Proposition de loi visant à l’élimination des mines antipersonnel
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues, La mondialisation revêt souvent l’image d’un processus subi. Il est, pourtant, des mobilisations internationales qui savent montrer combien la communication à l’échelle de la planète peut aussi être issue de la volonté directe des hommes. La prise de conscience de la communauté internationale face à l’inhumanité des mines antipersonnel est, à cet égard, exemplaire.
On ne rappellera jamais assez à quel point la persistance de ces mines est insupportable. A cause de ces mines, ce sont 600 000 personnes qui ont été blessées depuis 20 ans. A cause de ces mines, ce sont 250 000 personnes qui sont handicapées dans le monde aujourd’hui. A cause de ces mines, c’est une victime de plus toutes les 20 minutes. A cause de ces mines, ce sont 800 morts au Cambodge chaque année, ou le fait que l’Angola compte 3 personnes amputées pour 1 000 habitants.
Les chiffres, ce sont ainsi des hommes. Ce sont aussi des armes. Il existe, en effet, 100 à 120 millions de mines non détectées dans le monde. Conçues au départ comme des armes défensives dans les conflits interétatiques, les mines ont été de plus en plus utilisées dans les guerres civiles. Mais, comme le dit FENELON, dans son Dialogue des Morts, » Toutes les guerres sont civiles, car c’est toujours l’homme contre l’homme qui répand son propre sang, qui détruit ses propres entrailles. « .
A ces chiffres chargés de tant de malheurs, s’ajoute la perversité de l’arme. Arme perverse, parce que faite pour blesser autant que pour tuer, afin d’anéantir tant la victime que celui qui lui portera secours. Arme perverse, parce que la fin de la guerre ne signifie pas la fin de l’horreur. Aux effets directs, s’ajoutent des effets induits : autant d’orphelins, mais aussi autant de zones géographiquement sinistrées et autant de mines vouées à rester enfouies. Longtemps. L’effort de déminage est, en effet, extrêmement coûteux.
Comme tout projet ambitieux, l’interdiction des mines antipersonnel s’avérait, dès lors aussi nécessaire que difficile. De fait, notre proposition de loi vise à introduire dans notre droit interne les dispositions issues de la convention d’Ottawa, signée le 3 décembre 1997 par la France, sans attendre sa ratification parlementaire. Afin d’assurer la paix par le désarmement, le droit international a accompli un long chemin. La limitation des armements a longtemps été perçue comme un dérivé du droit de la guerre. Elle est aujourd’hui devenue non seulement un élément de la sécurité des Etats, mais aussi un impératif humain.
D’une façon générale, on peut considérer que le désarmement a 4 causes. Forcé, il résulte de la contrainte, à l’instar du désarmement du vaincu par le vainqueur après un conflit. Budgétaire, il est la conséquence d’une utilisation particulière des niveaux d’armement en vue d’une économie de moyens. Sécuritaire, il va dans le sens de la » sécurité collective » et d’une réduction harmonisée des armements en vue d’un équilibre des puissances. Humanitaire, enfin, il consiste à interdire certaines armes considérées comme devant être bannies en cas de conflit. Ce fut le cas des armes chimiques et biologiques. C’est aujourd’hui la prise de conscience de la nécessaire interdiction des mines antipersonnel.
La France, dès 1990, s’est démarquée par sa volonté d’aller plus loin et plus vite. La Convention d’Ottawa est ainsi l’aboutissement d’un long processus international, auquel notre pays a pris part avec un rôle d’impulsion privilégié.
Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, la France devient l’un des premiers Etats à mettre sa propre législation en conformité avec le droit international, invitant ses partenaires à suivre la même démarche. Aussi, cette proposition de loi ne pouvait-elle pas être une simple déclaration d’intention. Des mécanismes tangibles sont donc institués : outre la définition précise de la mine et le champ d’énumération des interdictions, sont en effet prévus, d’une part, des sanctions pénales et, d’autre part, un suivi attentif grâce à la commission créée à cet effet. Enfin, ce texte fixe au 31 décembre 2000 la date limite de destruction des stocks existants, alors que la convention internationale ne la prévoit qu’en 2002.
Il reste que le débat n’est pas clos, comme le montre cette discussion générale. C’est pourquoi, tant les engagements pris par Monsieur le Ministre de la Défense au nom du Gouvernement que le travail réalisé par notre rapporteur, Robert GAÏA, revêtent une importance particulière.
Au niveau international, le plus dur reste, sans doute, à faire : surveiller l’application du traité, financer les coûteuses opérations de déminage et parvenir à ce que les pays récalcitrants se joignent à l’interdiction. Plusieurs Etats, parmi les plus importants producteurs de mines antipersonnel, n’ont pas signé la Convention d’Ottawa. Parmi ceux-ci, l’absence des Etats-Unis est particulièrement regrettable, en raison, tant de leur place de première puissance militaire mondiale, que de leur pouvoir d’influence. En même temps, ce processus a montré le rôle essentiel des organisations non gouvernementales, je pense tout particulièrement à Handicap International. Les O.N.G. ont ainsi su créer ce » mouvement citoyen à l’échelle de la planète « , qui révèle aujourd’hui l’émergence de l’homme dans les relations internationales, comme objet de préoccupation, mais aussi comme sujet de la décision.
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues, si, selon les mots célèbres de CLAUSEWITZ, » la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens « , sachons montrer que la politique est l’alternative à la guerre, par d’autres moyens. Le recours à la force a longtemps constitué un acte de souveraineté. Celle-ci doit aujourd’hui se définir autrement, par le choix de la raison sur la force, et de l’homme sur l’arme.