Inscription d’office sur les listes électorales
Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence
Monsieur le president, monsieur le ministre, mes chers collègues,
député du quartier de la Bastille et du faubourg Saint-Antoine, où s’est formée, au siècle dernier, notamment lors de la révolution de 1848, l’identité républicaine et sociale de la France, je suis naturellement sensible à tout acte politique tendant à promouvoir l’exercice du suffrage universel.
Décider l’inscription automatique des femmes et des hommes âgés de dix-huit ans sur les listes électorales constitue une mesure emblématique qui répond à deux préoccupations au moins.
La première tient au souvenir récent de nombreux jeunes privés de leur droit de vote du fait de la dissolution de notre assemblée.
La seconde, moins conjoncturelle, tient dans un chiffre qui ne peut guère nous réjouir : la France compte de 3,5 à 4 millions de personnes en âge de voter non inscrites sur les listes électorales, soit près de 10% des électeurs potentiels.
Me permettrez-vous de faire référence à la circonscription parisienne que je représente et qui compte ainsi 15 000 électeurs âgés de plus de soixante-cinq ans et 1 500 électurs âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, soit un rapport de un à dix ?
Peut-on, à cet égard, avancer qu’une génération est aujourd’hui en partie perdue pour le suffrage universel ? La loi connaît évidemment des limites pour corriger une telle situation, même si j’ai noté avec plaisir que les jeunes âgés de dix-neuf à vingt et un ans seraient également concernés par ce projet.
L’inscription automatique des citoyens sur les listes électorales à leur majorité ne constitue ni une facilité ni une déresponsabilisation, comme certains le craignent. Il s’agit, bien au contraire, d’une interpellation, d’une invitation à l’exercice de la citoyenneté. La véritable expression de cette volonté citoyenne passe par l’exercice du droit de vote. Se rendre aux urnes, volà le moment de l’intiative et du choix personnels, voilà la démarche décisive dans une démocratie.
L’inscription automatique est le second message que nous envoyons aux jeunes de notre pays après le projet de loi Aubry, tant leur intégration citoyenne va de pair avec leur intégration sociale.
Cette mesure ne saurait évidemment réduire à elle seule le fossé qui sépare nombre de jeunes de notre vie démocratique. Le lien qui unit jeunesse et citoyenneté est de fait interactif : si le citoyenneté doit être un acte porteur de sens pour les jeunes, la place de ceux-ci représente, elle, un réel enjeu de citoyenneté.
Ce que l’on nomme « l’auto-exclusion civique » a des origines diverses : indifférence, hostilité, ignorance. Dans tous les cas, il est évident que l’environnement, social et familial, est décisif. Quel est l’intérêt d’aller s’inscrire sur les listes électorales lorsque l’on est persuadé que son vote, comme celui des autres, ne changera pas l’avenir ? N’y aurait-il pas des préoccupations plus urgentes et plus directement personnelles, lorsqu’on a dix-huit ans et qu’on cherche sa place dans la société ? En un mot, aller s’inscrire à la mairie, pour quoi faire ?
C’est pourquoi la réception d’office de la carte d’électeur constituera l’amorce de cette prise de conscience si nécessaire. C’est la matérialisation d’un premier pas qui incitera le jeune citoyen à penser : « J’ai un droit, celui de voter, on me le dit, on me le donne ; je dois et je veux l’exercer. »
Mais il est vrai que recevoir une carte sans légende, sans « mode d’emploi », risque d’en limiter la portée et l’utilité. Dès lors, pourquoi ne pas envisager des mesures visant à accompagner ce nouveau dispositif afin d’atteindre tous les objectifs fixés ? Je proposerai trois pistes qui ne sauraient être exhaustives amis qui m’apparaissent importantes pour que ce projet de loi soit un véritable apprentissage de la démocratie.
D’abord, je plaiderai, dans cette enceint privilégiée, pour un renouveau de l’instruction civique, à laquelle je vous sais, monsieur le ministre, très attaché. Le bienfondé de l’instruction civique est reconnu, sa nécessité n’est pas remise en cause, mais, avouons-le, ses modalités pratiques sont souvent inadaptées. L’instruction civique telle qu’elle est inscrite dans les programmes m’apparaît malheureusement d’une efficacité limitée. Et pourtant, une des missions de l’éducation nationale n’est-elle pas de donner à chacun les moyens d’être citoyen à mart entière ? Que signifie, en effet, la liberté de choisir quand elle ne permet pas de comprendre les enjeux et les choix à faire ? L’ignorance, produit de l’inégalité sociale, est bien la première entrave dans l’accès à la démocratie.
Dans son rapport à l’Assemblée « sur la nécessité de l’instruction publique », Condorcet concluait par ces mots : Nous n’avons pas voulu qu’un seul homme pût dire désormais : « la loi m’assurait une entière égalité des droits ; mais on me refuse les moyens de les connaître. Je ne dois dépendre que de la loi ; mais mon ignorance me rend dépendant de tout ce qui m’entoure. »
C’est bien à l’école, avant seize ans, lorsque les jeunes la fréquentent encore tous, qu’il convient d’éclairer et de sensibiliser les futurs électeurs à la chose publique. Jetons les bases de l’instruction civique du prochain millénaire : c’est le préalable à un exercice conscient et reponsable du droit de vote.
Il convient par ailleurs d’accompagner la réception de la carte électorale. Je ne reprendrai pas ce qu’on dit les orateurs précédents, mais il ne m’appparaît pas souhaitable que le jeune citoyen reçoive sa carte sans en connaître les raisons, les conséquences et les enjeux.
J’estime donc nécessaire de joindre à la carte un guide du citoyen, un vade-mecum qui éclaire précisément le nouvel électeur sur la signification de son droit.
Il ne s’agit pas de faire une présentation par trop exhaustive de nos institutions, mais bien de répondre à des questions aussi simples qu’essentielles : à quoi ser notre Constitution ? Quel est le rôle des grandes institutions de la République ? Quelle est la portée de chaque élection ? Quels sont mes droits, mes devoirs ? En un mot, dans quel environnement vais-je exercer ma citoyenneté ?
Ce document, ci quide du citoyen est indispensable, et plusieurs organisations de jeunes, notre rapporteur l’a d’ailleurs noté, l’appellent de leurs voeux. Il aurait le mérite de susciter l’intérêt des jeunes et de les sensibiliser à un bon fonctionnement de la démocratie, auquel nous les invitons à contribuer.
Néanmoins, dans la société de l’information, aussi nécessaires soient-ils, la tradition orale ou le support écrit ne sauraient être suffisants. L’apprentissage des la citoyenneté doit également passer par les nouveau réseaux multimédias. J’ai ainsi la conviction qu’Internet est un moyen pour intéresser à nouveau à la vie publique les jeunes gens qui s’en sont actuellement écartés et qui se trouvent être les plus attachés à l’usage des nouvelles technologies de communication. Notons d’ailleurs que, contrairement à d’autres technologies qui peuvent conduire à un renforcement des inégalités, Internet peut permettre une réduction de celles-ci, en facilitant l’accès au savoir et à la culture, et en éliminant les barrières géographiques et sociales. Les jeunes, n’en doutons pas, auront d’eux-mêmes l’occasion de nous faire part de leurs idées et de leurs aspirations, notamment lors des rencontres de la jeunesse, organisées dans toute la France en octobre et en novembre prochains.
La bonne marche de la démocratie dépend des électeurs comme des élus. Pour les premiers, ce projet de loi ne doit pas être entendu, je le répète, comme une facilité, mais bien comme une invitation à prendre part au débat politique et à la détermination des choix qui engagent notre destin collectif. Ces choix, il nous revient à nous, dépositaires de la souveraineté populaire, de les préparer et de les proposer. Seule une vie politique ambitieuse, innovante et digne permettra de retrouver la confiance dans la politique et, par là même, dans l’avenir. Prendre en compte les aspirations de nos concitoyens, en particulier des plus jeunes, vouloir leur offrir un véritable projet de société, agir en conséquence, voilà ce qui doit nous guider.
C’est ainsi que nous pourrons revivigier le suffrage universel, constitutif de l’identité républicaine.
Mais l’intégration des jeunes ne saurait se décréter. Leur interpellation, que formalise ce projet de loi, résulte de cette volonté politique que le Premier ministre, Lionel Jospin, a souhaité proposer au pays à travers le pacte républicain. C’est ainsi que nous marquerons notre appartenance à la communauté nationale telle que la définissait Renan : Avoir fait des choses ensemble, et vouloir en faire encore. «