHE- Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons s’inscrit dans le travail, sans cesse repoussé, que la France entreprend vis à vis de son passé colonial depuis plusieurs années.
En effet, le Parlement unanime, en 1999, a reconnu qu’il y avait bien eu une guerre en Algérie. Fini les appellations alambiquées et autres euphémismes sur les » opérations de maintien de l’ordre » ou les » événements « . Par ailleurs, le 25 septembre dernier, un hommage de la Nation a été enfin solennellement rendu à nos concitoyens harkis. Un mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc est programmé quai Branly. Depuis des années déjà, plus de la moitié des conseils municipaux et plusieurs dizaines de conseils généraux ont reconnu le 19 mars 1962 comme date commémorative, soit en lui dédiant le nom de l’une de leurs artères, soit en donnant une reconnaissance officielle aux cérémonies de cette journée. Plus particulièrement à Paris, la nouvelle municipalité a décidé l’édification d’un monument aux combattants parisiens tombés en Afrique du Nord et a, en outre, souhaité faire preuve de maturité historique en inscrivant dans la mémoire parisienne toutes les dates qui firent de la Capitale, une ville au bord de la guerre civile, telle celle, funeste, du 17 octobre 1961.
La France a ainsi fait le choix de regarder son passé en face. Un passé fait de combats longtemps niés, d’héroïsme et de trahisons, et surtout des souffrances physiques et psychologiques de ceux qui eurent » 20 ans dans les Aurès » pour ce qui s’est révélée finalement tout autant une cause perdue qu’une impasse politique.
Et puisqu’il y a bien eu une guerre d’Algérie, la Nation se devait de choisir un jour de mémoire et de recueillement. Il ne s’agit pas ici de faire le travail des historiens. Ce n’est pas notre rôle. Des pertes militaires, des massacres de civils et de harkis eurent lieu après le 19 mars. Nous le savons. Comme pour les deux conflits mondiaux, des femmes et des hommes périrent après les dates commémoratives qui furent choisies, après le 11 novembre 1918 comme après le 8 mai 1945. Si le 19 mars a signifié la fin des souffrances pour certains, il a marqué le début des drames pour d’autres. Mais est-ce que cela doit empêcher de choisir une date appartenant à l’histoire pour un acte de mémoire au présent ? Date historique mais mémoire au présent, tel doit être, à nos yeux, l’enjeu de cette journée.
Pour la guerre d’Algérie, certaines plaies sont encore vives parce que, précisément, la parole ayant été trop longtemps interdite, le travail de deuil ne pouvait s’opérer sur aucune date commémorative. C’est pourquoi 40 ans après ressurgissent les débats sur la torture, les viols, les massacres, les disparitions… et qu’ils rencontrent des échos particulièrement douloureux.
Doit-on encore prolonger cette guerre de 40 ans ? N’a-t-on pas assez opposé, en France, des communautés ayant déjà payé un lourd tribut durant cette guerre et qui, pourtant, avaient vécu sur le même sol pendant des décennies ? Ne faut-il pas mieux écouter les survivants, rendre hommage aux victimes, civiles et militaires, d’origine européenne ou maghrébine, aux anciens combattants, aux harkis et aux rapatriés ? N’est-il pas temps de rendre la parole aux témoins, à celles et à ceux à qui le silence était imposé par obligation d’amnésie, par fanatisme politique ou encore par une mémoire volontairement sélective qui était toujours sensée attendre un signe venant de l’autre côté de la Méditerranée pour reconnaître ses propres errements. Il faut assumer, 40 ans après, l’héritage de notre histoire.
Certains croient que cette proposition de loi cherche à » réveiller les haines « , à oublier des souffrances, à effacer des disparus de nos pensées ou encore à masquer des erreurs, alors qu’elle ne fait que restaurer le devoir de mémoire et de recueillement de tous les Français pour toutes les victimes, qu’elle participe du travail de vérité. Il s’agit aujourd’hui de tendre la main à tous les descendants des victimes de cette guerre, de leur permettre, ensemble, de se construire un avenir commun et de paix. Tel est l’objet des deux articles de cette proposition de loi. Tel sera le sens de notre vote mardi prochain.